De plus en plus d’ouvrages-et surtout des succès récents de librairie-sont téléchargés illégalement. Un phénomène encore marginal mais qui risque de s’aggraver, estime Me Sophie Viaris de Lesegno, du Cabinet Pierrat.
*Le salon du livre se tiendra du 18 au 21 Mars 2011, Porte de Versailles.
Monstrueux succès de librairie, un demi-million d’exemplaires en deux mois, « Indignez-vous » (Editions Indigène) de Stéphane Hessel ne coûte que trois euros. Et pourtant il est déjà téléchargé illégalement. L’exemple est révélateur d’une démarche culturelle qui passe dans les mœurs. Les nouveautés sont piratées de plus en plus rapidement après leur mise en vente dans le réseau traditionnel de vente en librairie.
Publiée à la veille du Salon du Livre (18-21 mars), l’étude réalisée par le MOTif -l’Observatoire du livre écrit en Ile-de-France (www.lemotif.fr)- vient révéler que le téléchargement illégal, pratique largement développée pour la musique, les films et les séries télévisées, n’épargne pas le livre. En l’espace d’une année, le nombre de livres édités par des maisons françaises piratés circulant sur la Toile a doublé avec un total de 2.000 à 3.000 ouvrages.
Le lancement de l’iPad en France et le développement de plates-formes de distribution ne sont naturellement pas étrangers à la croissance de cette pratique illégale. Pratiquement, elle s’opère par le biais du téléchargement direct qui devient la pratique dominante en matière de piratage de livres avec le recours aux sites de stockage de données comme Rapidshare ou Megaupload, souligne l’étude du MOTif. Les usagers ont adapté leur modus operandi, délaissant les réseaux Peer-to-Peer, comme eMule ou BitTorrent, qui sont de plus en plus en surveillés par l’Hadopi.
Cette pratique illégale affecte principalement les ouvrages les plus récents -82 % des ouvrages disponibles sont sortis depuis moins de dix ans- et –qui s’en étonnerait ?- les best-sellers de littérature: au hit-parade le premier rang est occupé par Apocalypse Bébé, de Virginie Despentes, prix Renaudot tandis que le Prix Goncourt, La Carte et le Territoire, de Michel Houellebecq, en quatrième position. Et on retrouve également en bonne place des blockbusters de l’édition tels « Twilight », aventure d’Harry Potter, Da Vinci Code ou Bilbo le Hobbit. Mais sont aussi très prisés par les téléchargeurs illégaux les ouvrages de cuisine (les recettes de couscous par exemple) et… de sexe (« le sexe pour les nuls »).
« Le phénomène de piratage reste certes marginal, avec moins de 2% de l’offre légale sur papier, analyse M° Sophie Viaris de Lesegno, avocate au barreau de Paris, associée du Cabinet Pierrat, spécialisé dans la propriété intellectuelle. Cependant, l’offre d’ouvrages « piratés » se développera de manière exponentielle dans les années à venir. En effet, pour l’heure, le « pirate » demeure un artisan qui effectue lui-même les opérations de numérisation des ouvrages « papier ». Quant au lecteur, il découvre alors, avec la lecture à l’écran ou la copie imprimée, l’édition dans des conditions d’accès peu agréables ou coûteuses. »
La situation est appelée à changer. « Dès lors que les éditeurs se seront engagés véritablement dans la mise en ligne de leur catalogue, le « pirate » se contentera de « craquer » les DRM des livres numériques. Une fois le code percé, tout le catalogue sera accessible. Le gain de temps, multipliera l’offre…Si l’on prend en compte l’accroissement des ventes de tablettes, l’offre illégale rencontrera la demande… »
Paradoxalement, les éditeurs français qui cherchent actuellement à accroître leur offre de livres par fichiers numériques pour doper leurs ventes, risqueraient donc finalement d’être pénalisés. Pour l’instant, les éditeurs obtiennent des résultats mitigés quand ils s’adressent aux plateformes de téléchargement pour faire respecter leurs droits. « Les messages d’alertes et mises en demeures adressées aux sites hébergeant ces contenus illégaux permettent de désactiver les liens litigieux. En effet, l’hébergeur est exonéré de sa responsabilité dès lors qu’il aura réagi promptement à la demande d’un ayant droit. Le plus souvent, le « pirate » banni ne déclare cependant pas forfait, et usera de son anonymat pour ressurgir sur un autre site, témoigne M°Viaris. Il est donc difficile de tarir la source, car quand bien même le droit dispose de l’arsenal juridique nécessaire à sanctionner les pirates, l’effectivité des mesures demeure relative face à des sites hébergés anonymement à l’étranger. »