L’abstention aux élections européennes 2009 : l’autisme des institutions
Pourquoi l’abstentionnisme a-t-il toutes les chances d’être majoritaire aux prochaines élections européennes ?
Dans son livre « Les civilisations occidentales, une histoire en quête d’avenir »,* [[« Les civilisations occidentales, une histoire en quête d’avenir », de Bertrand Dutheil de la Rochère, Editions Economica, 350 pages.]] Bertrand Dutheil de La Rochère avance une explication au désintérêt des électeurs de l’Union.
Pourquoi les citoyens de l’Europe demeurent-ils si indifférents à la construction de leur univers économique, social et culturel ? Pourquoi l’Europe ne parvient-elle pas à se rapprocher de ces citoyens pour s’imposer comme un enjeu au quotidien, un bien collectif qui mobilise les électeurs ?
Obsolescence
Bertrand Dutheil de La Rochère est un proche de Jean-Pierre Chevènement et un observateur engagé de la vie politique, toujours actif au Mouvement Républicain et Citoyen. Son livre explore les peuples européens, leur fondamentaux culturels et leur histoire bien avant la naissance de la Communauté européenne, mais son cheminement consacre un chapitre entier à l’Europe. _
La construction européenne avait à l’origine trois objectifs, explique-t-il : « D’abord, elle devait conforter la reconstruction et favoriser la croissance. Mais elle est arrivée trop tard pour la première et a été incapable de véritablement répondre aux difficultés économiques survenues depuis 1974. Ensuite, elle a été conçue comme un rempart contre le communisme. Mais l’Union soviétique s’est disloquée pour des raisons internes. Enfin, elle devait sceller la réconciliation franco-allemande. Mais plus les deux pays établissent des relations étroites, plus leurs différences irréductibles s’accusent et finissent par se transformer en méfiance réciproque, parce que l’essence même de chacune des deux nations est en jeu. (…) Le dispositif issu du traite de Rome est obsolète parce que les objectifs sont atteints ou ont perdu toute pertinence. Il ne peut être réformé. Il doit être remplacé. Il gît sous les décombres du mur de Berlin. »
Abdication
On se souvient que Jean-Pierre Chevènement avait été le porte-parole d’un « non de gauche » pendant la campagne qui a précédé le référendum sur le traité de Maastricht, en 1992. Il dénonçait entre autre des transferts de souveraineté à des institutions artificielles, qui s’exonéraient de l’histoire des nations pour inventer de nouvelles structures sans référents et définir un nouvel ordre économique et financier, fondé sur le libéralisme et la concurrence avec pour objectif d’inventer une culture qui soit bien commun aux pays de l’Union.
Dix-sept ans plus tard, Bertrand Dutheil de La Rochère constate qu’ « une politique économique dénuée de perspective historique est extrêmement hasardeuse, pour ne pas dire calamiteuse. (…)
Dans le libéralisme élaboré à l’aube de l’ère historique des révolutions, l’économie est conçue comme le moteur du monde. Le marché doit régner en maître, en partenariat avec la société civile, avec une puissance publique réduite au rôle de gendarme. La démocratie se limite à un choix de personnes, puisque sur le fond une seule politique serait possible. » Ce libéralisme-là, dépouillé de toute perspective politique et face auquel les dirigeants des Etats ont progressivement abdiqué, est bien celui dont la Commission européenne fit la promotion depuis près de trente ans, et qui creusa un fossé entre l’Europe des citoyens et l’Europe des institutions.
Et la culture, « quand elle n’est pas confondue avec le divertissement, est réduite aux beaux-arts, vernis qui se veut un supplément d’âme et non une expression de l’âme collective du peuple et de la nation. (…)
En ignorant la profonde originalité de chaque culture, en galvaudant même le mot de culture, en imposant comme éternel et universel les normes d’une culture, la mondialisation libérale a aiguisé le choc des civilisations en affrontements violents », souligne Dutheil de La Rochère. Choc des civilisations, et crise de civilisation « dont les aspects financiers ne sont que la parte superficielle et le contenu économique la partie la plus visible ».
Caricature
Ainsi, si la citoyenneté peut se définir, selon l’auteur des « civilisations occidentales », comme « l’intervention de l’individu dans un espace public », elle est de moins en moins revendiquée par les citoyens eux-mêmes dans la mesure où l’Union européenne, avec ses objectifs obsolètes, est devenue une « caricature malfaisante de la Res publica ».
Voter ? A quoi bon… Alors que le contenu du projet européen doit être réinventé pour qu’une nouvelle dynamique soit enclenchée, alors que le citoyen réclame autre chose que le replâtrage d’un système qui a fait faillite, on ne lui propose rien d’autre… avec en prime la perspective d’une reconduction à la tête de la Commission des mêmes hommes que ceux qui ont participé à cette faillite, pour mener la même politique.
Il était déjà compliqué pour l’Union européenne de favoriser l’émergence d’une citoyenneté alors que dans bien des domaines – l’unité linguistique, par exemple, qui cimente un espace public commun – elle doit composer avec des handicaps consubstantiels. A vouloir ignorer la persistance d’une crise – qui se manifeste par l’éloignement des citoyens – maintes fois relevée et jamais enrayée, les institutions européennes semblent résignées à un isolement qui, progressivement, mine leur légitimité. Et risque de les transformer un jour en citadelles assiégées.