Ce que je souhaite pour mon pays
« Ce que je souhaite pour mon pays, mes concitoyens, pour le monde » est la première question sur laquelle un homme politique, un militant, un citoyen devrait être au clair, à tout moment. Cela simplifierait bien des débats, bien des ambiguïtés du discours. « Tu veux quoi ? », voilà la question.
Evidemment nous parlons de direction, de volonté, d’attentes et aussi de ce qui constitue pour chacun le bien en politique. Nul n’est assez omnipotent, parti politique ou responsable au sommet du pouvoir, pour réaliser purement et simplement son programme.
Il n’empêche : le programme dans ses grandes lignes est indispensable car il est la référence de chacun pour juger des politiques et pour choisir les représentants en charge de légiférer et de gouverner.
C’est sûr le programme n’a pas que des avantages.
Le Président Sarkozy a complètement modifié son discours discours à la faveur de la crise, dans le contexte d’un changement général de paradigme économique.
En fin politique, il s’adapte pour maintenir le contact avec l’opinion publique. Pour un chef doté d’une belle assurance et d’un sacré toupet, le programme proclamé est un marqueur de ses erreurs de jugement ou de son opportunisme; mieux vaut garder sa totale liberté d’action qu’afficher un programme trop contraignant.
Pour le parti socialiste qui, sans aucun programme, est déjà déchiré, qu’en serait-il s’il ouvrait le nouveau champ de bataille d’une réflexion programmatique ? L’extrême-gauche au delà d’un anticapitalisme radical et d’une dénonciation de tous les malheurs du monde serait bien embarrassée pour donner un contenu au meilleur des mondes.
Ce serait mettre sur la table tous ses démons autoritaires et toute la méfiance à l’égard des individus qui sont le contre-point de son égalitarisme et de sa priorité au social.
A 20 ans, je m’étais laissé pousser dans mes retranchements sur ce que je voulais vraiment. Pour communiquer mon utopie, j’expliquais alors que nous serions bientôt libérés du travail grâce au développement des forces productives et que nous pourrions nous prélasser sur la plage et jouer aux dominos ou à tout autre jeu anodin et que ce serait là, la meilleure communion sociale.
Je n’avais pas réussi à me convaincre moi-même mais j’ai tenu bon face aux objections et aux moqueries. Imaginez maintenant que nous tenions notre programme politique personnel, année après année, comme un journal : ce serait le plus souvent le témoignage d’un recentrage permanent, d’un amollissement de l’âme politique, depuis une radicalité juvénile et vivace, jusqu’à une frilosité sans imagination et toute de raison austère.
Mais envers et contre tout, il faut savoir ce que l’on veut. Alors, je commence. Je me mets à nu. Quel est donc mon programme ?
1. Travailler et travailler beaucoup
Si l’objectif est le bien-être de tous, il faut produire les moyens de ce bien-être. Nourrir, produire, organiser, former, produire des connaissances nouvelles et réfléchir aux moyens et aux effets de toute cette activité sont un incontournable pré-requis. Nous avons besoin d’une agriculture et d’une industrie performante, de soigner les malades et les vieux, d’entretenir sans relâche notre environnement technique et toujours défaillant.
Nous ne sommes pas et nous ne retournerons pas dans le Jardin d’Eden alors au boulot. Plus de malheureux chômeurs, de jeunes à qui, contre toute réalité, on signifie leur inutilité sociale, de préretraités incrédules, rejetés du monde du travail, et stimulons les tires-au-flan. Quel gâchis de richesses et d’énergies.
Chacun devrait prendre sa part du labeur auquel nous sommes condamnés et en être valorisé. C’est le plus grand dysfonctionnement de notre organisation sociale et du capitalisme financier de laisser sur le côté tant de forces humaines quand il y a tant à faire. La France réussit l’exploit d’avoir la plus forte productivité horaire et la plus faible productivité par habitant.
Traduisons : trop de stress pour les travailleurs, mais trop de chômeurs et d’inactifs. C’est la première des inégalités. Tout le monde au travail mais tant qu’on en est pas là, qu’on maintienne les 35 heures, la retraite à 60 ans et les dimanches chômés. Il y a de la marge pour augmenter l’activité sans abrutir et user davantage ceux qui travaillent déjà.
2. La solidarité
C’est un fait, l’humanité est souffrante depuis le début des temps. L’histoire est une longue suite de malheurs, de douleurs subies ou provoquées. Et la vieillesse et la mort qui plane sur chacun de nous. La fragilité humaine, l’isolement, la maladie, l’âge, les soubresauts économiques et l’évolution des techniques qui, un temps, mettent les travailleurs hors jeu sont des risques permanents pour les citoyens et leurs familles.
