Face à la flambée des cours des matières premières alimentaires et contre les risques de famines, les membres du G20 veulent créer des indicateurs pour mesurer les déséquilibres mondiaux. Un tout petit premier pas.
Alors que les prix des matières premières alimentaires flambent de nouveau, on aurait pu espérer que le G20 Finances, qui a rassemblé, à Paris, les 18 et 19 février 2011, les ministres en charge de ce portefeuille et les gouverneurs de banques centrales, s’empare du dossier.
Flambée des cours et spéculation
Christine Lagarde, la ministre française qui recevait ses homologues, avait d’ailleurs pointé ce problème du doigt en préambule à la réunion. Elle avait notamment souligné la « financiarisation excessive » des marchés de matières premières notamment alimentaires, et la « volatilité excessive » des prix des céréales. Les cours du blé, par exemple, ont augmenté de 40% en six mois… puis sont passés de 120 euros la tonne à 300 euros en six semaines ! « A Chicago, il s’échange dans l’année 46 fois la production mondiale de blé, et 24 fois la production mondiale de maïs, entre des opérateurs privés qui n’ont aucun lien avec la matière première », a expliqué la ministre. Impossible de fermer les yeux sur la spéculation. On pourrait aussi parler du sucre dont le prix a doublé en un semestre l’an dernier.
Plus globalement, le Programme alimentaire mondial (PAM) tire la sonnette d’alarme : avec une hausse à son plus haut niveau, fin 2010, depuis deux ans, les prix alimentaires risquent d’atteindre de nouveaux pics en 2011. Ce que la FAO des Nations-Unies a confirmé début février, soulignant le risque de troubles dans les pays pauvres. Pour les pays du G20 qui représente 85% du PIB mondial, le moment était venu de montrer que leurs réunions régulières débouchaient sur une nouvelle gouvernance mondiale – au moins un embryon – dont le premier souci aurait été d’éviter de nouvelles famines. Et d’écarter le risque de nouvelles émeutes de la faim, comme l’Algérie, l’Egypte, le Sénégal ou le Mozambique en connurent en 2007 et 2008.
Aléas climatiques et révolutions
Un engagement aurait été d’autant plus justifié que les aléas climatiques ont considérablement aggravé les tensions sur les marchés de produits alimentaires.
Le premier facteur est la sécheresse de l’été 2010 en Russie. Elle a entraîné un embargo des exportations de blé russe. Pour un pays comme l’Egypte, qui importe chaque année de Russie le quart des 15 millions de tonnes de blé nécessaires à la consommation intérieure, le coup a été rude. Le gouvernement égyptien a été contraint de chercher de nouvelles sources d’approvisionnement, contribuant à la flambée des cours fin 2010. Mais d’autres pays ont aussi augmenté leurs importations de blé, comme la Chine. Certes, elle est le premier producteur mondial avec environ 100 millions de tonnes. Mais sous la pression démographique avec les comportements alimentaires de la jeune classe moyenne, le pays est devenu déficitaire en blé. Sa demande contribue aujourd’hui à faire grimper les prix sur les marchés spots de céréales. C’est un exemple qu’on pourrait élargir à d’autres produits comme le maïs, et à d’autres pays.
Le deuxième facteur est les inondations en Australie. Dans son éditorial, l’économiste Philippe Chalmin, spécialiste des matières premières et qui dirige le cercle Cyclope, s’attend à des semaines tendues sur le marché du blé au début du printemps lorsqu’il faudra assurer la jointure avec la prochaine campagne. « On risque alors de reparler d’émeutes de la faim (…) ».
Le troisième facteur n’est pas de nature climatique, mais politique. Dans les pays du printemps arabe, forcément en transition politique et en reconstruction économique, la flambée du cours des matières premières alimentaires ne peut être qu’un élément qui complique et retarde le retour à une situation de calme et de stabilité politique. La mise en place de dispositifs de régulation sur les marchés de matières premières aurait été un coup de pouce pour les nouveaux pouvoirs, et l’expression concrète du soutien à ces pays.
Juste un peu plus de transparence
En bref, il était légitime pour le G20 d’intervenir pour réguler les cours des denrées alimentaires. Mais il n’en a rien été. Ou plutôt, la montagne a accouché d’une souris. Christine Lagarde avait prévenu, avant même la réunion de Paris : « Nous ne voulons pas revenir à une administration des prix comme par le passé ». Quelle était, alors, l’ambition de ce G20 ? « Réduire la volatilité en faisant la lumière sur les marchés ». Les ministres réunis firent un pas dans cette direction, s’entendant sur un accord pour mettre en place des « indicateurs permettant d’identifier les déséquilibres macro-économiques ».
En clair, le G20 Finances a chargé certains de ses membres de présenter en octobre 2011 « des propositions d’actions concrètes pour accroître la transparence des marchés physiques, pour mieux réguler les marchés financiers et limiter les abus ». Un peu de transparence… pour faire peur à la spéculation internationale qui en a vu d’autres ! Autant dire que, si l’on pouvait mesurer la volonté politique de traiter collectivement ce problème, elle serait quasi nulle !
Mais la construction d’une enceinte où l’on traite des problèmes économique mondiaux implique forcément de ménager les susceptibilités de tous, tout en sauvegardant les intérêts de chacun. « Les négociations ont été franches, dures mais respectueuses », a commenté Christine Lagarde avec retenue.
La flambée des cours des matières premières alimentaires n’était pas le seul sujet à l’ordre du jour à Paris. La coordination économique et la réforme du système monétaire international étaient aussi au programme. Mais après des débats parfois difficiles avec le Brésil ou la Chine, ils n’ont pas plus avancé que la sécurité alimentaire. Il faudra donc que les pays qui seront les plus touchés par la hausse des prix des denrées alimentaires se contentent de la mise en place d’un référentiel d’indicateurs pour conjurer les famines. Pas sûr que cela soit suffisant pour éviter de nouvelles émeutes de la faim.