Les nouveaux défis de la laïcité
A l’occasion d’un débat organisé le 8 mars par Le Pacte civique sur les nouveaux défis de la laïcité, les intervenants ont mis en évidence la question des rapports entre islam et laïcité (publié dans bulletin n°3 avril 2016)
Didier Leschi (ancien chef du Bureau central des cultes du Ministère de l’Intérieur) a rappelé que tous les aménagements juridiques qui ont suivi la loi de 1905 vont dans le même sens : permettre aux confessions de s’exprimer dans l’espace public librement. Ce dernier a mis en évidence que la vraie difficulté est plus d’ordre sociétal que juridique, certains problèmes de vivre ensemble relevant plus de la bataille philosophique que de l’application du droit. Pour lui, la tâche des citoyens laïcs est de reconstruire un tissu social sur le terrain afin de ne pas laisser la place aux intégrismes religieux et aux influences et financements extérieurs. Problème : le rapport à l’Islam lui apparaît comme compliqué, car il n’y a pas d’intellectuel collectif porteur d’une parole forte sur les pratiques de la religion musulmane en France aujourd’hui. Ainsi, les multiples expressions de l’Islam privent les autorités d’un interlocuteur avec lequel bâtir des compromis, le Conseil Supérieur du Culte Musulman étant trop coupé de la masse des fidèles pour bien le représenter.
Selon Jean-Baptiste de Foucauld, ancien commissaire au plan et coordinateur du «Pacte Civique», la laïcité n’est pas une idéologie. Elle repose sur deux principes – l’Etat garantit la liberté de conscience et ne reconnait ni ne salarie aucun culte – et sur des modalités d’application appuyées sur une importante et solide jurisprudence.
L’apaisement des conflits initiaux engendrés par la loi, grâce notamment à l’évolution de l’Eglise catholique, a laissé la place à un raidissement, pour deux raisons au moins : la montée du chômage et de l’exclusion, qui a entraîné une crise identitaire et un réveil du religieux ; l’effondrement du communisme qui prive ce besoin identitaire de la possibilité de passer par le champ politique ; l’Islam apparait alors comme une solution assez tentante. Or il est traversé aujourd’hui par des courants puissants dont certains posent problème en termes de liberté de conscience et de vivre ensemble.
Trois scénarios lui semblent possibles dans ce nouveau paysage religieux : renforcer la laïcité au nom de la paix sociale au risque de porter atteinte au vivre ensemble ; s’en tenir à un système qui a su régler les problèmes au cas par cas, en comptant sur les capacités d’évolution de l’Islam ; proposer à l’Islam un compromis lui permettant de participer pleinement à la vie nationale.
Philippe d’Iribarne, directeur de recherche au CNRS , considère que la question de la laïcité resurgit en raison de la puissance de l’Islam aujourd’hui. Le postulat de la loi de 1905 qui associe deux acteurs – d’un côté une série d’individus autonomes qui décident souverainement de leur croyance, de l’autre l’Etat chargé d’organiser cette liberté en étant neutre et en respectant chacun – est totalement irréaliste quand il s’agit de l’Islam, car il omet un acteur essentiel, la communauté, l’oumma, qui pèse sur les croyants. Les dérives constatées ici et là entraînent à leur tour des réactions de rejet des musulmans et de demande d’application stricte de la laïcité. Pour lui, l’intégration a une forte composante culturelle ; comme les immigrés venus du Sud-Est asiatique, les musulmans doivent faire la démarche nécessaire à leur insertion et à celle de leurs enfants.
Radia Bakkouch (Coexister) note que, parmi les jeunes, il y a ceux qui ne se sentent nullement concernés par la laïcité, ceux à l’inverse qui vivent la laïcité comme un interdit à leur liberté de croire et ceux qui se reconnaissent dans les débats inter-convictionnels. La position de Coexister est « la loi de 1905, rien que la loi » et « la laïcité est un principe républicain qui protège et non interdit ». Par ailleurs, elle dénonce la polémique qui centre la question laïque sur l’Islam, nourrissant des fantasmes et créant un climat anxiogène au risque de faire monter le réflexe identitaire.
Pour conclure, Jean-Baptiste de Foucauld rappelle que le couple démocratie-religion prend du temps pour s’apprivoiser et se demande si l’Islam peut accomplir la mutation de la séparation du politique et du religieux. Il préconise de bouger tous ensemble pour relever les défis de la laïcité.