Une bouffée d’air frais sur le front du logement.
En pleine discussion de la loi Alur à l’Assemblée Nationale, le jugement du tribunal d’instance du 10e arrondissement renoue avec ceux des années 90, qui accordaient régulièrement aux squatteurs un délai avant expulsion.
Ce 11 septembre, les 60 habitants du 2 rue de Valenciennes à Paris ont le sourire : La décision du tribunal d’instance concernant leur demande d’expulsion vient d’être rendue publique en fin de matinée et les nouvelles, une fois n’est pas coutume, sont bonnes.
C’est Ophélie Latil, porte-parole du collectif Jeudi Noir, de retour du tribunal qui l’annonce officiellement : le jugement rendu accorde un délai de 6 mois avant expulsion aux habitants prioritaires DALO, et donc, de fait, à tous les occupants. Les parents soufflent, leurs enfants viennent d’effectuer leur rentrée dans le 10e arrondissement, ils vont pouvoir poursuivre leur année scolaire sans crainte de se retrouver à la rue au moins jusqu’au 15 mars.
Depuis décembre 2012, ils sont 13 familles de 27 enfants et une quinzaine de jeunes célibataires précaires qui occupent cet immeuble vide de 1600 mètres carrés, propriété de la SNC. L’entreprise qui se présente comme une « société immobilière familiale utilisant un véhicule européen » est gérée par deux promoteurs espagnols. Ils détiennent chacun 1% des parts, alors que les 98% restants sont détenus par une société domiciliée à Amsterdam et gérée par la filiale d’un groupe luxembourgeois. La SNC a soudain souhaité vendre cet immeuble de bureaux situé à deux pas de la Gare du Nord. La Mairie de Paris, alertée par les militants du DAL et de Jeudi Noir, a fait jouer son droit de préemption en proposant un prix de 4,3 millions d’euros pour ce bien acquis 2,8 millions d’euros en 2003, soit une plus value de 56% ! Pas mal du tout par ces temps de crise… Las, la SNC a refusé l’offre de la mairie, arguant qu’elle en voulait 7,2 millions d’euros !
C’est le juge de l’expropriation, selon la Ville de Paris, qui doit trancher ce litige. Mais la décision devra attendre de long mois. Des mois pendant lesquels les familles et les jeunes précaires, si ils étaient expulsés, se retrouveraient à galérer dans les hébergements d’urgence, alors qu’« en 10 mois d’occupation sans titre, nous avons fait économiser à l’État plus d’un million d’euros, à raison des 4800 euros par famille et par mois que coûte un mois d’hôtel ! » s’insurge une des occupantes.
Autre nouveauté dans ce dossier, franchement inquiétante celle-là, les propriétaires de l’immeuble exigent 1 million d’euros au DAL et à deux des membres de Jeudi noir ! Le prétexte invoqué ? Ces collectifs auraient diffamé les promoteurs et les auraient empêché de réaliser la vente de l’immeuble. C’est pourtant la mairie de Paris qui l’a préempté afin de le transformer en logements sociaux qui manquent si cruellement dans la capitale. « C’est une première en France, explique Jean-Baptiste Eyraud, le porte-parole du DAL. Cette attaque frontale contre des associations qui luttent contre le mal logement est un acte politique. La situation s’est durcie ces dernières années, alors qu’il y a selon l’INSEE 50% de plus de personnes sans domicile qu’en 2001 ».
Affaire à suivre, donc, à l’heure où Cécile Duflot doit ferrailler dur contre les lobbies immobiliers pour faire passer sa loi sur l’accès au logement et à un urbanisme rénové, et où le collectif espagnol « Stop aux Expulsions » fait une halte à Paris, avant de poursuivre sa marche sur Bruxelles afin d’exiger un vote du parlement européen. Les sans-logis français, eux, attendent toujours les réquisitions de logements vides promises par le candidat Hollande… S’ils ont aujourd’hui gagné une bataille, la guerre semble parfois sans fin.