Florence Hartmann et le déshonneur d’un Tribunal
Recherchée par le Tribunal Pénal international de La Haye pour être mise en prison, Florence Hartmann court le risque d’être extradée. La France ne doit pas céder à l’ordonnance de ce Tribunal dont la mission est de juger uniquement les crimes de guerre et de génocide et non les journalistes pour leurs écrits.
Il faut se pincer pour y croire. Le Tribunal Pénal international (TPIY) vient de délivrer contre la journaliste Florence Hartmann un mandat d’arrêt ordonnant à la République française « de rechercher, d’arrêter, d’écrouer et de remettre rapidement au tribunal Florence Hartmann. La journaliste française avait été condamnée au pénal pour outrage au Tribunal à une amende de 7000 Euros. Dénonçant un jugement impartial et afin d’obtenir un accès à la justice pour corriger les erreurs du TPIY, elle avait refusé de se conformer à la sentence tant qu’elle était privée de son droit à un recours indépendant.
Estimant qu’il n’y avait aucun autre recours possible contre la violation des droits dont elle a été victime, elle avait donc décidé de refuser de payer l’amende en la versant sur un compte bloqué en France. Mais aujourd’hui, l’amende de 7 000 euros a été transformée en une peine de sept jours de prison.
Extrader une journaliste pour ses écrits, cela serait du jamais vu ! Dans les annales de la justice internationale, on ne trouve nulle trace d’ordonnance qui réclame l’arrestation immédiate d’une personne pour le seul motif d’avoir révélé dans un livre très renseigné « Paix et Châtiment » (Flammarion) les petits arrangements compromettants entre un état et une institution de justice indépendante. Cette décision du Tribunal d’ordonner l’arrestation de Florence Hartmann représente un cas majeur de volonté de censurer la liberté d’expression des journalistes.
L’affaire Hartmann est une affaire compliquée. Concrètement, Florence Hartmann a été poursuivie pour avoir révélé l’existence et « l’effet » de deux ordonnances confidentielles de la Chambre d’Appel du TPIY remontant à 2005 et 2006. Ces ordonnances autorisaient, à la demande de la Serbie, que les passages les plus compromettants de ses archives de guerre ne soient ni accessibles au public ni à un autre tribunal ni dans une affaire devant le TPIY autre que celle de Slobodan Milosevic. Les textes incriminés étaient : 2,5 pages de son ouvrage Paix et Châtiment (Flammarion, sept 2007) et un article dont elle était l’auteur « Les documents cachés du génocide » publié par l’Institut bosnien de Londres en janvier 2008. Ces textes expliquent comment et pourquoi les juges ont accédé à la demande de la Serbie.
Ex-conseillère et ex-porte-parole du procureur au Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), Florence Hartmann a été journaliste au Monde et correspondante à Belgrade. Elle est l’une des spécialistes les plus documentés sur la guerre en ex-Yougoslavie qu’elle a couverte pendant toute sa durée. Respectée pour son indépendance, elle a révélé et montré dans le détail comment le pouvoir de Milosevic est directement impliqué dans la guerre en Bosnie et au Kosovo. Dans ses ouvrages, (« Paix et châtiment. Les guerres secrètes de la politique et de la justice internationales ». Flammarion, et « Milosevic, la diagonale du fou ». Denoël ) elle a apporté les éléments permettant de retracer très précisément le processus qui a conduit à la guerre et aux crimes de masse, documents relevant déjà du domaine public. Son exigence de vérité et le respect des faits a poussé l’ex-porte parole du TPIY à dénoncer l’entrave à la justice opérée par des juges du Tribunal.
L’absurdité le cède à la bêtise. Comment expliquer cette hargne d’un Tribunal pénal international que de nombreux citoyens français et européens avaient appelé de leur vœux. N’a-t-il rien de mieux à faire que de s’en prendre à une journaliste ?
Pour Francis André Wollman et Bernard Wach , responsables de ICE (Initiatives Citoyens en Europe), une association qui a milité pour que ce Tribunal voit le jour en 1993 et dont Florence Hartmann est membre: « ce mandat d’arrêt contre Florence Hartmann est une insulte. Il marque sous le signe de la honte, les derniers moments d’un Tribunal qui peine à juger tous les criminels de guerre . Par cet acte inique, certains juges, abusés par leur pouvoir, utilisent de façon malveillante une juridiction créée pour lutter contre l’impunité des criminels de guerre et non pour s’en prendre à une citoyenne qui n’a cessé, au fil des années, de faire son métier de journaliste pour la recherche de la vérité. Avec de nombreux autres associations de citoyens, nous avons œuvré dès 1993 pour que le TPIY existe de manière indépendante et qu’il relève l’honneur d’une diplomatie défaillante, qui pendant la guerre en Bosnie, s’est fourvoyé dans d’improbables tractations. Le TPIY prend le risque de décrédibiliser une institution dont nous attendons qu’elle fasse sans relâche condamner les coupables des massacres commis en Bosnie entre 1992 et 1995. Tous les ingrédients d’un espoir étaient réunis afin que les victimes des massacres et leurs familles puissent enfin voir leurs droits s’exercer et les responsables des crimes condamner. Aujourd’hui, nous nous sentons trahi. Ce mandat d’arrêt contre Florence Hartmann porte ombrage à une institution dont nous restons persuadés que la plupart des membres restent animés par de plus justes résolutions ».
Déjà il était insupportable de voir Florence Hartmann figurer sur la liste des affaires en cours du Tribunal aux côtés des Seselj, Karadzic ou Mladic. Il est aujourd’hui répugnant que des membres d’une institution prestigieuse puissent décider de l’incarcérer dans la cellule voisine de ces criminels de guerre inculpés par le procureur Carla Ponte dont Florence Hartmann était non seulement la porte parole mais la conseillère.
Cette décision de justice infâme a un goût de revanche privée très éloigné des valeurs publiques qui honorent la justice internationale. On sait que certains juges en veulent à Florence Hartmann d’avoir osé les critiquer et d’avoir démontré qu’ils avaient commis une erreur de droit. Obsédés par la volonté de punir la journaliste, ces juges montrent qu’ils sont davantage animés par un esprit de vengeance les amenant à régler des comptes personnels qu’à œuvrer pour la justice au nom de l’humanité. Cet abus de position dominante s’apparente à une « vendetta »
La France va-t-elle, pour la première fois depuis Vichy, écrouer une journaliste pour ses écrits et l’extrader ? Il est difficile d’imaginer que l’Union Européenne et la France reviennent sur la pénalisation des délits de presse par l’intermédiaire de la justice internationale. La justice française est tenu de garantir l’accès à la justice qu’est en droit d’attendre tout citoyen. Elle est fondée pour se prononcer sur le bien fondé de la demande d’extradition lancée par le TPIY. Si elle ne suffit pas à la protéger, Florence Hartmann ira à la Cour européenne des droits de l’homme dont une jurisprudence protège la liberté de la presse. Une chose est sûre : Florence Hartmann ne se laissera pas faire. Et nous serons avec elle pour défendre cette liberté.