Quinze ans de politiques d’innovation en France
Aujourd’hui près de 10 milliards d’euros, soit un demi-point de PIB, sont consacrés en France au soutien à l’innovation par les différents acteurs publics : État, collectivités territoriales et Europe. Si l’effort financier est considérable, il ne faut pas oublier que le choix et le calibrage des instruments des politiques d’innovation sont également des facteurs essentiels de l’efficacité de ce soutien.
La commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation (CNEPI), présidée par Jean Pisani-Ferry a pour mission d’améliorer l’efficacité et l’efficience des politiques d’innovation. Elle présente aujourd’hui la première étape de son travail : un état des lieux des dispositifs existants.
Six faits principaux ont été mis en lumière dans ce rapport :
D’importantes réformes ont été mises en place avec notamment la création des pôles de compétitivité, le PIA et Bpifrance. Coexistent aujourd’hui, au service de finalités voisines sinon parfois identiques, quatre logiques : une logique institutionnelle, une logique de mutualisation des initiatives, une logique de ciblage thématique et une logique d’appui aux initiatives entrepreneuriales. Ces quatre logiques sont-elles complémentaires ou faut-il choisir entre elles ?
Un basculement des aides directes (subventions, avances remboursables, etc.) vers les aides indirectes (aides fiscales et allègements sociaux). Dans les années 2000, la France pratiquait plutôt les aides directes alors que depuis 2004 elle s’est davantage orientée vers les incitations fiscales. Ces dernières comptent aujourd’hui pour près des deux tiers : elles sont, de loin, les principaux instruments de soutien public à la R&D et à l’innovation des entreprises. Cette évolution est positive en ce qu’elle garantit l’accès simplifié et indifférencié du plus grand nombre de bénéficiaires potentiels au dispositif. Elle pose cependant une question d’efficacité incitative : ces importants soutiens publics induisent-ils des dépenses supplémentaires d’innovation des entreprises ?
L’inflation et l’instabilité des dispositifs ainsi que la fragmentation accrue des aides directes. L’État et ses opérateurs gèrent aujourd’hui 62 dispositifs nationaux contre 30 en 2000. Le doublement du nombre d’instruments induit des doutes quant à l’efficience d’ensemble de la politique d’innovation, tout particulièrement du point de vue de la capacité des bénéficiaires cibles à s’en saisir pleinement. Cette multiplication du nombre dispositifs s’accompagne d’une réduction du montant global alloué de 30% en volume. Ces dispositifs se concentrent désormais plus vers l’aval, avec en particulier un poids relatif des moyens alloués à la valorisation des résultats de la recherche publique multiplié par cinq et presque un doublement de ceux consacrés au développement des coopérations entre acteurs. Le soutien à la création et au développement des entreprises innovantes représente la moitié du total des aides directes. Il conviendra de s’assurer que cette fragmentation n’est pas synonyme de complexité pour les bénéficiaires et de pertes d’efficacité substantielle des fonds publics engagés.
La délégation de la gestion des dispositifs à des agences ou des institutions qui leur sont assimilables, qu’il s’agisse du Commissariat général à l’investissement, ou de Bpifrance, elles-mêmes s’appuient dans certains cas sur des opérateurs, comme l’ANR. Ces agences, ou certaines d’entre elles, peuvent sélectionner les dispositifs en fonction de leur adéquation à une finalité plus générale. Cependant elles ne disposent pas toujours de la latitude de choix correspondante. La simplification passe-t-elle par la réduction du nombre de dispositifs ou par une plus grande discrétion laissée aux agences ?
Le renforcement du rôle des collectivités territoriales et en particulier des régions dans les politiques d’innovation. Si ces politiques sont mal connues, faute de recensement national des efforts des collectivités territoriales, la CNEPI estime pourtant qu’elles ont consacré en 2014 plus de 800 millions d’euros (dont plus de 500 pour les seules régions) aux politiques d’innovation (soit 15,4 % du soutien direct). La plus grande part des dispositifs se concentrent sur l’aval : l’innovation partenariale, les entreprises innovantes en phase de création ou de démarrage, l’innovation au sein des entreprises déjà établies. Une cohérence entre les actions des collectivités territoriales, ainsi qu’entre-elles et celles de l’Etat devra être recherchée pour limiter la complexité du système pour les entreprises.
L’Union européenne est un acteur de poids presque équivalent, avec 4,5 % du total et 12,9 % des aides directes. Les aides qu’elle accorde sont aujourd’hui conditionnées par la mise en place de stratégies régionales de spécialisation intelligente. Toutefois, il convient de s’interroger sur la coordination de l’action des différents échelons publics.
La publication de ce rapport n’est qu’une première étape avant de pouvoir procéder à une évaluation de l’efficacité et de l’efficience des politiques d’innovation. La commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation travaille désormais sur les questions soulevées par ce premier travail.