Le concept « solidaire » profite des remises en question induites par la crise. Ses applications restent toutefois marginales. Dans la finance et le numérique, les percées sont perceptibles. Des obligations nouvelles, notamment pour les entreprises, devraient contribuer à son essor.
Avec la crise, la finance solidaire retient de plus en plus l’attention des épargnants. D’après le baromètre Finansol – La Croix – Ipsos rendu public le 26 mai, 35% des Français déclarent aujourd’hui que la crise leur donne envie de prendre en compte d’autres facteurs que leur profit dans leur manière d’épargner, et 57% des personnes interrogées déclarent qu’elles pourraient souscrire un placement d’épargne solidaire… « même si son rendement financier est moins important que celui des placements classiques », affirme 21% de l’ensemble du panel.
Toutefois, le succès de la finance solidaire orientée vers le développement durable et la cohésion sociale, est encore très relatif. Certes, les encours sont passés de 0,3 milliard d’euros en 2002 à 0,9 milliard en 2005 et 1,6 milliard en 2008, et les investissements financés par l’épargne solidaire a progressé de 37% l’an dernier pour atteindre 379 millions d’euros. « Concrètement, la finance solidaire a permis de créer 20 000 emplois et de loger plus de 1 500 familles », commente François De Witt, président du collectif Finansol qui rassemble les associations du secteur. Mais comparés aux 2 300 milliards d’euros d’encours de l’assurance vie à la fin 2008 (après 109 milliards de collecte dans l’année), les fonds de la finance solidaire demeurent totalement marginaux.
Efficacité sociale plus que financière
En fait, les deux démarches sont bien distinctes. « La finance solidaire a une forte utilité sociale, pas forcément une forte rentabilité financière. Elle se situe dans un monde nouveau qui n’est l’économie sociale classique, ni l’économie capitaliste traditionnelle», concède François De Witt. Et à cause de la capillarité des placements, les coûts de gestion se révèlent plus élevés que pour des produits d’épargne classiques. Est-ce la raison pour laquelle, dans près d’un cas sur quatre, les banquiers oublient de proposer des fonds solidaires aux épargnants qui souhaitent placer des économies ?
Actuellement, la finance solidaire est le plus souvent accessible par des fonds communs de placement d’entreprise solidaires (FCPES, créés en 2001) investis pour 90% dans des placements traditionnels et pour 10% seulement dans des placements solidaires. « 90% pour moi, 10% pour les autres », résume François De Witt ». En réalité, cette répartition est imposée par le législateur afin que les épargnants puissent récupérer leur épargne lorsqu’ils en ont besoin, ce qui est plus difficile avec des entreprises solidaires qui n’ont pas vocation à être cotées en Bourse.
Toutefois, pour les épargnants qui souhaitent réaliser un investissement totalement solidaire, il est toujours possible de prendre des participations dans des entreprises spécialisées de cette sphère. Et les relais sont nombreux, du Crédit Coopératif (avec sa gamme de livrets Agir) ou le Crédit Mutuel, qui apportent des financements complémentaires à des ONG comme Action contre la faim, Handicap International, la Croix Rouge ou Médecins du Monde. On compte aussi France Active, le spécialiste du financement des entreprises d’insertion, d’Habitat et Humanisme qui finance le logement social pour des personnes très démunies, de l’ADIE qui œuvre dans le micro-crédit pour soutenir des entrepreneurs individuels, ou de la SIDI également dans le micro-crédit mais à l’étranger et notamment en Afrique. Et on peut citer le fonds Garrigue qui fonctionne avec les Cigales (Clubs d’investisseurs pour une gestion alternative et locale de l’épargne solidaire).
Une obligation pour les entreprises
La palette est large… et elle va s’étoffer. Car à partir du 1er janvier prochain, toute offre de gestion de l’épargne salariale devra comporter un FCPES. Toutes les entreprises devront donc en proposer à leurs salariés, et faire acte en même temps de pédagogie (un Français sur quatre, d’après le baromètre, ignore encore l’existence des produits d’épargne solidaires). Déjà, des groupes comme Danone ont créé des fonds dédiés, d’autres comme Schneider y réfléchissent, la Saur et Castorama également. D’autres initiatives devraient être présentées à l’occasion de la Semaine de la finance solidaire qui se tiendra du 4 au 9 novembre 2009.
Le numérique contre l’exclusion
Le concept « solidaire » investit aussi l’univers numérique. « Le numérique doit permettre de retrouver du lien social dans les territoires », a affirmé Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’Etat en charge de l’économie numérique, à l’occasion du colloque « une société numérique solidaire » qui s’est tenu fin mai à Paris. Au départ, cela ne pourrait être qu’une profession de foi très convenue et sans lendemain. Mais les besoins existent : aujourd’hui, Pôle Emploi , en charge du reclassement des demandeurs d’emploi, recense 25 millions de visites sur son site internet. Plus que dans les agences ! Ce qui confère au réseau une réelle dimension nouvelle dans la recherche d’emploi.
La solidarité s’exprime dans ce domaine par la multiplication d’EPN (établissements publics numériques). En France, 60% des familles disposent d’un ordinateur, mais 43% seulement sont connectés à internet. Et le taux d’équipement des non diplômés n’est que de 12%, constate l’association Réseau 2000 ! L’objectif consiste à lutter contre la fracture numérique. Celle-ci se creuse au rythme du développement des nouveaux outils, car ils pénalisent les personnes qui n’y ont pas accès et les enracinent dans l’exclusion. Des EPN se créent un peu partout, dans les bibliothèques municipales, les maisons des jeunes… avec un accompagnement assuré par les associations qui sont à leur initiative. Les thématiques sont multiples, pour faire vivre un quartier, sortir les seniors de leur isolement, trouver un emploi, aider des jeunes à concrétiser un projet…
Démocratie en ligne
Rien qu’en Ile de France, on compte aujourd’hui plus de 600 EPN, qui créent un lien de proximité en offrant un accès à des ordinateurs connectés à internet. Mais cette solidarité se met en place dans l’urgence : « On a trop souvent négligé les accès aux ressources et à l’ergonomie, considère Bernard Benhamou, délégué aux usages de l’internet au ministère de la Recherche. Il y a un vrai danger social à ne pas avoir accès au numérique. Il faut maintenant revenir aux fondements de la démocratie en ligne : l’accessibilité et la simplicité. » Et pas seulement en lançant des chantiers qui, pour nombre d’entre eux, en sont encore au stade de « projets papier ».