Migrations: les mesures alternatives à la rétention
Les Etats ne s’intéressent que de façon ponctuelle à la question des alternatives à la rétention, sans montrer de véritable engagement. Un rapport rédigé par Ana Catarina MENDONÇA de la Commission des migrations, des réfugiés et de la population a eu le mérite de se pencher sur ces mesures alternatives.
Tania et Ivan, son fils, de 14 ans sont russes. Ils vivent clandestinement en Belgique depuis huit ans. Sans cesse sur le qui-vive, Tania redoute les contrôles de police jusqu’au jour où elle est arrêtée. La mère et le fils sont séparés. Tania est placée dans un centre de rétention. Elle fera tout pour retrouver son fils mais n’échappera pas pour autant aux menaces d’expulsion.
Il faut aller voir le film « Aucun homme n’est illégal » dans les quelques rares salles de cinéma où il passe encore. Admirablement mis en scène, ce film jette une lumière crue sur la rétention.
Plusieurs études ont récemment mis l’accent sur le fait que la rétention des migrants était à la fois inefficace en tant qu’outil de contrôle des flux migratoires et extrêmement nuisible aux personnes retenues. L’attitude consistant, de la part des gouvernements, à considérer la rétention comme la solution magique au défi du contrôle des migrations a été critiquée.
Cependant les Etats construisent de nouveaux centres de rétention. Le risque est que « construire plus » ne devienne synonyme de « remplir plus » ; en outre, l’ouverture de nouveaux centres de rétention s’accompagne souvent d’une dégradation de ces centres. Les travaux de construction risquent en effet d’engloutir les finances publiques, ne laissant pas assez de ressources pour gérer les centres et prendre soin des personnes qui y vivent. La solution à ces problèmes, qui tiennent du cercle vicieux, consiste clairement à prévoir de véritables alternatives à la rétention.
Malgré ce tableau alarmant, tous les documents que l’on peut lire sur le thème de la rétention des migrants, y compris ceux émanant des autorités nationales elles-mêmes, affirment que la rétention ne devrait être utilisée qu’en dernier recours et qu’il convient d’étudier d’abord les alternatives. Devant une telle unanimité, on ne peut que s’étonner – c’est le moins que l’on puisse dire – de l’absence de mise en oeuvre de ce principe sur le terrain. Le manque de statistiques et de recherches précises et récentes dans ce domaine ne vient pas améliorer la situation. Les Etats ne s’intéressent que de façon ponctuelle à la question des alternatives à la rétention, sans montrer de véritable engagement.
Un rapport rédigé par Ana Catarina MENDONÇA de la Commission des migrations, des réfugiés et de la population a eu le mérite de se pencher sur ces mesures alternatives. Place Publique a jugé utile de vous en livrer quelques extraits
Extrait du rapport « La rétention administrative des demandeurs d’asile et des migrants en situation irrégulière en Europe »
Les centres ouverts ou semi-ouvert
Les études comparatives sur les alternatives à la rétention montrent que l’alternative la plus fréquente est le placement des demandeurs d’asile dans des établissements spéciaux, le plus souvent ouverts ou, dans certains cas, semi-ouverts (les personnes concernées doivent vivre dans le centre, mais peuvent quitter les locaux dans la journée pour y retourner la nuit). Il existe tout un éventail de foyers plus ou moins ouverts, le plus souvent financés par l’Etat (mais gérés par des partenaires privés). Ces établissements ne sont pas à l’abri de critiques concernant le respect des droits de l’homme et doivent respecter pleinement les personnes placées dans leur périmètre et prendre en compte le droit à la liberté de mouvement garanti par le droit international.
L’obligation d’enregistrement ou de signalement
L’obligation d’enregistrement et l’obligation de signalement font partie des alternatives à la rétention les plus communes. Une personne peut être mise en liberté à condition d’enregistrer son lieu de résidence auprès des autorités responsables. Une autorisation est requise pour tout changement d’adresse, avec parfois obligation d’enregistrer la nouvelle adresse auprès des autorités concernées. Les migrants et demandeurs d’asile obtiennent leur attestation d’enregistrement officielle après avoir rempli une procédure donnée et sur présentation de certains papiers d’identité ; cependant, il arrive que l’enregistrement se fasse sans présentation de carte d’identité ou autre document.
Les intéressés peuvent également être tenus de signaler régulièrement leur présence, en personne, par téléphone ou par écrit, à la police, aux services de l’immigration ou à d’autres organismes spécialisés. Les obligations de signalement et d’enregistrement peuvent être appliquées ensemble, ce qui multiplie les alternatives à la rétention. Presque tous les pays de l’Union européenne prévoient le recours à ces mesures de « pointage » et/ou d’enregistrement.
Lorsque ces alternatives sont utilisées, toutes les précautions doivent être prises pour s’assurer que les obligations d’enregistrement et de signalement ne sont pas excessives et ne se traduisent pas par une restriction injustifiée de la liberté de mouvement ou ne gênent pas les personnes dans leur vie quotidienne (en les contraignant, par exemple, à consacrer beaucoup de temps et d’argent pour se rendre sur les lieux où elles sont tenues de s’enregistrer ou de signaler leur présence). Il convient également de prendre en compte les effets de tels programmes sur la vie privée et familiale de ceux qui vivent avec la personne mise en liberté.