Il n’est pas de communauté humaine sans mécanisme de solidarité puissant envers les plus faibles et les plus menacés. Sauf à compter sur l’opium du peuple : « je crève mais j’aime mon pays, ses dirigeants et notre Dieu », la solidarité est le ciment le plus rationnel et le grand pourvoyeur de sens des communautés humaines. La solidarité est à organiser, à mettre en pratique, à expliquer sans cesse. Pas de cité sans solidarité et sans impôt pour la financer.
3. Lutter contre les inégalités et empêcher les riches de trop s’enrichir
Michel Rocard faisaient remarquer que la lutte contre les inégalités est une tâche jamais achevée, toujours à recommencer. L’accumulation est la première des tentations humaines, c’est là une réalité anthropologique que déjà l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert passait des centaines de pages à dénoncer comme un obstacle majeur à l’amélioration des conditions. Non pas que la richesse des uns fasse la pauvreté des autres comme dans des vases communiquant.
Toutes les richesses accumulées ne sont rien au regard des besoins de l’humanité et les milliards de Bill Gates dont 25 dans sa fondation ne feront pas le bonheur de l’humanité. Mais l’accumulation de richesse permet trop facilement de modifier les règles du jeu économique au profit des seuls détenteurs du capital sans considération pour l’accès du plus grand nombre au bien-être.
Au regard du point 2 du programme, la solidarité, il convient que les mieux nantis participent plus que les autres à l’amélioration de la condition des plus démunis. Stimuler l’activité des hommes par l’espoir d’un gain personnel, récompenser le mérite, l’effort et la performance, c’est un moyen. Mais la fin reste de permettre à tous de vivre correctement et dignement. Si les riches sont contre l’impôt, ils ne méritent pas d’être riches car que nous importe une richesse qui ne participe pas au bien-être général.
4. Approfondir la démocratie
Comme pour la richesse, le pouvoir tend à se conforter lui-même. Tous les contre-pouvoirs sont perçus par lui comme des limitations ou des menaces. Pourtant le débat pour l’intérêt général, le choix des meilleures politiques, l’adhésion aux orientations politiques passent par une information libre et multiple, l’expression des intérêts de tous, la prise en compte de tous les citoyens, de tous les savoirs et de tous les savoir-faire.
La démocratie n’est pas qu’une curiosité occidentale. C’est l’idée fondamentale et universelle que l’intérêt de tous n’est jamais pris en compte par une oligarchie ou une dictature mais seulement par un processus qui engage tout le corps social, aussi approximatif que soit ce processus.
Tout ce qui accroit la démocratie, le débat, la responsabilité des corps intermédiaires et des citoyens envers l’intérêt général est bon. Pour approfondir la démocratie, il faut souligner que si nous ne voulons pas, même dans un système représentatif, subir le dictat de l’Etat en toute chose, bien des choix seraient mieux maîtrisés au niveau local. La démocratie a de grands progrès à faire pour que dans l’entreprise avec les syndicats, dans la ville avec les associations, et à tous les niveaux de la société des mécanismes permettent une construction collective des choix et des solutions. Cela ne va pas sans risque de népotisme, mais localement aussi, des contre-pouvoirs et des instances de contrôle sont à développer.
Cela ne va pas sans risque d’inégalités régionales mais là-aussi la solidarité doit jouer. Donc un bon point à la décentralisation.
5. Les fonctions régaliennes de l’Etat
Tout ce qui ne relève pas du jeu économique, des entreprises et du marché est de la responsabilité de l’Etat et des collectivités locales. Ainsi de l’éducation, la santé, la recherche, la justice, la sécurité des personnes et des biens, ainsi des infrastructures top coûteuses pour une rentabilité à court terme. Laisser l’éducation, la recherche, la santé ou la justice partir à vau-l’eau sont la pire des fautes. Alors la dislocation et la ruine menacent, l’avenir s’obscurcit car les ressources principales que sont la confiance, la performance et le dynamisme du corps social sont affaiblies. Ca va mal de ce côté. Il y a beaucoup de technicité dans ces questions, les dégradations de l’action publique n’ont pas toujours un effet à court terme, mais c’est un sujet de préoccupation majeur. Dans l’ordre de la bonne gestion, c’est dans ces domaines que se jugent un gouvernement et son action.
6. Toujours plus d’humanité ou les rapports du fort au faible
Il est un paradoxe de nos sociétés de puissance que le référent principal en est l’individu, son bonheur et son épanouissement. A l’issue de siècles d’évolution de notre philosophie politique, c’est le plus fragile de ses concepts qui se trouve au centre de nos valeurs. L’Etat, sa puissance militaire, policière, réglementaire sont comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. On proclame son dévouement à chaque personne et chaque citoyen mais on ne sait pas toujours éviter d’écraser l’un ou l’autre par maladresse ou pire, par facilité ou indifférence pour les plus faibles.
