Tribune sur l’école
On critique souvent nos chers élèves pour leur manque d’esprit critique ou pire, leur manque d’imagination. On les présente, au fond, comme des Français en miniature : râleurs, arrogants et finalement conservateurs. Et l’on n’a pas forcément tort… Le problème est que nos élèves, notre école, nous renvoient exactement ce que nous leurs transmettons. Autrement dit, ils ne sont que le produit d’une société dont nous, les adultes, sommes responsables en premier…
Parlons donc du manque d’imagination de l’opinion publique, pas aidée par l’Education Nationale – dont le respectable ministre, Vincent Peillon, a vite compris qu’il lui serait difficile de la réformer, même à dose homéopathique. Un seul exemple : le « débat » sur les rythmes scolaires. Il en va de l’école comme de bien d’autres enjeux de société : aucun de ses problèmes ne peut être résolu si on le prend indépendamment des autres. Cela fait au moins deux ans qu’un rapport de la Cour des Comptes (dont on connaît le professionnalisme et l’intégrité) est sorti, qui évalue cliniquement le coût des diverses politiques menées depuis trente ans dans l’Education Nationale. Les aberrations y sont nombreuses, presque vertigineuses. Au premier abord, il y aurait de quoi désespérer quiconque s’intéresse un peu à ce thème. Mais, passé l’effroi des chiffres bruts, la lecture de ce même rapport offre surtout des solutions, pour peu que l’on y réfléchisse posément.
Si les rythmes scolaires appellent une modification radicale, ce n’est pas pour embêter les parents, les professionnels du tourisme, les profs ou les élèves eux-mêmes… Il s’agit seulement d’améliorer l’acquisition des connaissances, en acceptant (pour une fois) de regarder ce qui marche ailleurs et qui est objectivement transposable. A moins qu’un éminent généticien fasse la preuve que les uns et les autres possèdent dans leur ADN quelque élément chimique incompatible avec de tels aménagements, je ne vois toujours pas pourquoi cette réforme serait impossible.
Le coût financier? L’Etat, en stoppant l’hémorragie des redoublements ou des sorties de scolarité sans diplôme ni qualification, récupérerait assez vite sa mise de départ sur l’allongement de l’année scolaire assorti d’un allègement quotidien des heures de cours… Il pourrait même dégager des marges de manœuvre pour financer d’autres aménagements (recruter plus d’enseignants pour faire baisser les effectifs des classes…). Principe de vases communicants qui ne peut bien sûr être pensé que si l’on s’appuie sur une vision globale de la structure Education Nationale.
Je m’étonne que journalistes, syndicats et plus encore notre ministre ne se soient pas saisis plus tôt de ce rapport de la Cour des Comptes. Je m’étrangle même en constatant que, une fois ledit rapport porté à leur connaissance, ils n’y aient pas vu une manne de solutions plutôt qu’un constat uniquement affligeant. Voilà bien une désespérance de plus qui m’incite à penser que mon livre, aussi modeste soit-il dans ses intentions, est peut-être de nature à livrer quelques pistes de réflexion…
Autre thème qui m’a renvoyé l’impression que mon livre était rattrapé par l’actualité : la laïcité. Voilà bien un mot-concept aujourd’hui employé à tort et à travers. Qu’il s’agisse de croyants plus ou moins proches d’idées intégristes (toutes les confessions sont ici concernées, je le précise) et clairement laïquophobes primaires ou, à l’inverse, d’anticléricaux déguisés et hargneux aux penchants robespierristes, je constate un dévoiement total de l’idéal de laïcité d’Etat. Idéal dont je rappelle qu’il repose entièrement sur un principe de neutralité et qui, donc, bannit les exceptions – telle est son essence. Mr Peillon en a fait un de ses chevaux de bataille pour l’école, ce qui me va. Mais s’il s’interroge sur la manière d’enseigner la laïcité à nos élèves, je ne saurais trop lui conseiller de faire en sorte qu’elle soit déjà mise en pratique sur l’ensemble du territoire francais.
Mes propos sur la « catho » voire « christiano-laïcité » ont fait jaser, m’accusant (avec mauvaise foi, sans jeu de mot) de reporter sur notre part de culture chrétienne la responsabilité d’une détérioration des relations avec des populations présentant d’autres caractéristiques spirituelles ou religieuses. Or, tout principe reposant sur la
non-exception devient caduc dès lors qu’il déroge à cette même règle qui est sa raison d’être. Je laisse à chacun le soin de s’interroger sur la manière dont seraient par exemple reçus des propos comme « Il y a des lois au-dessus de la République » ou encore « Hollande veut du sang, il aura du sang » s’ils émanaient d’un imam extrémiste ou d’un sauvageon de banlieue.
Le fait est que ces fameux propos ont pourtant été prononcés par des personnalités d’une toute autre obédience religieuse (affichée), sans être inquiétées le moins du monde, à l’occasion de vastes manifestations au printemps dernier sur lesquelles je ne crois pas utile de m’étendre. Veux-on encore de la laïcité dans ce pays? Il faudra répondre à cette question avant d’envisager sa transmission philosophique à l’école – les profs dans mon genre en ayant plus qu’assez des situations de porte-à-faux qui fragilisent leur autorité.
* Christophe Varagnac est l’ auteur de « Peurs sur l’Ecole », publié aux éditions JC Gawsewitch