La révolution numérique et le marché du logement.
Céline Mareuge, Présentation du rapport France Stratégie
Airbnb est-il l’arbre qui cache la forêt d’une uberisation rapide de l’économie du logement ? Loin s’en faut, nous répondent en substance Bernard Vorms et Pierre-Yves Cusset. Alors qu’on lui prédisait le même sort que les agences de voyages et les courtiers en valeurs mobilières, le modèle traditionnel de l’agence résiste… et même contre-attaque. La situation est-elle tenable et à quel prix ?
« La disruption n’a pas, ou pas encore, eu lieu »
C’est un constat d’évidence : la recherche d’un logement, à l’achat ou à la location, commence désormais en ligne. 90 % des projets immobiliers concrétisés en 2015 ont débuté sur internet. Un site comme SeLoger.com reçoit 3,6 millions de visiteurs uniques par mois ! Portails d’annonces, outils d’estimation en ligne, syndic dématérialisé, présentation virtuelle des logements,… le secteur de l’immobilier a bien fait « sa » révolution numérique.
Pourtant, l’agence en ligne n’a pas supplanté « l’agence vitrée » et la profession ne s’est pas uberisée. Certes, l’émergence des plateformes collaboratives (de type Airbnb) pose des questions d’équité concurrentielle et de fiscalité mais, dans les faits, elle n’a pas entamé le rôle d’intermédiaire des agents immobiliers. La stabilité de la part des transactions réalisées avec une agence comme celle des taux d’honoraires montrent qu’il n’y a pas (pour l’instant) d’effet de substitution. Les nouveaux entrants créent plutôt de nouveaux marchés, comme les locations de très courte durée. Pour le reste, la révolution numérique a plutôt profité aux professionnels du secteur en leur offrant l’opportunité de diversifier leurs offres et de gagner en clientèle.
Pour autant, il y a bien, dans le jeu concurrentiel, de nouveaux acteurs. Face aux plus anciens d’entre eux, les portails d’annonces, les professionnels du secteur ont bien résisté, en jouant la carte de la complémentarité et/ou en contre-attaquant. En témoigne la plateforme Bien’ici créée par les principaux acteurs de l’immobilier. Conçue comme une interface permettant de simplifier la recherche des acheteurs en combinant des informations sur les logements mais aussi leur environnement (quartier d’habitation), la plateforme Bien’ici surfe sur les codes 3D du jeu vidéo et peut être lue comme une contre-offensive devant le pouvoir croissant des portails d’annonces. Les acteurs apparus plus récemment sont plus en concurrence directe avec les intermédiaires immobiliers traditionnels. On parle ici des « réseaux de mandataires », ces équivalents français des virtual brokers américains dont la stratégie consiste à faire du low cost en externalisant au maximum les fonctions commerciales tout en restant dans le cadre juridique de la loi Hoguet.
Lever les freins à l’innovation
Le paysage est donc aujourd’hui celui d’un secteur pleinement entré dans l’ère digitale avec des nouveaux venus… mais des honoraires qui n’ont pas vraiment diminué et restent élevés en France. Est-ce à dire que « l’histoire n’est pas achevée » comme le soulignent les auteurs du rapport ? C’est-à-dire que les modèles d’affaires innovants ne seraient pas encore parvenus au stade de la maturité ?
Une manière de répondre à cette question est d’aller voir ce qui se passe chez nos voisins. Au Royaume-Uni par exemple, des offres en ligne se développent avec des honoraires fixes, pour des montants faibles (de l’ordre de 750 euros), mais les honoraires doivent être réglés même si la vente n’est pas conclue (et les visites ne sont pas comprises dans le prix). Alors même que le modèle n’est pas transposable à la France en l’état actuel de la règlementation, les auteurs constatent qu’au Royaume-Uni comme aux États-Unis les agences en ligne low cost qui rencontrent le plus de succès s’appuient toutes sur des agents immobiliers implantés localement. La disparition de l’agent immobilier n’est donc pas à l’ordre du jour chez nos voisins. Ce d’autant que la vente de particulier à particulier ne progresse pas non plus.
Reste à permettre une concurrence loyale en supprimant notamment les freins qui empêchent encore les professionnels de tirer pleinement parti des progrès technologiques, spécialement en matière de dématérialisation des actes et des procédures. C’est là, estiment les auteurs du rapport, que l’État a sa partition à jouer. Lever l’insécurité juridique liée à la dématérialisation des documents et des correspondances est ainsi leur première recommandation sur une liste de onze au total. On retrouve également, dans cette liste, une proposition dédiée aux nouveaux usages de location temporaire qui fait écho à « la question Airbnb » et pas moins de quatre propositions allant dans le sens d’une transparence accrue de l’information. Il s’agit pour l’État de garantir un égal accès de tous aux données de prix et de loyers pour éviter la formation d’une rente informationnelle.
Si l’État n’a pas pour rôle de modeler le paysage professionnel d’un secteur, il doit en revanche assurer à tous les acteurs un jeu concurrentiel à armes égales, à commencer par celle de l’accès aux données.