L’après-Charlie: La liberté d’expression en question(s)
Relancé par l’attentat contre Charlie Hebdo, le débat sur la liberté d’expression, ses limites, ses devoirs, n’a pas fini d’agiter les esprits, des conversations au comptoir des bistrots aux séminaires les plus savants.
Il n’est guère de jours où la question ne fasse l’objet de chroniques dans les médias et de jugements dans les prétoires. Atteintes à la vie privée, diffamations, propos racistes, les exemples sont légion et nourrissent notre quotidien.
Où en est la liberté d’expression en France, pays qui lui a donné une expression juridique dès 1789 dans la Déclaration des Droits de l’homme ? C’est à cette tâche que s’est attelé un spécialiste de la question, M°Emmanuel Pierrat dans un petit ouvrage (150 pages) qu’il présente modestement comme «un précis concret, pratique (…) destiné à tous ceux qui ont marché le 11 janvier dernier ».
Le constat initial établi par l’avocat, grand connaisseur du droit de la propriété intellectuelle (« Le livre noir de la censure », Le Seuil, « Le droit du livre, Editions du Cercle et de la Librairie…), ne prête guère à l’optimisme béat : le principe de la liberté d’expression « est battu en brèche depuis deux cent vingt-six ans par la diffamation, l’injure, la respect de la vie privée, le droit à l’image, la pornographie, la présomption d’innocence, la lutte contre le racisme, le négationnisme, l’apologie du terrorisme et quelques centaines d’autres textes qui nous protègent et rendent le principe illisible ».
De fait, dès 1789, le législateur a mis un bémol à ce généreux principe en précisant que cette expression était libre « sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par lui ». La voie balisée était tracée. « De nouvelles restrictions législatives à la liberté d’expression continuent de naître pratiquement chaque année », relève Emmanuel Pierrat. Une inflation législative –mal bien français, comme chacun sait- qui a conduit, estime l’auteur, à faire du droit français l’un des plus contraignants en la matière. Et de rapporter l’opinion des juristes spécialisés : « si un message est diffusable en France, il l’est partout dans le monde ou presque ». L’autocensure constitue l’une des conséquences –et pas des moindres- de ces restrictions dans l’expression : par crainte de sanctions judiciaires et donc financières, les livres polémiques sont de plus en plus « co-édités » par les avocats…
Le « sursaut citoyen » du 11 janvier 2015 ne suffit pas, conclut Emmanuel Pierrat, le temps est venu de réagir pour le législateur et de « la remise à plat de notre carcan juridique, un chantier national pour l’élaguer des lois liberticides et obsolètes ». C’est à ce prix que la liberté d’expression pourra continuer à s’exprimer librement.
La liberté sans expression ? Jusqu’où peut-on tout dire, écrire, dessiner. Emmanuel Pierrat. Editions Flammarion.