Avec la création d’un ministère délégué à l’Economie sociale et solidaire et son rattachement à Bercy, le gouvernement lance un signal positif au secteur de l’ESS. Mais nombre de questions restent en suspens.
C’est incontestablement un signal fort. Pour la première fois, le gouvernement compte un ministère délégué à l’Economie sociale et solidaire. En 2000, Lionel Jospin avait ouvert une première porte vers l’adoubement exécutif de l’ESS en lui dédiant un secrétariat d’Etat, alors placé sous la tutelle du ministère de l’Emploi et de la Solidarité. Le gouvernement Ayrault 1 va donc plus loin dans la légitimation protocolaire. D’autant plus qu’en rattachant l’ESS au ministère de l’Economie et des Finances, il l’affranchit d’une traditionnelle inféodation à sa seule fonction réparatrice. Enfin, d’un point de vue plus politique, on peut noter que le profil du ministre, Benoît Hamon, porte-parole du Parti socialiste et tête de pont de son aile gauche, exprime une volonté du pouvoir socialiste de prendre visiblement la main sur un champ historiquement très investi par le courant écologiste.
Cette promotion de l’ESS – en tout cas dans ses deux premières expressions – a inspiré un satisfecit partagé au sein des divers représentants de la filière, saluant à l’unisson la reconnaissance d’une contribution de leurs structures à l’économie française.
Articulation complexe avec de nombreux ministères
Pour autant, nombre de questions restent ouvertes, suspendues pour l’essentiel au périmètre effectif de compétences du nouveau ministère. Si Benoît Hamon l’a d’emblée défini comme “un ministère à part entière”, l’articulation avec les autres composantes gouvernementales ne sera pas aisée. Au confluent de nombreux secteurs, le ministre va non seulement devoir composer avec la tutelle de Bercy, mais aussi coopérer avec pas mal de ses homologues. Le ministère délégué à l’ESS pourrait même bien être l’expression la plus flagrante du concept de “coopération interministérielle”.
La stratégie de développement du secteur de l’ESS sera bien sûr définie en accord avec Pierre Moscovici, ministre de l’Economie, des Finances et du Commerce extérieur. Benoît Hamon devra également travailler avec Arnaud Montebourg, en charge du Redressement productif, sur les conditions de reprise par les salariés sous forme coopérative des entreprises menacées. Avec Valérie Fourneyron, ministre des Sports, de la Jeunesse, de l’Education populaire et de la Vie associative, il abordera nécessairement les questions relatives au financement et à la professionnalisation des associations.
Sur l’épineux dossier des mutuelles de santé et des transferts de dépenses de Sécurité sociale, il travaillera avec Marisol Touraine, Ministre des Affaires sociales et de la Santé. Même obligation de coopération sur le dossier des “emplois d’avenir”, porté par Michel Sapin, ministre du Travail, de l’Emploi et du Dialogue Social. Benoît Hamon devra accompagner Bernard Cazeneuve, ministre délégué en charge des Affaires européennes, dans l’inscription et la reconnaissance des structures et des valeurs de l’ESS à l’échelle communautaire. Et l’on pourrait – devrait – continuer ainsi longuement – et sans ordre de priorité – la liste des zones de recouvrement interministériel : logement, agriculture, personnes âgées, solidarité internationale, culture, éducation…
Quels moyens pour quelles priorités ?
La question du périmètre fonctionnel pose en outre celle des moyens dont disposera Benoît Hamon pour défendre ses dossiers. Quel budget ? Quid de la Délégation interministérielle à l’innovation, à l’expérimentation sociale et à l’économie sociale (DIIESES), résultat d’une longue dégénérescence de la Délégation interministérielle à l’économie sociale (DIES) créée en 1981 sous l’impulsion de Michel Rocard ? Depuis 2010, la DIIESES, réduite à sa portion congrue, est fondue dans le giron d’une Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) mégastructure fourre-tout s’il en est.
Le ministre a d’ores et déjà annoncé qu’il présentera les grands axes de sa feuille de route début juillet, à l’occasion de l’assemblée plénière du Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire (CSESS). Trois sujets devraient figurer à l’ordre du jour : la contribution du CSESS au développement du secteur, dans l’optique de l’élaboration d’une loi de programmation ; le financement de l’économie sociale et solidaire, dans le cadre notamment du projet de Banque publique d’investissement (BPI) ; le déploiement des “emplois d’avenir ” dans le secteur associatif.
Loi cadre, Banque publique d’investissement et “emplois d’avenir”
Autant de questions majeures pour l’ESS. La mise en œuvre d’une loi cadre fait partie des dix engagements en faveur de l’ESS du candidat François Hollande à la Présidence de la République. S’il s’agit d’une revendication de longue date du secteur, le sujet ne manquera pas de susciter des débats entre ses diverses “familles”, habituées il est vrai aux disputes de clochers. Entre les tenants d’un certain tropisme statutaire et les aboutissants d’un pragmatisme “ouvert”, les rédacteurs de la loi devront dépasser les discordances ataviques de l’économie sociale, de l’économie solidaire et de l’entrepreneuriat social. Pas simple.
Autre chantier : la Banque publique d’investissement. Durant la campagne présidentielle, François Hollande a prévu de consacrer 20 % du budget du futur établissement, soit 500 000 euros, aux entreprises du secteur. Benoît Hamon a pour sa part évoqué une structuration régionale de la BPI, faisant ici écho à une attente marquée du secteur, soucieux de défendre l’ancrage territorial de l’ESS.
Enfin, quelle sera précisément la ventilation des 150 000 “emplois d’avenir” (emplois à plein temps, d’une durée de cinq ans, financés à 75 % par l’Etat et garantissant a minima un Smic) ?
Symbole de la “cogestion interministérielle”, le ministère délégué à l’ESS pourrait a priori être légitimement mobilisé sur une dizaine des “soixante propositions pour la France” de François Hollande.