Trois questions à Olivier Oullier : « Ne diabolisons pas les neurosciences »
Trois questions à Olivier Oullier, enseignant-chercheur en neurosciences à Aix-Marseille Université et à la Florida Atlantic University , fondateur de www.neuroeconomie.fr
Peut-on dire aujourd’hui que les neurosciences constituent un enjeu de société, et ce débats de société relève -il du champ disciplinaire des neurobiologistes ?
Les neurosciences ont toujours constitué un enjeu pour notre société. Il convient toutefois de reconnaître que leur utilisation grandissante au quotidien, ainsi que la vulgarisation de l’image du cerveau hors des laboratoires de recherche scientifique et médicale où elles sont historiquement pratiquées, nous confronte à de nouvelles questions éthiques et économiques qui nous touchent tous. C’est ce qui ressort d’initiatives comme le programme de consultation publique sur la place des sciences du cerveau dans la société intitulé « Meeting of Minds » (1) qui a duré deux ans et abouti à une série de recommandations présentées au Parlement Européen.
Le développement des neurosciences ou leur « banalisation » -en donnant l’impression qu’on peut avoir accès à la pensée – ne comporte t-il pas le risque d’attiser les fantasmes ?… Doit -on craindre le caractère prétendu prédictif des neurosciences ?
Qu’il s’agisse de météo, d’évolution des marchés boursiers ou de comportement humain, pour ne citer que quelques exemples, notre société n’aime pas l’incertitude. Ainsi, toute méthode qui véhiculerait une éventuelle promesse d’anticipation du futur (et par conséquent de potentiellement en contrôler certains des aspects) suscite l’intérêt non seulement des entreprises mais aussi de certaines institutions publiques. Toutefois, la manipulation n’est pas apparue avec l’essor des sciences du cerveau. Soyons réalistes, on a réussi à influer sur les décisions des citoyens bien avant l’apparition des scanners d’imagerie cérébrale. Ne diabolisons donc pas les neurosciences. L’effort de soutien des programmes de recherche scientifique et médicale autour du cerveau doit plus que être jamais soutenu. Ne laissons pas une poignée d’apprentis neuro-sorciers et autres marchands de neuro-tapis en freiner le développement.
La mise en contexte d’analyses cérébrales pose des problèmes éthiques et sociaux, comment les encadrer ?
La première chose à faire est de sensibiliser les acteurs des neurosciences aux questions éthiques qui émergent autour de leur discipline et en premier lieu les étudiants. C’est ce que nous faisons à Aix-Marseille Université où nous avons créé le premier cours en France de neuroéconomie et de neuroéthique. Ensuite, il faut développer la communication afin de sensibiliser le grand public. Enfin, soutenir des initiatives comme Meeting of Minds et le travail d’institutions comme le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) (2) ou l’Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques (OPECST) (3) Ce dernier consulte en vue de la révision des lois de bioéthique programmée pour 2009 qui intègrera les questions liées aux neurosciences et à la neuroéthique pour la première fois.
(1) www.meetingmindseurope.org/france_site.aspx
(2) www.ccne-ethique.fr/
(3) http://www.senat.fr/opecst/aud_pub.html