Nouveau type de rassemblement en vogue, la manif de droite semble faire des adeptes à travers tout le pays. Entre provocation, happening et défoulement, l’évènement fait tour à tour sourir… et grincer des dents !
Mardi 12 juin, 17h. Une foule s’amasse sur la place Saint-André des Arts, dans le VIè arrondissement de Paris. Une foule gentillette de 300 personnes environ surveillée de près par quelques membres des RG : manif oblige ! Oui mais pas n’importe laquelle… La foule en question se prépare à faire une manif de droite ayant pour thématique principale de pourfendre Mai 68, sujet à la mode s’il en est. Ils sont comédiens pour certains, intermittents pour la plupart, tous en tout cas ont joué le jeu de se « déguiser » en gens de droite… Figaro, Bible et drapeau français en main, cheveux gominés, cigare en bouche et champagne pour les hommes ; collier de perle, bérêt, chignon, jupe droite et autres chaussettes montantes pour les femmes, l’ensemble entonnant la Marseillaise ou, au choix, un ou deux cantiques, avec délectation… Autant d’attributs permettant d’identifier le gens de droite en train de manifester…
Car qui dit manif dit spectateur et ce dernier reste un temps sceptique en voyant défiler ce drôle de cortège aux slogans provocateurs, plus ou moins de bon goût… En vrac, on entend : « Tous tous seuls, tous tous seuls, ouais, ouais », « La gauche t’es foutue, la droite est dans la rue », « Moins de fonctionnaires, plus de milliardaires », « Privatisons l’opinion publique », « Recyclez les sans-papiers », « Paye ta dette, Afrique », « Lacrymo, même pas mal, envoyez du napalm »…
Ici et là des pancartes fleurissent où l’on peut lire : « Soyons réaliste, demandons l’élitisme », « Sous les pavés, les plages privées » ou « Pour une société à but lucratif »… Tout au long du parcours, au fil des rencontres et des lieux, la foule fait feu de tout bois, s’attachant notamment à marcher dans les clous aux cris de « Respectons la signalisation » ou « Nous sommes plus à droite que vous » à l’encontre d’habitants du Vè sortis sur leur balcon pour admirer le spectacle.
Entourant une Mercedes arborant de surcroît un crucifix, les manifestants scandent : « ça c’est de la caisse, ça c’est de la caisse »… Puis, face à la mairie du Vè : « rendez nous Tibéri, rendez nous Tibéri »… Enfin, devant une crèche et des marmots à la fenêtre un peu étonnés d’être ainsi pris à parti, le « peuple de droite » entonne : « les enfants, au boulot » !
Et après ? Et bien, pas grand chose à en dire si ce n’est que la première du genre a eu lieu en 2003 à l’initiative d’un groupe d’intermittents du spectacle. Depuis, il y en a eu une trentaine en province et à Paris et l’idée fait boule de neige ; c’est en tout cas ce que semble espérer les animateurs du site qui dispensent moults conseils pour organiser la chose dans la pure orthodoxie de la manif de droite.
La charte de la manif de droite stipule en effet : « Alors que des 4 coins de France des comités fédéraux et communaux se mettent dors et déjà en place, il importe immédiatement d’appliquer des règles strictes afin de ne pas donner une mauvaise image à notre mouvement. Tout d’abord, il ne s’agit pas d’une manifestation de contestation à la « Che Guevara » (hum hum.), mais bel et bien d’un soutien à un Président et à une politique qui va redresser une France bien mise à mal ces dernières années ».
Certains slogans du reste ont été spécialement concoctés pour l’occasion : « 53%, c’était pas assez », « Sarkozy, président à vie » ou « Sarko, la France te dit merci d’avance »…
Objectif des organisateurs ? On ne trouve sur le site ni revendications précises ni explications de texte à ce happening plus proche de la flashmob que de la manif à portée revendicatrice… Du coup, d’heure en heure, de slogan plus ou moins réussi en chant religieux, on s’interroge. Défoulement, amusement, farce… la question pourrait rester sans réponse – notre demande d’interview est restée lettre morte – si au détour d’un slogan scandé par la foule, le mauvais goût, voire le cynisme, ne l’emportait pas sur la dérision… L’art de la farce n’est pas si simple. Molière, génie en la matière, le disait déjà il y plus de trois siècles : « C’est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens ».