La taxe carbone, passeport pour Copenhague
Avec la « contribution climat énergie » qui doit être mise en place dès 2010, la France arrive à Copenhague en champion du développement durable.
La conférence de Copenhague qui se tiendra du 7 au 18 décembre 2009 doit être l’occasion pour près de 200 pays de se mettre d’accord sur de nouvelles mesures pour lutter contre le réchauffement climatique
Une taxe carbone correspondant à 17 euros la tonne de CO2 : « Ce niveau n’est pas assez élevé pour être dissuasif, la taxe va être noyée dans la masse », a clairement commenté Michel Rocard, invité à s’exprimer sur les enjeux de la taxation carbone devant les étudiants de l’université Paris-Dauphine. Pourtant, l’ancien Premier ministre salue la mise en place de cette « contribution climat énergie » encore plus importante selon lui que la TVA introduite en 1963, et dont les recettes doivent être affectées à la lutte contre l’effet de serre. Aussi, tant pis si les préconisations du groupe qu’il a présidé n’ont pas été suivies : « Il faudra toutefois revoir les modes de calculs des taux d’actualisation », pour se rapprocher, avec le temps, de niveaux plus compatibles avec l’objectif recherché.
Tout nouvel impôt est impopulaire
Cette taxe, décriée à droite comme à gauche et par de multiples lobbies (agriculteurs, routiers, marins pêcheurs…), va avoir du mal à trouver sa place. Et c’est normal. Perçue comme un impôt supplémentaire, pouvait-il en être autrement ?
Selon un sondage TNS-Sofres/Logica de septembre, deux Français sur trois y seraient opposés. Les contribuables électeurs n’aiment pas les impôts, c’est un fait. Même pour lutter contre les émissions de gaz carbonique, on savait que la mesure ne serait pas populaire. Mais elle répond à une promesse de campagne du candidat Sarkozy avec la signature du Pacte écologique de Nicolas Hulot, promesse réitérée à l’automne 2007 lors de la clôture des travaux du Grenelle de l’Environnement : « Tous les projets publics, toutes les décisions publiques seront désormais arbitrés en intégrant leur coût pour le climat, leur coût en carbone », avait-il déclaré.
Des hypothèses pour déminer le terrain
De multiples opérations ont été menées pour déminer le terrain. Une conférence de consensus présidée par Michel Rocard a fixé à 32 euros le montant de cette taxe par tonne de CO2, pas très loin des 30 euros retenus par la mission Quinet du Centre d’analyse stratégique sollicité par Matignon sur la question.
Une Commission énergie, dans un rapport sur les perspectives énergétiques de la France à l’horizon 2030-2050, avait également planché sur la question, établissant des montants moins élevés que les deux autres groupes de travail. Et durant tout l’été, Jean-Louis Borloo, ministre de l’Ecologie et de l’Energie, a longuement martelé que cette contribution, dont la fonction est de dissuader les consommateurs de recourir des énergies fossiles et de privilégier les énergies alternatives, « ne serait pas une taxe supplémentaire » et qu’elle serait mise en œuvre « à prélèvement constant » avec redistribution aux ménages les plus vertueux ; la réalité n’est toutefois pas aussi simple.
« Il est déjà trop tard »
En plus, des personnalités proches des écologistes ont longuement développé leurs thèses.
Par exemple, Jean-Marc Jancovici, membre du Comité de veille écologique de la Fondation Nicolas Hulot et fondateur du cabinet de conseil « Carbone 4 », considère cette taxe comme « une prime d’assurance pour anticiper la rareté des ressources naturelles et le réchauffement climatique ». Il ne méconnaît pas la critique concernant les dépenses supplémentaires pour les ménages modestes, mais il en assume la nécessité : « Penser que l’on pourra réduire les émissions des pays industrialisés sans toucher aux émissions des ménages modestes est hélas un leurre. » Et contre l’injustice sociale, il est toujours possible de diminuer ou de faire disparaître une autre taxe.
De toute façon, selon lui, il n’existe pas de véritable alternative. Sans modification du comportement des acteurs économiques pour réduire leur dépendance aux combustibles fossiles, on assistera à des crises à répétition dont les remèdes seront bien plus contraignants que la prévention. « Agir pour éviter les effets du réchauffement climatique coûtera toujours moins cher que d’en payer les conséquences », affirme-t-il sur son site en se référant aux travaux de l’ancien économiste en chef de la Banque Mondiale, Nicholas Stern, dans un rapport publié en novembre 2006. Et les économies peuvent le supporter, comme le montrent d’autres pays européens (la Finlande en 1990, suivie l’année suivante par la Suède, puis la Norvège et le Danemark) qui ont déjà instauré une « taxe carbone ». Aussi, pour Jean-Marc Jancovici, coauteur avec Alain Grandjean de « C’est maintenant ! Trois ans pour sauver le monde » (Le Seuil), « il est presque trop tard pour réagir ».
Des compensations pour influencer les comportements
Ainsi, quelques semaines avant l’ouverture de la Conférence de Copenhague pour apparaître comme un champion de la lutte contre le réchauffement climatique, Nicolas Sarkozy a tranché : la taxe carbone verrait le jour dès 2010, mais en se basant sur un coût de la tonne de carbone à 17 euros seulement (soit à peu près son prix sur le marché du carbone).
Parallèlement, un mode de compensation (par déduction fiscale ou « chèque vert ») est instauré pour inciter les ménages et les entreprises à adopter des comportements vertueux pour que cette taxe pèse le moins possible sur leurs finances.
Concrètement, cette compensation sur un an se montera à 46 euros par adulte en zone urbaine, 61 euros en zone rurale, et 10 euros supplémentaires par personne à charge. Ainsi, les effets de la taxe devraient être en grande partie neutralisés, notamment sur le pouvoir d’achat des foyers modestes. Toutefois, pour qu’elle fonctionne, la neutralité fiscale n’est pas un objectif, mais seulement une récompense pour les comportements les moins polluants.
Quelle progression du poids de la taxe ?
Une inconnue subsiste sur l’avenir de cette compensation, concernant son niveau dans les années à venir. L’objectif rappelé par le Premier ministre François Fillon est que cette taxe augmentera chaque année. La réunion d’experts réunis autour de Michel Rocard comme la mission Quinet du Centre d’analyse stratégique installée à la demande de Matignon, avaient toutes deux émis une hypothèse à 100 euros la tonne de CO2 vers 2030. Ce qui correspondrait à sextupler le montant de la taxe en vingt ans.
Faut-il imaginer que le montant de la compensation progressera dans les mêmes proportions, ou que la taxe pèsera de plus en plus lourd sur le pouvoir d’achat des consommateurs les moins vertueux pour en augmenter l’effet dissuasif ? Confronté à une opinion publique aux deux tiers hostile à l’instauration de la taxe carbone, Nicolas Sarkozy a préféré laisser pour l’instant cet aspect du dossier dans l’ombre. Il sera toujours temps d’y revenir… après la fin de ce quinquennat.
Une fiscalité sur l’énergie moins élevée en France
Une première étape aura été franchie, dans un climat politique conforme à ce que l’on pouvait s’attendre au regard de l’enquête Eurobaromètre réalisée pour la Commission européenne dans les 25 pays de l’Union et rendue public en janvier 2006.
On y apprenait que 31% des Français seulement se déclaraient « favorables à des incitations fiscales pour promouvoir un usage efficace de l’énergie ». Ainsi, le rapport était déjà de l’ordre de 2/3 contre et 1/3 pour, plutôt moins bien que sur l’ensemble de l’Union où 40% des personnes interrogées étaient favorables à des incitations fiscales.
D’autres Européens comme les Allemands, les Britanniques ou les Suédois doivent faire face à une fiscalité sur l’énergie (toutes origines confondues) plus élevée.
D’après Eurostat, le taux d’imposition implicite de l’énergie en 2007 était de 203 euros par tonne d’équivalent pétrole en Allemagne, 218 euros au Royaume-Uni et 196 euros en Suède, contre « seulement » 158 euros en France.
Les transports en ligne de mire
Certes, les Français ont déjà fait des efforts pour la sauvegarde du climat. Depuis 1998, (année de l’ouverture à ratification du protocole de Kyoto) jusqu’à 2007, l’indice des émissions de gaz à effet de serre en France est passé de 102,5 à 94,2, indique l’institut européen de statistiques Eurostat.
Dans le même temps, le même indice pour l’Union européenne à 15 pays a baissé de 97,6 à 95. Les Français ont donc plus progressé que la moyenne de leurs voisins.
Malgré tout, les transports qui produisent environ 35% des émissions nationales de CO2, sont le mauvais élève de la lutte contre les gaz à effet de serre : en quinze ans, ils ont produit 22% de CO2 en plus alors que l’industrie sur la même période les réduisait de 20%. Impossible dans ces conditions, de vouloir progresser dans la réduction des émissions de CO2 sans s’attaquer aux transports en général, et à la pollution automobile en particulier.
Par tous les bouts, la technologie comme la fiscalité, pour parvenir à une division par quatre émissions mondiales de gaz à effet de serre au milieu du siècle.