Restaurer la confiance dans le modèle républicain
Les Français sont de moins en moins nombreux à faire confiance à leurs institutions. Plus de 70 % d’entre eux déclaraient en janvier 2014 n’avoir confiance ni dans l’Assemblée nationale ni dans le Sénat.
Plus de 80 % estimaient que les hommes et les femmes politiques ne s’occupent pas de ce que pensent les gens et agissent principalement par intérêt personnel. De plus, près de 80 % considèrent que le système démocratique fonctionne mal en France. Ces chiffres sont en augmentation régulière, notamment chez les jeunes et dans les classes populaires, et se traduisent par une augmentation continue de l’abstention et du vote pour l’extrême droite. Ils s’accompagnent en outre d’une angoisse croissante vis-à-vis de l’ouverture au monde et de l’intégration européenne. Néanmoins, les institutions politiques ne sont pas les seules à pâtir de cette défiance : l’école et l’entreprise, en particulier, peinent à remplir leur rôle d’intégration sociale.
En outre, les Français sont très nombreux à penser que la société se désunit : ils jugent ainsi à plus de 80 % que la cohésion sociale est faible et 72 % anticipent des tensions entre les groupes composant la société, à échéance de dix ans.
Le modèle républicain français doit donc rapidement retrouver l’adhésion des citoyens et la capacité à créer de l’identité collective. Il faut rebâtir un projet commun porteur de sens et de confiance en renouant avec les principes et les fondements de ce modèle. Or, ce dernier s’est construit sur un socle caractérisé par l’affirmation de l’égalité de tous, l’universalisme et la neutralité de l’État vis-à-vis des appartenances privées. La solidarité et la volonté de créer une adhésion nationale de tous les individus et de tous les groupes figurent également parmi ses valeurs fondatrices.
À l’origine, les principes républicains s’inscrivaient dans le cadre de référence suivant :
• un corps national envisagé comme homogène ;
• une participation à la vie publique essentiellement fondée sur le vote et la représentation, et une inclusion sociale passant par des institutions fortement structurées et hiérarchisées (école, armée, lieu de travail, famille, etc.) ;
• une organisation uniforme de la puissance publique sur tout le territoire, autour d’un État centralisé.
Cet idéal d’unité républicaine, qui avait été complété après 1945 par la construction d’un État-providence, s’est ensuite progressivement fragilisé du fait d’importants changements politiques, démographiques, sociaux et économiques. La société est en effet devenue de plus en plus complexe, compte tenu par exemple de l’immigration ou de la diversification des rythmes et des parcours professionnels (flexibilité de l’emploi, etc.), bouleversant les liens sociaux dans leur forme classique.
Conjuguées à la disparition des grandes idéologies qui structuraient la vie publique et privée, les appartenances individuelles (parti politique, syndicat, communauté religieuse, famille, village, quartier, etc.) se diversifient. Si la population partage, pour l’essentiel, les mêmes aspirations, chaque individu se vit aujourd’hui au travers de multiples identités, à la fois comme un travailleur, un parent et un membre d’association, par exemple. Chacun peut être attaché à une (ou plusieurs) région(s), culture(s), croyance(s) particulière(s). Vectrices de liberté individuelle, ces appartenances multiples sont aussi de nouveaux motifs d’inquiétude, ou peuvent, si elles sont faibles, aboutir à des phénomènes de « désaffiliation », c’est-à-dire de mise en retrait de la société, notamment pour ceux qui ne sont pas intégrés dans les sphères les plus valorisées et en particulier celle du travail.
Les transformations des territoires contribuent également à la perte de confiance dans le modèle républicain. Bien antérieurement aux Trente Glorieuses, les migrations des populations rurales vers les villes permettaient d’accéder aux études et à l’emploi. Pour des millions de personnes – jeunes, immigrés, etc. –, l’ascenseur social avait pris les habits de la mobilité géographique. Or, ce processus, qui était un des biais de réalisation de l’idéal républicain, s’est enrayé. Entre autres, la ville est devenue inabordable pour les plus modestes qui ont rejoint les zones rurales ou n’ont pu s’extraire des grands ensembles des banlieues urbaines. Par ailleurs, ces populations ont été confrontées à un repli des services publics dans les centres-villes, ou n’ont pas toujours trouvé dans les zones éloignées des centres les ressources dont ils espéraient bénéficier (loisirs, accès à Internet, etc.).
À ces tendances longues s’ajoute une fragilisation du lien social plus conjoncturelle. Du fait de la crise économique débutée en 2008, on déplore une persistance, voire un creusement, des inégalités entre territoires – par exemple en termes de valeur immobilière et de déploiement des services publics –, mais aussi entre catégories sociales. Ces disparités, alliées à un chômage important et à une compétition croissante pour l’emploi, nourrissent le sentiment d’une société désunie et une moindre confiance en l’avenir. Une partie de la jeunesse n’échappe pas à ce pessimisme, entre autres à cause d’une insertion professionnelle de plus en plus tardive et précaire.
Dans un tel contexte, le malaise est entretenu par le fait que les différentes phases de décentralisation, qui visaient à répondre aux transformations démographiques et territoriales, et qui ont consisté pour l’État à travailler en partenariat avec les échelons locaux comme avec les acteurs sociaux ou privés, ont abouti à un enchevêtrement des responsabilités. Le système qui en résulte est peu efficace, illisible pour les citoyens et les entreprises, et nourrit une certaine défiance de la population vis-à-vis du pouvoir démocratique.
Certes, depuis trente ans, les politiques publiques ont été partiellement modifiées pour faire face aux évolutions, par exemple via l’adoption de mesures catégorielles comme la parité en politique, ou le développement de la démocratie participative. Cependant, le sentiment d’altération de la cohésion sociale demeure fort au sein de la population, invitant à poursuivre la réflexion sur notre conception du vivre ensemble dans un monde en rapide évolution. Il nous faut en effet répondre au double défi posé au sentiment d’appartenance à un destin commun : le premier concerne notre rapport aux autres dans une société vue comme moins homogène ; le second interroge la participation citoyenne et le rapport de l’individu aux institutions, locales et nationales.
Pour y parvenir, il faudra élaborer un véritable projet politique pour la France qui permettra d’adapter davantage l’État à l’évolution des besoins de la société. Tout d’abord, il s’agira de moderniser les institutions démocratiques, notamment en poursuivant la réforme de la représentativité élective, pour rapprocher les citoyens des décisions. De plus, afin de lutter contre le sentiment de délaissement d’une partie de la population, les pouvoirs publics devront rendre plus effective la lutte contre les discriminations et garantir à tous un accès aux services publics, en tout point du territoire. Ces mesures sont indissociables d’une réforme globale de l’organisation territoriale qui donnera aux différents pouvoirs des moyens d’action réels pour répondre aux nouveaux besoins économiques et sociaux.
* France Stratégie publie un rapport de synthèse intitulé « Quelle France dans dix ans ? Les chantiers de la décennie ». Cinq rapports thématiques, publiés séparément, précisent pour chaque chantier majeur les analyses et les recommandations soumises au débat social et citoyen, ainsi qu’à la décision politique.
Ce rapport thématique consacré au modèle républicain était placé sous la direction de Marie-Cécile Naves et Mathilde Reynaudi. Il a bénéficié des contributions de Blandine Barreau, Nicolas Charles, Delphine Chauffaut, Annick Guilloux et Benoît Lajudie.