Retrouver la vue
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Maxime Messaoui est un homme heureux. Il vient de sortir du Centre international sur la Vision. Et il voit !
Il n’en croit pas ses yeux. Le monde change. Lui qui est non-voyant de naissance. Il peut maintenant, après une phase d’observation de plusieurs jours, sortir de l’hôpital où il a été opéré, et se déplacer sans canne ni chien dans la rue. Bien sûr, sa vue reste très imprécise, elle est encore très limitée, mais le fait de pouvoir distinguer les contours et les figures lui procure une autonomie qu’il n’a jamais connue. Le Docteur Belvezet, qui l’a opéré, est optimiste. Sans lui donner de faux espoirs, il estime que d’ici quelques temps, sa capacité visuelle sera telle qu’il pourra gagner encore en autonomie. Il pourra aussi appréhender le visage des gens qui le côtoient. Il pourra aussi lire les gros caractères du journal et voir, qu’aujourd’hui, l’édition date du 28 août 2024.
Nous n’en sommes pas encore là. Quelques années vont passer avant que ce qui était considéré comme un miracle ne devienne réalité. En tous les cas, cette perspective ne relève plus de la science-fiction. Ni de la méthode du fameux Docteur Bates, méthode de rééducation visuelle à base psychologique, qui permit à l’écrivain Aldous Huxley, en train de perdre la vue, de lire sans lunettes après quelques mois.
En attendant, les mal-voyants pourront bientôt s’équiper de lunettes très spéciales, composées d’une caméra, d’écouteurs, d’un assistant numérique et d’un logiciel baptisé « The Voice » . Le dispositif permet de convertir les images filmées en différents sons que l’utilisateur va apprendre à cédrypter pour transformer l’information sonore en image mentale. L’agencement vertical des éléments de l’image sont traduits par la hauteur du son (grave/aigu), le volume sonore correspond à l’intensité lumineuse.
Plus prometteuses encore, les recherches sur le rétine et le nerf optique ! Deux équipes de l’INSERM ont fait une percée décisive dans la compréhension de la dégénérescence maculaire (DMLA) liée à l’âge. Principale maladie aboutissant à la cécité et qui touche actuellement 1,3 million de personnes. Ils ont montré que le rôle central d’une cellule immunitaire résidente du système nerveux central, jusqu’ici peu soupçonnée ; la cellule microgliale. Cette découverte importante ouvre de nouvelles possibilités thérapeutiques pour inhiber l’accumulation de ces cellules responsables. Tout est en place, aujourd’hui, avec les avancées de la recherche en immunologie, et en microélectronique. Les problèmes de rétine et de nerf optique qui sont les premières causes de cécité n’ont plus de secrets. La recherche scientifique sur la cécité avance principalement dans deux domaines.
La première voie s’oriente vers la mise au point d’une rétine artificielle, une micropuce dotée d’électrodes, reliée au nerf optique et qui “ colle ” à la rétine. Développée par le Professeur Sahel, cette prothèse placée dans l’espace sous-rétinien, stimule les cellules rétiniennes restantes et produit des images visuelles. Cela fait plusieurs années déjà que deux chercheurs-ingénieurs, Alan et Vincent Chow, expérimentent un implant rétinien sous forme de puce électronique de 2nm de diamètres et de 25 microns d’épaisseur contenant 5000 photodiodes. Chargée de stimuler les photorécepteurs de l’œil, l’ASR (Artifical silicon retina) est susceptible de redonner aux malvoyants les capacités de distinguer le contour des objets et même de pouvoir relire quelques lignes d’un texte. Cette rétine artificielle a été testée sur des chats atteints de rétinite pigmentaire, une maladie génétique incurable qui affecte les cellules réceptrices de l’œil et dont l’issue est la cécité pour 30.000 personnes en France. Plusieurs personnes ont déjà reçu une de ces puces avec des résultats encourageants ralentissant la dégénérescence des yeux. Les tests n’ont révélé aucune complication après l’opération. Reste à savoir si, sur la longueur, l’implant est bien toléré et s’il stimule suffisamment la rétine. Même si ce que les patients voient s’apparente actuellement encore à une constellation de points lumineux, ces prothèses visuelles constituent un premier pas dans le fait de recouvrer la vue. Cette technique rétinienne intéresse les patients dont les organes sont encore en état de fonctionner, et qui ont perdu la vue il y a peu de temps. La première rétine artificielle pourrait voir le jour dans le commerce vers 2011.
La deuxième voie consiste en un implant visuel directement branché au cerveau. Il est actuellement testé par un patient américain qui grâce à l’implant peut lire le numéro d’immatriculation d’une voiture à 1,5 mètre de distance. Ses lunettes sont équipées d’une mini-caméra et sont reliée à un ordinateur porté à la ceinture, lequel transforme les informations visuelles en signaux électriques. Les signaux sont alors transmis à des électrodes implantées à la surface du cerveau, dans la région correspondant à la vue.
Une équipe de l’École polytechnique de Montréal, sous la houlette de Mohamad Sawan, a mis au point un oeil électronique qui apporte directement les informations au cortex visuel sans s’occuper du nerf optique et de la rétine. L’avantage de cette technique ? Elle permet de soigner les personnes dont le nerf optique n’est plus en état de fonctionner depuis plus de six ans et les aveugles de naissance. On connaît aujourd’hui la zone du cerveau qui analyse les données transmises par les yeux pour en faire des images. Il suffit en fait de remplacer les yeux déficients par une caméra reliée à une plaque couverte d’électrodes, qui s’allument et s’éteignent en fonction des données reçues. Sur l’écran de l’ordinateur de contrôle, deux images : la vraie, et celle que pourrait voir un aveugle muni de cet équipement. Le dessin est plus grossier et les couleurs n’apparaissent pas, mais l’image est bien là. La puce, implantée directement dans le cortex, comporte quelques 625 points lumineux, répartis sur un cm2. Les chercheurs ont trouvé le moyen de se passer des fils visibles qui assurent la communication entre la caméra (l’oeil) et la puce électronique qui transmet les informations au cortex en utilisant des ondes électromagnétiques. L’équipe de Montreal se donne une douzaine d’années pour rendre la vue aux aveugles.
Bonnes feuilles du livre « Vivre en 2028 » Editions Lignes de Repères