La politique politicienne revient en force dans la perspective de la campagne présidentielle. La communication politique se substitue au débat, aussi bien sur le nucléaire que les 35 heures ou la situation financière de la France.
A cinq mois des élections présidentielles, la vie réelle disparaît déjà des discours des partis en lice. Pourtant, l’opinion publique est taraudée par la crise. Elle réclame autre chose aux leaders politiques que des propos de campagne déclinés des « éléments de langage » uniquement destinés à alimenter la polémique.
Selon le baromètre du Cevipof « 83% des Français considèrent que les responsables politiques se préoccupent peu ou pas du tout de ce que pensent les gens comme eux » . Les électeurs s’intéressent de plus en plus à la politique, mais font de moins en moins confiance aux leaders des partis. Ils leur lancent un signal pour qu’ils parlent vrai. Mais loin d’abdiquer, la politique politicienne alimente la chronique sans répondre aux inquiétudes des électeurs. Gare aux retours de bâtons !
Pourquoi bâcler le débat PS-EELV sur le nucléaire ?
La polémique entre le Parti socialiste et Europe Ecologie les Verts (EELV), autour d’un « contrat de mandature », raturé, contesté et finalement réaffirmé, a été un modèle du genre. Que peuvent espérer des électeurs d’un accord sur le nucléaire à ce point bâclé ? Les Verts ne s’en remettent pas. Les états-majors se déchirent, les électeurs sont au spectacle.
D’un côté l’écologie, de l’autre les enjeux politiques et le nombre des circonscriptions qui pourraient être dévolues aux Verts. Mais rien sur les effets du fameux accord ni sur la façon de réduire de 25% de la part du nucléaire dans la production d’électricité. Les choix de société derrière ces engagements sont passés sous silence.
Pourtant, on est en droit de s’interroger. L’accord est-il réaliste ? Ou, au contraire, faut-il aller plus loin dans la fermeture des centrales ? Quand Eva Joly rêve d’une sortie du nucléaire, Ségolène Royal pour les socialistes parlent d’une sortie de la dépendance au nucléaire. Les éléments de langage ne sont pas du seul apanage de la droite.
François Chérèque, numéro un de la CFDT, regrette une approche trop dogmatique qui fait abstraction de la réalité : « Dans le contrat PS/Europe Ecologie-Les Verts, il est prévu de fermer 24 réacteurs mais on n’a pas de volet social(…) On est dans une mutation industrielle, donner l’impression qu’on peut transformer l’énergie sans réfléchir à la mutation sociale, ce n’est pas sérieux ».
Mais Nicolas Sarkozy n’a pas plus pris en compte la réalité lorsque, contre-attaquant au Tricastin sur le terrain de l’énergie nucléaire, il s’est placé en dépositaire de l’aspiration des Français pour maintenir le cap de la politique énergétique française, alors qu’aucune consultation de l’opinion publique n’a été organisée depuis l’accident de Fukushima.
Or, selon le baromètre – très complet- de l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) publié en juin 2011, 9 Français sur 10 estiment qu’un accident dans une centrale nucléaire pourrait avoir des conséquences très graves. Et seulement 4 sur 10 considèrent que toutes les précautions sont prises pour assurer un haut niveau de sécurité. Un signe d’inquiétude évident ! En outre, si les résultats du sondage ont été rendus publics en juin dernier, l’enquête a été réalisée en décembre 2010… avant la catastrophe de Fukushima. On peut supposer que, depuis, l’aversion au risque nucléaire s’est accrue. Pourtant, l’assurance du Président de la République est sans faille. La bulle politique se nourrit de la méthode Coué.
Pourquoi l’UMP tronque-t-il le débat sur les 35 heures ?
Avec la perspective de l’élection présidentielle, la politique retourne en cuisine. Les premiers rôles reprennent les habituelles postures, les autres se saisissent des éléments de langage. Ainsi, Jean-François Copé relance l’attaque sur les 35 heures, l’un de ses thèmes de prédilection. Pourtant, cette durée légale n’est pas un butoir et n’empêche pas les entreprises de négocier avec leurs salariés les conditions d’aller au-delà de cette durée légale.
En réalité, le véritable objectif de la majorité consiste à faire sauter toute durée légale, ce que réclame le Medef qui juge le concept « obsolète ». Toutefois, pas question pour la fédération patronale de remettre en question les allègements de charges obtenus au titre de la réduction du temps de travail. Le beurre, et l’argent du beurre… sachant que les 35 heures ont, à elles seules de 1998 à 2011, généré 125 milliards d’euros d’allègements de charge selon le Sénat . Des sommes qui ont réduit le coût du travail, contribuant à la compétitivité des entreprises au détriment, certes, des caisses de l’Etat.
Ces allègements « 35 heures » ne sont pas les seuls qui ont été consentis aux entreprises : ils ne représentent que 55% du total des allègements de charges sociales (22 milliards d’euros par an). Mais faut-il comprendre dans le discours de Jean-François Copé qu’ils seraient remis en question en même temps que les 35 heures, pour renflouer l’Etat ?
La présentation du dossier des 35 heures est tronquée. Elle est uniquement politique, au point que nombre d’entreprises s’en inquiètent, redoutant de perdre des avantages dans un débat qui leur échapperait.
Pourquoi faire l’autruche au gouvernement ?
On pourrait multiplier les exemples qui placent le projet politique au niveau de la seule communication politicienne et non de l’action. A propos du regard porté par les marchés financiers sur la situation française, François Baroin, ministre de l’Economie, affirme mordicus que «les niveaux de taux aujourd’hui, à court terme ou à dix ans, sont parmi les meilleurs au cours de la décennie qui vient de s’écouler » et qu’ils n’ont « pas d’impact sur la charge de la dette ».
On ne lui reprochera pas de ne pas vouloir céder à la pression financière entretenue par les agences de notation. Mais nier à ce point la réalité pour justifier les options de politique économique du gouvernement Fillon tient plus de la méthode Coué que de l’engagement politique. A moins que celui-ci ne soit réductible à de stériles joutes verbales dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, sur le thème de l’entrée « par effraction » des socialistes au gouvernement avec Lionel Jospin quand elle est le résultat de l’expression démocratique des électeurs. Pauvre polémique pour en évacuer d’autres!
Valérie Pécresse, ministre du Budget, a tout autant de mal à convaincre lorsqu’elle soutient qu’il n’y aura pas de troisième plan d’austérité alors que, pour tenir cette position, elle doit faire abstraction de la perspective de croissance nulle en fin d’année pronostiquée pourtant par la Banque de France. Malheureusement, il ne suffit pas d’y croire. Car pendant ce temps, l’Europe entre en récession, et la France avec elle.
Texte paru sur www.apidoc.fr