« Le sang de la Realpolitik – L’affaire Srebrenica » Un livre de Florence Hartmann
Cela fait 20 ans que le génocide de Srebrenica a eu lieu et l’ouvrage de Florence Hartmann, « Le sang de la Realpolitik – L’affaire Srebrenica », qui paraît aux éditions Don Quichotte sous format électronique, vient à point nommé. C’est le livre d’un lanceur d’alerte qui connaît par cœur la triste histoire de la Bosnie et qui se refuse à laisser dans l’ignorance ou l’ambiguïté les pans de l’histoire qui n’ont pas été élucidés.
Comme journaliste, Florence Hartmann a suivi la montée du nationalisme serbe, à Belgrade où elle était correspondante du Monde. Puis comme porte-parole du procureur du Tribunal Pénal international, elle a vécu de l’intérieur le travail de la justice sur les crimes de guerre et le génocide perpétré par les troupes du général Mladic.
C’est la force de l’investigation qui anime encore Florence Hartmann dans cet ouvrage dérangeant. Dans cet écrit salutaire, elle fait d’importantes révélations sur la tragédie qui a ensanglanté l’enclave de Srebrenica dont les habitants mâles – hommes et adolescents – ont été exécutés froidement, alors qu’ils auraient pu être sauvés. Au total huit mille personnes, dont la survie contrariait le projet de purification ethnique de la Bosnie, sont tombés sous les balles serbes. Certes les dirigeants serbes de l’époque, Milosevic, Karadzic, et les forces sous leurs ordres sont les coupables de ce génocide. Mais au-delà de cette responsabilité première, il y a celle de la communauté internationale et du Conseil de sécurité, au premier rang desquels la France, le Royaume-Uni et les États-Unis, tous trois impliqués dans le règlement du conflit. « En effet, pour la première fois de son histoire, le Conseil de sécurité des Nations unies avait pourtant autorisé l’emploi de la force pour protéger les populations promises aux exactions en Bosnie-Herzégovine. Y compris par la voie des avions de l’Otan. Ce n’est donc pas dans l’absence d’instruments juridiques ou militaires qu’il faut chercher les raisons de cet échec », précise-t-elle. Les informations qu’elle met à jour, parce qu’elles incriminent les responsabilités de l’ONU et des forces internationales présentes en Bosnie, modifient radicalement la perspective historique de l’épuration ethnique qui s’est déroulée de 1992 à 1995 en Bosnie.
Avec un art consumé de la démonstration, nourrie par une curiosité et une rigueur sans faille, Florence Hartmann puise dans les archives diplomatiques déclassifiées les arguments qui lui permettent de mettre en évidence le rôle de la communauté internationale dans le sort tragique de la bourgade de Srebrenica. Elle explique comment et pourquoi les USA, la Grande Bretagne et la France ont négocié l’abandon de la ville et, par ce marché de dupe, « sont devenues les facilitateurs du dernier génocide du XXe siècle ». Elle explique aussi comment les grandes puissances ont réécrit l’histoire tragique de la petite ville de Bosnie. Ce récit déformé a été repris par la justice internationale qui n’a pas hésité à brouiller les traces indispensables au travail des historiens. Certes, depuis lors, la communauté internationale a admis son échec à Srebrenica, mais elle a décliné toute responsabilités, préférant parler d’erreurs : ne pas avoir envisagé l’hypothèse de la prise de Srebrenica ; ne pas s’être donné les moyens de conjurer le retour du génocide en Europe.
« La responsabilité de nos États est finalement beaucoup plus grave, écrit-elle. C’est ce qui ressort de la reconstitution minutieuse du processus diplomatique dans les semaines qui ont précédé le drame. Un travail d’enquête entamé depuis de longues années, facilité par l’accès récent à une partie des archives internationales, notamment américaines, mais qui a supposé aussi d’écumer des milliers de pages à la recherche des informations ayant échappé à la vigilance des services chargés de les déclassifier. Londres, Paris et Washington n’ont rien fait pour empêcher ce qui était en train d’arriver, même une fois en avoir pris connaissance. Malgré les démentis, cette vérité hante, depuis deux décennies, la conscience européenne et internationale. Nous soupçonnions un calcul ô combien politique, visant à éliminer les derniers obstacles à la paix et à simplifier la négociation diplomatique. Srebrenica est bien tombée au nom d’une raison d’État qui se trouvait dans ces capitales et sans doute à Sarajevo. Mais ce sera aux Bosniaques d’examiner la pertinence des choix effectués par leurs propres dirigeants pendant la guerre et, tout particulièrement, en 1995. Le moment est venu, pour eux aussi, de crever ce douloureux abcès ».