Une nouvelle unité de mesure : le Kerviel
Baptiser d’un nom propre un objet, une action, une unité de mesure est affaire sérieuse. C’est souvent une marque de distinction pour celle ou celui dont le patronyme tombe dans le domaine public. Merci à Pierre Larousse (1817-1875) pour avoir semé à tous vents, merci à Eugène-René Poubelle (1831-1907) préfet de la Seine pour le ramassage des ordures.
Parfois la distinction n’a rien à voir à l’affaire et le baptême vaut désapprobation. Charles Cunningham Boycott (1832-1897) est passé à la postérité pour avoir tellement maltraité ses fermiers que ceux-ci organisèrent un blocus de la récolte pour obtenir de meilleures conditions de travail.
Dans le monde académique, il en va un peu différemment. Comme il n’y a pas de science que de la mesure, les occasions de baptème sont nombreuses. Telle affection, tel théorème, tel objet mathématique, tel instrument, telle institution ou tel pavillon d’hôpital font l’affaire. Le patronyme acquiert alors une si forte valeur symbolique qu’il n’y a pas besoin d’en dire plus : Pasteur (1822-1895) et Koch (1843-1910) sont tous les deux universellement connus, il ne viendrait à l’esprit de personne de parler d’institut Koch ou de bacille de Pasteur !
Quand même, le chic du chic, c’est d’avoir une unité de mesure désignée par un patronyme. Les températures à partir du zéro absolu se mesurent en degrés Kelwin, les sismologues utilisent des micro-Galilée, et il y avait jadis une unité d’irradiation qui s’appelait le Röntgen. Cherchez ! Vous en trouverez d’autres (attention cependant : Candela n’est pas une cantatrice italienne, ni Lumen un savant suédois).
Puisque Place Publique « entend prendre sa place comme stimulateur d’idées et d’initiatives pour le futur » chacun conviendra qu’il est temps de s’en donner les moyens . Il faut prendre la mesure de notre présent dans un domaine où la confusion des esprits domine, entre autres parce que nous manquons d’étalon et qu’à force d’être accablés de chiffres de plus en plus grands ils ne signifient plus rien de quotidien, de sensible et que si nous n’y prenons garde la raison chavire.
A l’orée de la présidence française de l’Union européenne, il est plus que temps qu’en matière de finances nous puissions avoir un rapport plus immédiat avec les grandeurs monétaires. Il y a pour cela un moyen simple et qui n’aggravera pas le taux de chômage et le coût de la vie : Que Place Publique prenne l’initiative citoyenne d’officialiser une nouvelle unité financière qui est née devant nos yeux en cette année olympique et bissextile.
Cette unité plus commode doit désormais remplacer une quantité difficile à mémoriser qui est égale à 4,9 milliards d’euros que pour des commodités de conversion nous arrondirons à 5 milliards d’euros. Cette unité c’est le Kerviel, symbole d’un contrôle de gestion à toutes épreuves.
Rendez-vous compte immédiatement de la qualité de cette unité en l’utilisant comme étalon de réalités financières et économiques : le paquet fiscal ? Environ 2,4 Kerviel , franchement pourquoi en faire toute une histoire ? Le plan de lutte contre la pauvreté de Martin Hirsch, 1 Kerviel dans sa version initiale, plutôt 0,25 Kerviel nous dit-on ; qu’au moins les pauvres n’aillent pas acheter des Rolex avec ça : elles sont produites en Suisse. Le montant des dégâts en Birmanie ? 2,2 Kerviel. Le coût initial des deux porte-avions dont le Royaume Uni vient de lancer la construction ? 2 Kerviel. Vous voyez c’est beaucoup plus compréhensible quand on a un thermomètre qui a les bonnes graduations.
Comme toute unité de mesure, l’usage du Kerviel doit être réservé à son domaine d’utilisation. Un ami sociologue des sciences co-organisateur d’un colloque dans un congrès de physique fin août à Strasbourg vient juste de me dire à propos des frais d’inscription qui s’élèvent à 240 euros : « C’est cher ! » . J’ai renoncé à lui dire que ça faisait seulement 4,897959x 10-7 Kerviel en moins pour ses recherches.
Georges Waysand