La question des sans-papiers est révélatrice. Nul crime à rechercher de meilleures conditions de vie pour soi et sa famille, et même la plus grande légitimité et le plus grand courage pour ces migrants en route vers l’inconnu. Même si l’on admet que l’immigration peut être déstabilisante dans des sociétés ou la précarité est déjà grande, les sans-papiers doivent être traités avec la plus grande humanité car rien de plus humain que leur aspiration. Si l’on considère leur apport à notre économie dans laquelle ils remplissent les tâches les plus indispensables et qui repoussent plus d’un autochtone, de la cueillette, la cuisine dans les restaurants, aux tâches de nettoyage et aux soins aux malades, on devrait mieux les accueillir, les former et leur fournir rapidement les conditions d’une vie décente. Surtout les enfants des immigrants sont à protéger car ils ne sont pas moins innocents de toute faute, ni moins riches de leur avenir que tout autre enfant. Difficile de transmettre ce respect des femmes, des hommes, des enfants clandestins à des administratifs et à des policiers lourdauds, fiers de leur autorité, sûrs de leur bon droit.
La responsabilité de l’Etat vis-à-vis des criminels enfermés est un autre exemple de l’impératif d’humanité. Le rôle de l’état est de protéger la société, de faire respecter la loi, non d’avilir ou de laisser martyriser des coupables. La situation dans les prisons est insupportable et contre-productive quand l’état ne protège pas les criminels contre eux-mêmes, contre les autres détenus et ne sait pas œuvrer à leur réinsertion après leur peine. Tous ne sont pas perdus, tous ne récidivent pas. Leur culpabilité ne dispense pas d’humanité à leur égard. De même, le traitement de prévenus dont la culpabilité n’est pas avérée mais qui sont considérés avec désinvolture pas les autorités à proportion de la suspicion dont ils sont l’objet. Le drame d’une inculpation avant même que la culpabilité soit assurée impose des précautions. La puissance publique a des responsabilités à l’égard des personnes d’autant plus que son impact est fort sur la vie et la condition des individus.
Dernier exemple, pas le moins délicat, Israël. C’est la situation d’un Etat doté d’une des plus redoutables armées en face d’une population qui subit des conditions de vies difficiles et une guerre interminable sans grand espoir d’amélioration. Israël a toute légitimité à défendre son existence et sa sécurité. Des organisations palestiniennes n’hésitent pas à recourir à des attentats criminels. Il n’empêche Israël dispose de la force et cela lui donne des responsabilités à l’égard des palestiniens. Cette responsabilité, les israéliens la refusent comme un fardeau de plus. Pourtant l’impératif d’humanité à l’égard de populations qui pour la plupart n’ont pas commis d’autre crime que d’être là en masse s’imposera. La politique d’Israël, avec sa puissance de frappe et sa capacité de destruction sera de plus en plus perçue comme abusive et cruelle avec le risque d’isolement des communautés juives qui sont, affectivement, le plus attachées à Israël. La force impose une attitude humaine et protectrice à l’égard de populations plus démunies. Elle impose aussi des concessions que le rapport de force ne justifie pas et qui sont de l’ordre d’un égard particulier envers l’humanité des plus faibles.
7. La puissance et l’Europe
Le monde est multipolaire, organisé en Nations petites et grandes. Des intérêts s’affrontent, des ressources sont à partager. Nous ne vivons pas dans un monde pacifié. Pour tendre vers une politique responsable à l’égard de la planète, plus pacifique, équitable envers toutes les populations, comme pour maintenir et accroître le bien-être de nos populations, il faut quelque puissance dans le débat planétaire.
Cette puissance, seule l’Europe peut nous la conférer car aucune des nations européennes n’atteint la taille critique pour peser sur les équilibres mondiaux. Sauf à prendre ce qu’on nous concède et à subir, il n’est pas de politique internationale, pour nous, hors du cadre européen. L’expérience de l’Europe, ce n’est pas celle d’une hégémonie heureuse et satisfaite comme l’Amérique, ce n’est pas celle d’une domination et d’une humiliation éprouvante comme pour la Chine et tout le tiers-monde.
C’est l’expérience de politiques inhumaines, d’une course à l’hégémonie, de guerres internes totales qui ont dévastée l’Europe de part en part, la laissant en entier sur le carreau, aussi haut qu’elle ait porté sa culture, sa philosophie et la science. L’Europe sait la valeur de l’humanité partagée, de la concertation, et de la maîtrise des conflits.
C’est cette expérience qu’elle apporte dans les relations internationales. Alors, vive l’Europe.