Se nourrir
Aimer, dormir, manger, habiter, circuler, penser… Chaque mois, Place-Publique vous donne rendez-vous avec une esquisse illustrée de votre vie quotidienne future. Extraits du livre « Vivre en 2028. Notre futur en 50 mots clés » (Avec l’aimable autorisation des Editions Lignes de Repères)
Qu’y a-t-il donc au menu en 2028 ? Rassurez-vous on ne se nourrira pas tous les jours de pilules ou de tablettes nutritives synthétiques aux couleurs multiples, comme l’avait prédit le chimiste Marcelin Berthelot en 1894 ! Ce serait oublier notre appareil sensoriel formé depuis des millénaires à de multiples saveurs et négliger que l’alimentation est un phénomène biologique et culturel. Notre palais et notre cerveau ont besoin de goûts, d’odeurs, de saveurs…
Nouveaux modes de cuisson, nouveaux ingrédients, nouvelles constructions des plats…. Avec la gastronomie moléculaire, on part à la découverte des transformations culinaires : des salades artificielles, qui restituent la même consistance à deux dimensions des feuilles de salade ; mais cette fois avec des feuilles préparées par le cuisinier : feuille de vinaigre, feuille de champignon de Paris, feuille de poivron rouge… Ou des cubes de gelée parfumés qui ne tombent pas au fond d’un liquide mais flottent comme des glaçons ! Des émulsions aux textures étranges … !« Les plats seront sans doute différents, pour diverses raisons, qui ne tiennent pas qu’an combat contre la malbouffe. Tout d’abord, les modes de cuisson et de préparation vont évoluer sous la pression de nouvelles contraintes », explique Hervé This, chimiste-chercheur Inra au laboratoire des interactions moléculaires du Collège de France et au sein d’AgroParis Tech.
Par exemple, la raréfaction de l’eau et de certaines sources d’énergie. Alors qu’aujourd’hui une gazinière laisse échapper 80 % de l’énergie, le principe des plaques à induction qui chauffent uniquement les aliments va se généraliser. De même que l’usage de l’azote liquide – qui atteint sa température d’ébullition lorsqu’il est refroidi à – 196 °C – fera son entrée dans les foyers.
Notre façon de cuisiner va aussi évoluer. « Car la cuisine, c’est un accord, un ensemble de produits, d’ingrédients mais aussi de molécules. On en compte jusqu’à vingt différentes dans une sauce, par exemple. La construction est importante car poursuit-ilBP. Les plats se construisent par les odeurs, saveurs, température, texture, couleur, forme. A l’avenir, chacun d’entre nous va cuisiner avec des additifs de la même façon qu’aujourd’hui nous mettons des herbes de Provence ou des épices.
« Agir sur des ingrédients nouveaux ou peu employés, les transformer différemment sera notre lot quotidien. Ainsi certains gélifiants comme les alginates permettent, par exemple, de fabriquer des sortes de perles de fruits », poursuit le chercheur. Des extraits d’algues et de plantes déjà utilisés dans certaines préparations industrielles le seront en cuisine domestique. De même que de nouvelles matières comme les poudres vont se développer, il existe déjà des poudres de pommes et des poudres de betteraves… On utilisera davantage des colorants ou des compositions aromatisantes qui sont des mélanges de molécules. L’estragol de l’estragon, le limonène du citron. Dans les casseroles on ne mettra pas des carottes mais des molécules en quantités connues constituant la carotte (cellulose, pectines, caroténoïdes…). Cette cuisine fait passer au premier rang la forme gustative des produits. Pour réaliser une sauce au vin, ce ne sera pas du vin, mais des polyphénols, extraits de pépins de raisin ajoutés à d’autres ingrédients habituellement utilisés. Cette cuisine moléculaire est déjà aujourd’hui dans les labos de certains chefs, dont Pierre Gagnaire. Le Futuroscope a introduit ce mariage de la cuisine et de la science et propose d’y initier ses visiteurs, alors qu’un groupe de recherche européen – Inicon (chefs étoilés, industriels, établissements d’enseignement) – travaille justement à la diffusion de ces nouvelles pratiques culinaires.
Sans oublier qu’aux côtés de nos machines à café Expresso ou des batteurs viendront s’ajouter justement des instruments permettant de jouer avec ces nouvelles substances. Comme ce « pianotckail », prototype élaboré notamment par l’IMM de Mayence qui permet de mélanger les principaux éléments qui entrent dans la composition de ce que nous mangeons – liquide, gaz, solide – (en se servant de microréacteurs). On pourra réaliser des émulsions, suspensions, gels, aérosols sous forme de mélanges d’ingrédients ou d’inclusion, créer de nouveaux plats presque à l’infini, encore faut-il qu’ils aient bon goût ! « Derrière les phénomènes qu’on voit en cuisine, la mise en œuvre de réactions chimiques, la constitution de la matière, ses transformations ; la science change définitivement la vision des choses en matière de gastronomie», explique Hervé This pour qui « Il faut que le public comprenne qu’il y a une science derrière, il faut que les citoyens ne soient pas livrés à l’industrie, qu’ils puissent décider ce qu’ils veulent manger, retrouver de la liberté d’action dans ce domaine ».
REFERENCES :
« De la science aux fourneaux », Hervé This, ed Belin
[www.inra.fr/la_science_et_vous/apprendre_experimenter/gastronomie_moleculaire
>www.inra.fr/la_science_et_vous/apprendre_experimenter/gastronomie_moleculaire ]
www.inra.fr/fondation_science_culture_alimentaire
www.academie-sciences.fr/fondations/FSCA.htm