La ville post-carbone, mythe ou réalité ?
Le développement durable serait-il le nouvel horizon des sociétés développées du monde actuel ? On peut se demander si cette vision n’est pas le dernier « grand projet » de la société actuelle, le seul qui soit
susceptible de rassembler dans un consensus à peu près général l’ensemble de la société civile, les acteurs
économiques et les acteurs politiques. Un monde « propre », sans pollution, sans perte de biodiversité, sans
perte de valeurs, d’écosystèmes sociétaux, sans gaz à effets de serre, serait-il, sinon possible, du moins
envisageable ?
Ce texte est un extrait de la présentation du Séminaire organisé par l’Observatoire International de Prospective régionale le jeudi 20 mars 2008.
L’un des enjeux de la recherche des conditions pour parvenir à un nouvel horizon passe par la question de l’espace, au sens des lieux de vie, de reproduction et d’existence de l’espèce humaine. Et comme il existe une
tendance lourde allant dans le sens d’un phénomène d’urbanisation de la population mondiale, qui a
dépassé les 50%, vers 60 à 70 % de la population mondiale, la question de la lutte contre les gaz à effets
de serre passe inévitablement par une relecture de la « question urbaine ». La question du facteur 4, au
sens de la réduction des GES d’un facteur 4 comme condition a minima pour, non pas arrêter le processus
de réchauffement climatique, mais au moins pour en ralentir la course et stabiliser la mécanique éco
systémique du processus de réchauffement, passe par la ville, la question urbaine. Il serait d’ailleurs utile
de chiffrer la « contribution » de la ville (pris ici au sens large de phénomène urbain) au processus de
réchauffement. Il apparaît, sous réserve de validation scientifique, que cette participation dépasserait, toute
catégorie confondue, les 60%, parmi l’ensemble des causes anthropiques du phénomène.
Il est dès lors tentant de se demander comment, par des actions collectives et par un effort pour « penser »
la ville, il serait possible d’en faire un levier majeur de l’atténuation des facteurs allant dans le sens du
réchauffement climatique.
Le problème, dans ce domaine, c’est qu’il n’est pas possible, ou suffisant, de faire des préconisations « à la petite semaine ». Car les systèmes urbains sont des systèmes « durs ». Le système économique n’a pas
seulement produit des valeurs marchandes, mais également un modèle sociétal urbain, basé sur la ville
étendue, la consommation de plus en plus large de l’espace, une instrumentalisation de l’espace en vue du
progrès économique.
Aujourd’hui, cette ville, ce système urbain est là. Il structure les comportements, les habitudes, les modes de vie, les pratiques sociales. La ville produit la société, autant que la société produit la ville. On se souvient du vieux mot d’ordre soixante-huitard, « changer la ville pour changer la vie » d’Henri Lebfevre. Dans un contexte différent, c’est le même problème qui se pose. Et on se rend compte que tous les plus beaux discours en faveur de la soutenabilité et de la durabilité se heurtent, et à vrai dire, butent sur le mur de l’inertie des systèmes urbains. Les système urbains peuvent certes évoluer, mais ils évoluent sur la très longue durée: une autoroute, une ligne de métro demandent vingt ans pour être réalisée, une ville nouvelle de trente à quarante ans. Au mieux, les impulsions en faveur de la ville durable que l’on donne actuellement produiront leurs effets à partir des années 2040 et à condition de les généraliser. Certes, la ville est aussi le produit de milliers de micros décisions entre les pratiques urbaines quotidiennes de la
société civile et les activités urbaines de ceux qui font la ville, les promoteurs, le système commercial, le monde des affaires pour ne citer que cela. Or ces milliers ou milliards de décisions peuvent être infléchies dans un sens différent et sur des séquences de temps beaucoup plus courtes. Mais ce n’est pas pour autant très facile, d’autant qu’il existe à tout moment des tendances et des contre tendances.
Pour prendre un exemple récent, le rapport Attali préconise la création de 10 Ecopolis de 50.000 habitants, soit 500.000 habitants « écopolisés » sur 20/30 ans. Mais on sait qu’il faudra construire pendant 20 ans environ 500.000 logements par an, soit 10 millions de logements pour loger entre 20 et 25 millions de personnes sur la même période. Ainsi les 500.000 « bienheureux écopolisés » ne représenteront que 2,5% du total. Qu’est ce que l’on va faire des 97,5% restants ? Est ce que les ménages seront « condamnés » à s’éloigner toujours plus des coeurs d’agglomération et, pour nombres d’entre eux, à payer environ 25% de leurs ressources disponibles en coût de transport en plus des 25% de leurs ressources consacrées au coût direct du logement lui-même, sans compter le coût humain représenté par les temps de transports ? Et lorsque le même rapport Attali propose, pour « libérer la croissance » (et pas le « développement », on aura saisi la nuance) par la suppression des lois Royer et Raffarin, il est clair que les logiques de la diffusion urbaine sur base néolibérale, vont trouver un puissant levier, en sens contraire par conséquent du principe de la ville dense, qui est tout simplement le principe de la ville tel qu’il nous a été légué par des siècles d’expérience d’humanisation sociétale, par les valeurs urbaines, celle de la « cité ». Ainsi, bien loin d’aller dans le sens de la ville post-carbone, la ville « produite » par l’idéologie dominante va et vient entre un discours pro ville post-carbone, et des pratiques sociales et économiques anti-ville post-carbone. En clair, on nous propose de faire un pas en avant pour un pas en arrière. Pendant ce temps l’horloge du réchauffement climatique avance lentement et inexorablement, jusqu’au jour ou l’on aura compris que l’on a fait fausse route. Mais à ce moment là, il sera trop tard., les jeux seront faits.
Le séminaire organisé par l’Observatoire International de Prospective régional porte sur les conditions pour changer la donne de telle sorte qu’un effet cliquet entraîne l’ensemble des mécanismes sociétaux dans les sens d’une durabilité assez forte pour transformer les obstacles en levier de cet autre développement que l’on vise, dans lequel, comme le dit Edgar Morin, il y aura à la fois de la croissance et de la décroissance, dans une vision civilisationnelle globale du monde.
Guy Loinger, secrétaire général de l’OIPR/GEISTEL et Rédacteur en Chef de la Revue Territoires du Futur
Ce texte est un extrait de la présentation du Séminaire organisé par l’Observatoire International de Prospective régionale le jeudi 20 mars 2008. Amphi B . Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche.
21 rue de la Montagne Sainte-Genevieve. 75005 Paris.
Pour tous renseignements : www.reperes-oipr.com