Vers un Tribunal Pénal International pour les crimes contre la planète ?
Caroline de Hugo
A Rio+20, le Forum “La Terre est inquiète” et Edgar Morin défendent un projet de Tribunal Pénal International pour les crimes contre l’environnement.
En préambule au sommet RIO +20, l’IIRPC (Institut international de recherche politique de civilisation) présidé par Edgar Morin a présenté à la presse le Forum « La Terre est inquiète » qu’il organise les 18, 19 et 20 juin à l’Université de Rio. Alors qu’à Rio, la confrontation entre pays en crise et pays émergents à fort taux de croissance qui ne veulent absolument pas entendre parler d’écologie, promet d’être très dure, l’Institut veut apporter aux débats une contribution originale, qui mette l’humain au cœur d’un projet politique global.
Comment poser la question de « la révolution verte », en faisant entendre la voix de ceux qui peuvent l’initier, ceux qui vivent de ce qu’on appelle généralement, avec un soupçon de dédain, « les agricultures paysannes et vivrières » ?
Comment faire avancer enfin sur la scène internationale le concept d’agriculture durable face à la menace de pénurie des ressources et au changement climatique ?
Il y a urgence! Les chiffres sont connus, et ils sont sans appel. En trente ans, notre planète a perdu un tiers de ses terres arables. Partout, de l’Ukraine à la Chine, de l’Alaska au Sahel, les petits paysans disparaissent devant les coups de boutoir de l’agriculture pétrochimique. Si lors de la 2e guerre mondiale, les agriculteurs indépendants énergétiquement représentaient 34% de la population et produisaient localement l’essentiel des aliments consommés, ils ne sont plus que 2% dans les grands pays industrialisés (4% en France).
La crise exige des mesures d’urgence comme celles que prit Franklin Delano Roosevelt pendant le New Deal, mais l’enjeu économique se double aujourd’hui d’un défi écologique planétaire qui rend indispensable un vrai plan de relance s’inspirant du Grenelle de l’environnement (pour plus d’information, voir le site www.roosevelt2012.fr), si nous ne voulons pas que le résultat de ces « Trente Désastreuses » préfigure de vraies tragédies sanitaires et sociales.
De vraies opportunités existent pourtant, comme l’a démontré d’Olivier de Schutter dans son rapport spécial à l’O.N.U (1) , qui conclut qu’on pourrait doubler la production de nourriture en dix ans, si on généralisait l’agro-écologie sur la planète.
La force du collectif
Ce forum sera aussi “l’aboutissement d’un travail collectif initié il y a cinq ans durant lesquels nous n’avons eu de cesse d’alerter le monde politique et scientifique sur les problèmes de notre planète” explique Alfredo Pena Vega, le directeur scientifique de l’Institut Edgar Morin. “La Terre est Inquiète” tentera donc de relayer sur la scène internationale la question que posait Jean-Marc Jancovici, le fondateur du cabinet Carbone 4, dans sa préface du Rapport Meadows (Dennis Meadows, l’auteur du rapport « Les Limites à la Croissance » est en photo ci-contre)(2), question qui n’a toujours pas trouvé d’enceinte où être débattue à son juste niveau : “Si la croissance économique perpétuelle doit, à relativement court terme, devenir un simple souvenir, comment, dans ce cadre, organiser un avenir économique, politique, social, et surtout mental qui soit désirable ?” Pour cela, il fera dialoguer des scientifiques, des politiques et des acteurs de terrain comme de nombreux petits paysans, détenteurs d’un savoir-faire ancestral.
La fondation les a invités aux côtés de nombreuses personnalités sud américaines, comme le sénateur brésilien Cristovam Buarque, Marina Silva l’ancienne ministre de l’environnement du gouvernement Lula, ainsi que Maria-Fernanda Espinosa, la ministre du gouvernement Corréa en Equateur.
Le chef des Indiens Kayapo, Raoni, qui se bat sans relâche pour la défense de la forêt amazonienne sera lui aussi de la partie, tout comme Irina Bokova, la directrice générale de l’UNESCO.
La présence de tous ces acteurs de terrain est indispensable, comme l’explique Philippe Desbrosses dans son récent ouvrage (3) :« seul le milieu rural peut permettre une renaissance économique durable, dans une perspective de protection de l’environnement , de préservation des ressources, d’économie d’énergie, de qualité des produits et des services, de sécurité, d’innovation, de développement soutenable et plus généralement de qualité de vie”.
Mais l’un des temps forts du Forum sera sans nul doute la présentation d’un projet de Tribunal Pénal International, pour juger les crimes contre l’environnement.
Conscients qu’il est plus que temps de redéfinir une vraie “règle d’or” mondiale contre les pollueurs, plusieurs juristes internationaux de renom participeront à cette réalisation, dont la française Eva Joly. La demande de création d’un TPI devrait être présentée lors de la conférence des chefs d’État… De sacrés débats en perspective !
1. « Agroécologie et droit à l’alimentation, présenté à la 16e session du Conseil des droits de l’homme del’ONU (A/HCR/16/49)
2. « Les Limites à la Croissance dans un monde fini », version remise à jour, Donatelle Meadows, Denis Meadows, Jorgen Randers, Rue de l’Échiquier, 2012, 25 euros. Ce rapport fut commandé en 1972 par le Club de Rome à quatre chercheurs du MIT. Pour la première fois, leur recherche établissait les conséquences dramatiques sur le plan écologique d’une croissance économique exponentielle dans un monde fini. Il prévoyait, si rien n’était fait pour stabiliser la croissance, un effondrement 60 ans après… En 2012, En 2004, le successeur de Dennis Meadows pour le Club de Rome, Graham Turner, déclarait : « Si l’humanité continue à consommer plus que la nature ne peut produire, un effondrement économique se traduisant par une baisse massive de la population se produira aux alentours de 2030. »
3. « Manifeste pour un Retour à la Terre », Philippe Desbrosses, avec Edgar Morin et Olivier de Schutter, éditions Dangles, 2012, 6 euros.