La divulgation d’un document lève le voile sur des négociations secrètes visant à promouvoir le « tourisme » médical, la privatisation et à accroître les frais médicaux. L’internationale de services publics réagit

ISP, le 4 février 2015 – Une nouvelle proposition commerciale vise à considérer les services de soins de santé à l’échelle mondiale comme des marchandises, entraînant ainsi des coûts plus élevés pour les gouvernements et des prestations inférieures pour les patients, et ce, au profit des grandes entreprises du secteur de la santé et des compagnies d’assurance qui se partagent un gâteau de 6 billions de dollars.

Un document de réflexion – divulgué par l’Associated Whistle-Blowing Press – dénonce les négociations sur l’Accord sur le commerce des services (ACS), qui se déroulent actuellement dans le plus grand secret et visent de vastes réformes des systèmes de santé publique promouvant l’externalisation à l’étranger des services de soins de santé et la privatisation.

Cette proposition, qui aurait été mise sur la table par le gouvernement turc, a été discutée en septembre dernier par les États membres de l’UE, lors des négociations sur l’ACS organisées à Genève. Elle prévoit une annexe sur les services de soins de santé dans le cadre de l’ACS, qui permettrait aux patients de se déplacer plus facilement à l’étranger pour bénéficier de services de santé.

Cette proposition, intitulée « Document de réflexion sur les services de soins de santé dans le cadre des négociations sur l’ACS » stipule qu’il existe « un incroyable potentiel inexploité en matière de mondialisation des services de soins de santé », résultant en grande partie du fait que les « services de soins de santé sont financés et fournis par l’État ou par des associations d’aide sociale, et qu’ils ne présentent, pour ainsi dire, aucun intérêt pour les concurrents étrangers, étant donné le manque d’opportunités pour développer des activités axées sur le marché ».

Le document explique ensuite que le commerce des services de santé peut créer de nouvelles opportunités et présenter de nombreux avantages pour les partenaires commerciaux.

« Cette proposition conduirait à une hausse des coûts des soins de santé dans les pays en développement et entraînerait une baisse de la qualité dans les pays développés en Europe, en Amérique du Nord, en Australie, comme ailleurs », explique Dr Odile Frank qui s’est penchée sur ce document pour l’Internationale des Services Publics (ISP). Mme Frank précise qu’une telle proposition viendrait non seulement accroître les coûts pour les gouvernements, mais également les primes des assurances-santé.

Selon l’ISP, la proposition de l’ACS considère que les services de santé constituent une marchandise comme une autre, pouvant être gérée par les mécanismes du marché. La mise en place d’un commerce des services de santé viendra occulter les aspects de santé publique et exacerber les inégalités.

Si les solutions proposées seront profitables aux consommateurs aisés comme aux entreprises privées du secteur de la santé, l’analyse du Professeur Jane Kelsey, spécialiste du commerce des services, laisse entendre que l’argent proviendra des systèmes de santé nationaux « dont les faibles taux d’investissements sont considérés comme l’une des raisons venant justifier les traitements effectués à l’étranger, ce qui créera un véritable cercle vicieux ».

Jane Kelsey démontre que de telles réformes pourraient pousser les gouvernements à mettre en place davantage de systèmes de comptes individuels ou de chèques. Ces solutions risqueraient en outre de plonger les patients comme les gouvernements dans un état d’incertitude, et d’entraîner des coûts supplémentaires pour les soins de suivi après le retour à la maison.

« Il est scandaleux que les propositions visant à démanteler le système de santé publique soient négociées dans le plus grand secret, et que les citoyen(ne)s doivent s’en remettre à des fuites d’informations pour découvrir ce que leurs gouvernements négocient en leur nom », déplore la Secrétaire générale de l’ISP, Rosa Pavanelli.

« La santé est un droit humain. Elle n’est pas à vendre et ne peut être commercialisée. La raison d’être des systèmes de santé, c’est de veiller à ce que nos familles soient en bonne santé et en sécurité – pas de permettre aux grandes entreprises de dégager des bénéfices », souligne Mme Pavanelli.

Les bénéfices pouvant potentiellement être retirés par les entreprises, de la privatisation des soins de santé publics, sont titanesques. Dans les 50 pays participant aux négociations sur l’ACS, la moyenne pondérée du PIB consacrée aux soins de santé s’élève à 12,5 pour cent. Pour l’ensemble de ces pays, la somme totale des dépenses du PIB dans le secteur de la santé dépasse les 6 billions de dollars par an, soit plus de 90 pour cent des dépenses annuelles mondiales de santé[1].

L’ACS est défendu par certaines des plus grandes entreprises américaines du secteur des services et leurs groupes de pression, notamment l’American Insurance Association, des compagnies d’assurance américaines, telles que AIG et Prudential, ou encore des compagnies d’assurance-santé et invalidité, à l’instar de Liberty Mutual et de Metlife.

CONTEXTE

Il s’agit de la troisième grande fuite de documents controversés relatifs aux négociations sur l’ACS, au cours des derniers mois. En mai dernier, Wikileaks avait divulgué l’annexe sur les services financiers, levant ainsi le voile sur les propositions américaines visant une plus forte déréglementation du secteur financier.

Cet épisode avait été suivi, en décembre dernier, par la fuite d’une proposition émanant du Représentant américain au commerce portant sur le commerce en ligne, le transfert de technologie, les flux transfrontières de données et la neutralité du Web. Cette nouvelle divulgation avait suscité de nombreuses craintes au sein des pays autres que les États-Unis, quant à la possibilité que l’ACS ne vienne porter atteinte aux lois sur la confidentialité des données, dans le sillage des révélations de Snowden.

Signe que le secret qui entoure ces négociations commence à poser problème, le Rapporteur du Parlement européen sur l’ACS, la parlementaire luxembourgeoise Viviane Reding, a déclaré, pas plus tard que le 13 janvier dernier, que les négociations avaient été engagées « sans la moindre transparence » et que, même à l’heure actuelle, « cette transparence était loin d’être parfaite ». Elle a également ajouté que l’ACS était au moins tout aussi important que le TTIP.

L’ACS est actuellement négocié entre 23 parties (l’UE ne comptant que pour une seule) qui souhaitent étendre la portée et les règles de l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) à l’échelle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Au contraire de l’AGCS, les négociations sur l’ACS se tiennent dans le plus grand secret et les parties refusent catégoriquement de publier le texte en cours de négociation, au même titre que tous les autres documents connexes. Certains pays, à l’instar de la Suisse et de l’UE, ont toutefois publié, dans une certaine mesure, les informations liées à leurs propositions.

Avant que l’Internationale des Services Publics (ISP) ne publie la toute première critique de cet accord, intitulée L’ACS contre les services publics, en mars 2014, c’est un secret total qui entourait ces négociations.

Le rapport publié par l’ISP révèle comment l’ACS empêchera que les privatisations manquées ne reviennent entre les mains du secteur public, et limitera la capacité des gouvernements à réglementer les services publics privatisés, à l’instar d’autres domaines d’intérêt public, tels que les lois visant à protéger les travailleurs/euses, les consommateurs, les petites entreprises et l’environnement.

L’Internationale des services publics (ISP) est une fédération syndicale internationale représentant 20 millions de femmes et d’hommes qui travaillent dans les services publics de 150 pays à travers le monde. L’ISP défend les droits humains et la justice sociale et promeut l’accès universel à des services publics de qualité. L’ISP travaille avec les Nations Unies et en partenariat avec des organisations syndicales et de la société civile et d’autres organisations.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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