Le jour du lancement de la campagne des Eurogreens (1), ce sont plus de 200 personnes qui ont répondu présent à la libre invitation des Verts de passer une journée au parlement européen de Bruxelles. L’occasion pour tous ces citoyens, quelques semaines avant les élections du 13 juin, d’un voyage au cœur de toutes les interrogations européennes.
« Vous n’êtes pas sur la liste, mais nous allons trouver une place ». La foule se presse ce matin d’avril place de la Nation à Paris. Départ imminent pour Bruxelles et son parlement européen. Départ pour (re)découvrir son rapport intime avec cette grande machine qui effraie ou qui fascine, l’Europe. Dans les 5 bus affrétés par le parti des Verts, on s’entasse et on fait connaissance. Assis l’un à côté de l’autre pour l’occasion, deux retraités se montrent l’article annonçant l’offre des Verts, découpé soigneusement dans le journal Métro. « Moi je suis déjà allé à Bruxelles, mais je n’avais pas pu visiter le parlement, alors c’est l’occasion, annonce gaiement Arno, retraité d’origine polonaise. Cela nous concerne tous l’Europe, alors pourquoi pas y aller ? ».
Parmi les voyageurs, quelques militants verts, parsemés, discrets. « Beaucoup de gens ne connaissent pas les questions européennes. Nous voulons faire un peu de pédagogie et d’information aujourd’hui », affirme Françoise Kiefe, membre du secrétariat parisien des Verts. Et cela marche : « Parmi les 232 personnes qui partent ce matin de Paris, seulement 10 % sont des militants verts », poursuit-elle.
Euro-enthousiastes ou euro-sceptiques
Il n’y aura donc pas de chants écolos durant ce voyage. Mais alors qui sont ces euro-curieux d’un jour ? Valérie, parisienne de 30 ans en RTT, a le nez plongé dans un dossier. Sérieuse derrière ses lunettes, elle ne fait guère attention au paysage qui défile. « Moi je préfère l’action à la parlotte, et comme l’action passe d’abord par l’information, je voulais en savoir plus sur l’Europe et ses institutions. J’ai découvert hier sur Internet que Strasbourg et Bruxelles (2) ne forment en fait qu’un seul parlement. Et je dois reconnaître que je ne connais même pas les candidats français aux prochaines européennes. En fait, ça manque de personnalités jeunes et médiatiques pour que l’on s’y intéresse », lâche-t-elle.
Un arrêt carburant plus tard – « On n’est pas équipé de panneaux solaires » avait prévenu le chauffeur du bus – une plaque au bord de l’autoroute nous souhaite la bienvenue en région Nord-pas-de-Calais. Seul sur deux sièges, un type dépouille son journal de courses hippiques. C’est Alain. A 50 ans, avec une maîtrise de droit, un DEA en études européennes, un diplôme en criminologie, cet ancien instituteur est au chômage. « Pour moi, l’Europe, ce sont avant tout des pays qui partagent les mêmes valeurs d’humanisme, de liberté, de respect de la vie et de prise en compte des autres cultures. Je m’intéresse aux cultures et aux institutions européennes, alors je suis venu pour prendre la température, l’ambiance du parlement et de la qualité de vie à Bruxelles ». Plus terre à terre, Alain a également donné à cette journée un objectif « professionnel » : « je m’intéresse au métier de Bookmaker, et j’espère trouver des informations sur ce métier, interdit en France ».
Chacun sa motivation sous le bras, ses espoirs de trouver réponses à ses questions, le cortège arrive à Bruxelles. Les yeux grands ouverts, l’Europe semble déjà plus proche, plus vivante.
Suivez le guide
Rassemblés derrière le drapeau des Verts, tous les participants sont réunis pour un pique-nique improvisé au pied du parlement. Sandwich à la main, Alain Lipietz, député vert européen, fait la visite guidée du « quartier européen », celui qu’il connaît si bien. « Derrière cette colline, vous avez la commission européenne, qui est en quelque sorte le gouvernement de l’Europe. Le conseil de l’Europe se trouve un peu plus loin. C’est en fait ce conseil qui décide de tout ». On écoute religieusement, un peu amer de découvrir la réalité de la démocratie à l’européenne. Mais Lipietz rassure : « Pour le moment le conseil est plus puissant que le parlement, mais nous allons renforcer notre influence… enfin, celle des citoyens qui élisent les députés ».
Il est déjà 15h. « L’Europe c’est beaucoup d’administration », se moque l’un des visiteurs, dans la file d’attente interminable pour rentrer dans le parlement, sécurité oblige. En attendant, un père de famille filme femme et enfant, comme en vacances.
Une fois à l’intérieur, badge accroché à la veste, le groupe se disperse joyeusement dans la fourmilière européenne.
Par petites grappes, les visiteurs explorent les lieux, guidés par les assistants parlementaires verts réquisitionnés pour l’occasion. Les questions fusent. La constitution, les institutions européennes, la vie des députés européens, la banque centrale… les sujets se bousculent, les questions sont affûtées. Plus loin, un assistant vert italien dénonce l’Europe libérale et balance sur Berlusconi.
L’Europe sans débat
L’heure est venue de la grande conférence des Verts européens. L’hémicycle se remplit en quelques instants. Le spectacle va commencer. La musique d’Ennio Morricone accompagne un film sur le combat quotidien des écologistes de toute l’Europe, réunis sous la bannière des Eurogreens. La campagne est lancée. « Pour une Europe environnementale, sociale et beaucoup plus politique », annonce la porte-parole des verts européens, Monica Frassoni.
Le casque sur les oreilles, l’ambiance est studieuse. On écoute, en 9 langues, tous les représentants verts de chaque pays de l’Union européenne élargie. Les applaudissements se font automatiques.
La séance de questions-débat annoncée au début ne viendra finalement jamais. Après l’intervention redynamisante de Daniel Cohn-Bendit (député européen et porte-parole des Verts), il est déjà l’heure de rejoindre les cars et de quitter les moquettes épaisses du parlement.
Je retrouve Valérie, la parisienne rencontrée dans le bus : « C’était super intéressant. J’ai appris beaucoup sur la vie politique européenne. L’Europe n’est plus seulement un marché économique pour moi. Mais bon, y’à encore du travail pour réaliser une cohésion politique ». Dans les bus, les mines sont fatiguées. On retrouve ceux qui ont préféré s’échapper pour faire du shopping. Avant que la route berce tout le monde, les commentaires fusent « T’as vu ils ont zappé le débat, j’ai rien compris », « ah il est bon Dany tout de même ! », « c’est sympa le parlement, plus petit que je pensais », « ça t’a donné envie de voter Verts toi ? ».
A l’avant du car, un bébé pleure dans les bras de sa mère. Retour prévu à Paris vers 23h30.
(1) Le Parti Vert Européen fondé lors du 4ème Congrès de la Fédération européenne des Partis Verts à Rome (février 2004) compte 32 partis membres de toute l’Europe et 8 partis observateurs. www.eurogreens.org
(2) Strasbourg et Bruxelles, deux villes qui accueillent chacune le parlement européen. Les séances se tiennent principalement à Bruxelles, mais une session parlementaire mensuelle doit se tenir à Strasbourg, ce qui pose des problèmes logistiques énormes.