Le contrôle du lieu de résidence
Il existe également la possibilité d’une mise en liberté avec obligation de résider dans une région administrative ou une municipalité donnée. Autre solution : l’interdiction de résider dans un lieu donné. Dans certains pays, cette alternative est également utilisée comme un outil de dispersion, pour que les migrants et demandeurs d’asile soient distribués de façon égale sur tout le territoire et que leur prise en charge soit répartie entre les différentes régions.
La mise en liberté surveillée
La mise en liberté sous caution / signature d’une convention / désignation d’un garant sont des mesures qui existent par exemple au Royaume-Uni, en Slovénie, en Finlande ou au Danemark. La personne chargée de prendre la décision doit avoir l’assurance que le garant offrira l’hébergement nécessaire et qu’il peut fournir une certaine somme d’argent (confisquée si le requérant ne respecte pas les conditions de libération fixées). Le requérant doit également remplir plusieurs conditions dont une obligation de signalement et la participation à des entretiens avec les autorités, ce qui peut être formalisé dans une convention écrite. Lorsqu’un cautionnement est prévu et que le requérant manque à l’une de ses obligations, le garant se voit confisquer la somme prévue. Dans bien des cas, la simple menace de confiscation incite les personnes concernées à respecter leurs obligations. Le rapporteur note que ces alternatives, lorsqu’elles sont utilisées, doivent prendre raisonnablement en compte les liens familiaux existants et la situation économique des personnes concernées.
Cette mise en liberté surveillée peut également être faite auprès de particuliers, de parents, d’ONG ou d’organisations religieuses : une personne peut être libérée avec l’accompagnement, par exemple, d’un travailleur social ou d’un réseau de soutien. La libération peut également être placée sous le contrôle d’autres personnes, de membres de la famille proche, de parents ou de membres d’ONG ou d’organisations sociales ou religieuses. Le particulier ou le collectif assurant le contrôle doit se porter garant du fait que l’intéressé se rendra aux réunions et rendez-vous prévus. Comme pour la libération sous caution, le garant s’acquitte d’une pénalité financière si la personne qui lui est confiée enfreint ses obligations.
Cette alternative semble mieux fonctionner lorsqu’elle s’accompagne d’autres mesures, dont des mesures de suivi d’intensité diverse et appropriée ou des obligations de signalement. Au Canada, presque 92 % des mises en liberté sous le contrôle d’une ONG ont été couronnées de succès.
Enfin il existe la mise en liberté avec désignation d’un travailleur social. Bien que cette alternative soit peu utilisée dans la pratique, elle pourrait constituer un mode de libération efficace. Le travailleur social désigné pourrait aider l’intéressé à respecter ses obligations, mais aussi lui apporter des conseils pour l’aider à surmonter des situations difficiles. Les rendez-vous avec le travailleur social pourraient remplacer les obligations de signalement et contribuer au suivi de la procédure d’éloignement. De plus, dans le cas des enfants, la libération pourrait s’accompagner d’une mise sous tutelle judiciaire et/ou d’une surveillance par les services sociaux. Cette mesure serait particulièrement intéressante, étant donné qu’il est déjà arrivé, à plusieurs reprises, que les autorités locales perdent la trace de mineurs dont elles avaient la charge.
Mise en liberté contre remise de titres de voyage et/ou d’autres types de documents.
La saisie de documents est une mesure utilisée pour prévenir l’éventuel départ vers un autre pays européen, par exemple à la suite du dépôt d’une demande d’asile (ou d’une demande de titre de séjour). L’intéressé peut être tenu de présenter ses papiers régulièrement – toutes les semaines, par exemple – ou de les remettre pour une période provisoire, aussi longtemps que nécessaire à l’application des mesures de sauvegarde. Ce moyen est lui aussi souvent utilisé en combinaison avec d’autres alternatives.
Des mesures de contrôle peuvent être appliquées au moment de la libération (par exemple, la délivrance d’un permis de travail temporaire ou d’un prolongement de visa peut dépendre du respect des obligations de signalement ou de la participation aux réunions).
L’enregistrement au moyen de documents spécifiques (électroniques) ou le suivi électronique sont bien connus concernant les personnes libérées sous caution après une condamnation pénale. Cependant, ils pourraient aussi constituer un moyen de surveiller les déplacements d’une personne dans le contexte administratif. Il peut s’agir de méthodes de surveillance électronique ou d’autres méthodes appropriées de contrôle des déplacements, dont le satellite. Les déplacements hors de la zone autorisée alerteraient la police et la personne concernée pourrait être replacée en rétention, avec mention de cette tentative de fuite dans son dossier.
Lorsque l’on décide d’utiliser une telle mesure d’enregistrement, il convient de se soucier de son incidence sur les droits fondamentaux des personnes concernées, et notamment de la proportionnalité et de la nécessité de la mesure, et du besoin d’exercer un contrôle par une autorité compétente, judiciaire ou autre, qui décidera de l’annuler ou d’en moduler les conditions.