La mer n’est pas ce monde du silence cher au Commandant Cousteau. Le silence des abysses révèle un étonnant trésor sonore qui intéresse les chercheurs et les défenseurs des animaux marins. Une paix marine mise en danger par le vacarme des activités humaines.
Ca communique sous l’eau ! En effet, certaines nappes d’eaux forment de véritables réservoirs sonores qui sont dus aux variations de densité liées aux écarts de pression et de température. Le son est aussi quatre fois plus rapide dans l’eau que dans l’air. Les animaux marins contribuent à ce magnifique concert des profondeurs. Les cétacés les plus « tonitruants » sont les cétacés à dents, principalement les dauphins et les cachalots. Tant que ce bruit de fond est naturel et témoigne de sons variés comme le chant des baleines ou, plus discrètement, le crissement des mandibules des crustacés, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Tous ces sons naturels sont de précieux indices pour la recherche. Seulement voilà, il y a…les hommes. Le problème se complique en effet avec l’intense trafic dont la mer méditerranée fait l’objet.
Hélices des bateaux, grondements des moteurs, forages, canons à air, installations off-shore en construction, activités de prospection industrielle, entraînements militaires avec tirs et explosions sous-marines, autant de pollutions sonores liées aux activités des hommes, menaçant la faune marine de la Méditerranée. Pour Alexandre Gannier, président du Groupe de recherche sur les cétacés (GREC), basé à Antibes, c’est sûr, « le bruit sous-marin a augmenté dans des proportions anormales avec notamment la pollution sonore intense produite par les hélices des énormes yachts privés de 5000 CV qui filent à 25 nœuds ». En dix ans, ils se sont multipliés par dix, le long du littoral de la cote d’Azur, en Italie et en Grèce. « On ne peut plus faire nos recherches sur les baleines à moins de dix milles marins des cotes » souligne le chercheur. Pour Nicolas Entrup, de la Société de sauvegarde des baleines et des dauphins (WDCS), le bruit sous-marin risque de devenir aux cétacés ce qu’une discothèque est à l’homme : « un endroit où on peut rester un instant mais où l’on ne pourrait pas vivre ».
Pauvres mammifères marins ! Déjà menacés par la chasse et le changement climatique – des chercheurs du Monterey Bay Aquarium Research Institute ont montré que l’acidification croissante des océans, qui résulte de sa capacité d’absorber le CO2 atmosphérique aggrave la pollution sonore des océans -, voilà qu’ils doivent, pour pouvoir communiquer, faire face au tumulte des humains.
Désorientés et assourdis par le tintamarre des sonars et des moteurs, perdant de leur capacité auditive, les baleines peinent de plus en plus à trouver leur nourriture. Leur taux de reproduction baisse et leur mortalité augmente. Des tortues et des populations de « globicéphales », dauphins pilotes qu’on voit fréquemment dans le sillage ou à l’étrave des navires, sont également en danger. A l’occasion de sorties en mer, les gardes des Réserves Naturelles de Corse ont noté, pendant la haute saison touristique, des anomalies dans le comportement des Grands dauphins, tel que l’éclatement des liens sociaux. Les experts comparent les perturbations que subissent ces animaux à un accident de décompression pouvant survenir en plongée sous-marine.
Le bruit sous-marin provoqué par des exercices de l’armée américaine, serait à l’origine de l’échouage d’une dizaine de ziphius, près de Corfou, au mois de décembre 2011. « Il y a maintenant des preuves qui établissent des liens entre les bruits sous-marins et les échouages massifs de mammifères marins, surtout les baleines à bec vivant dans les profondeurs sous marines » explique Mark Simmonds, directeur Scientifique de la Société de Conservation des Dauphins et des Baleines.
« Avec les essais militaires et les études sismiques, le pire est à craindre », soutient Jean-Pierre Sidois, directeur de SOS Grand Bleu, une association de protection des dauphins et des mammifères marins, située à Saint-Jean-Cap-Ferrat: « Il y a fort à craindre, qu’avec la pénurie annoncée des énergies fossiles, les industriels multiplient les recherches en mer pour trouver du pétrole ou du gaz de schiste. Et les sanctuaires marins sont aussi menacés ». L’association lutte contre le projet de plate-forme pétrolière, non loin du Sanctuaire Pélagos, abritant de nombreux cétacés, entre Hyères et Marseille. Suite à une mobilisation rassemblant de nombreux regroupements écologistes comme Surfrider Foundation Europe ou des associations contre le gaz de schiste, le décret d’autorisation a été bloqué. « Mais rien n’est encore gagné » précise le directeur de SOS Grand Bleu.
Bien que son impact soit moins important, le bruit de fond ambiant engendré par la navigation classique affecte aussi les animaux marins les plus fragiles. Les rorquals communs, payent le plus lourd tribut. Perturbés par les gros bateaux, ils sont ainsi obligés de mener des stratégies d’évitement les contraignant à accélérer et réduire le rythme de leur souffle, quand ils ne sont pas accidentés. Ils représentent 50% des animaux touchés par les navires. Parce que l’espèce est rare, la survie du cachalot est également en jeu. En outre, un simple trafic de bateaux naviguant à faible allure en eaux peu profondes peut réduire de 26% la portée des sons émis par les grands dauphins et provoquer des collisions dommageables
Certains animaux marins s’habituent aux bruits de la circulation. Dans le détroit de Gibraltar, les dauphins bleus et blancs et les dauphins communs semblent même attirés par les vagues du sillage des navires de ligne régulière, surtout quand ils sont en phase de socialisation. Mais cette adaptation a ses limites, vu la croissance du nombre de bateaux, l’augmentation de leur vitesse et l’importance de leur taille.
Selon les scientifiques qui se penchent sur la question, aucun travail de prévention et aucune mesure de précaution ne sont effectués afin de minimiser les risques identifiés et connus et diminuer l’exposition des mammifères marins au bruit. A peine le Grenelle de l’environnement en France a-t-il reconnu en 2010 la pollution sonore comme l’une des formes de pollutions marines. Au plus, une réglementation a-t-elle été votée par le Parlement européen pour combattre les conséquences néfastes des sonars actifs à haute intensité. Il y a huit ans, en 2004, seize pays européens ont pourtant adopté une résolution reconnaissant le bruit sous-marin anthropique comme polluant dangereux portant atteinte à la vie des cétacés et autres animaux marins. Mais, aux dires des écologistes, « cela reste du bruit pour rien ». On parle d’adopter des moteurs de bateaux moins bruyants, d’édicter des règles plus strictes en matière d’études sismiques et de technologies de sonars utilisées par la flotte militaire. Rien de très concret.
Pour J.P. Sidois, « il n’existe pas à l’heure actuelle de politique européenne digne de ce nom pour lutter contre la pollution sonore sous-marine». Seuls les associations et les chercheurs se démènent. « Le tableau est sombre mais maintenant, on a les connaissances et la méthodologie pour remédier à certains problèmes », relève le biologiste Michel André, directeur du laboratoire d’applications bioacoustiques de l’université polytechnique de Catalogne, coordonnateur du projet Lido (Listen to the Deep Ocean Environnement) visant à cartographier les sons des fonds marins. En y voyant plus clair, peut-être les décideurs percevront-ils le chant des baleines ?
* Yan de Kerorguen est l’auteur de « La mer, le prochain défi ». aux Editions Gutenberg Sciences
* Cet article est paru dans The Good Life n° 4