« La Grande Nouvelle », une pièce de Jean-Louis Bauer et Philippe Adrien, au Théâtre de la Tempête.
Vieillir? Certains en font toute une maladie. Dans le malade imaginaire, Molière, lui, préfère en rire en se moquant des médecins. Il en rit et il en meurt même. Non pas mort de rire. Mais mort de maladie tout en jouant le rôle d’un homme qui se croit malade. C’est dans le costume atrabilaire d’Argan que Molière disparaît, pour de bon, quasiment sur scène, un jour de février 1673. Triste ironie !
On a peine à la croire : les gens vivaient 25 ans à tout casser sous Louis XIV. Aujourd’hui on peut atteindre 85 ans sans trop de dommages et avec intérêt. Peut être bientôt avec les élixirs de longue vie et autres technologies transhumanistes, on pourrait même espérer l’immortalité. La grande nouvelle, c’est celle qu’attend Argan : Vivre mille ans ! La dernière pièce de Jean-Louis Bauer co-écrite et mise en scène par Philippe Andrien, reprend avec entrain, cette thématique de l’allongement de la durée de vie et de la peur de mourir en utilisant un artifice bien mené : une transposition du Malade imaginaire de Molière dans le milieu des classes moyennes, à l’heure d’internet et des biotechnologies.
Forcer le ridicule, insister sur l’incohérence de notre monde, jusqu’à l’absurde, Bauer et Adrien sont habitués. Tourner le réel en dérision, en utilisant la farce, fait partie de leur marque de fabrique. Mais cette fois-ci, ils vont jusqu’au bout du délire avec l’envie d’apporter à la réflexion des stimulants dérangeants. Par exemple, le tranhumanisme. Vous savez, ces types assez influents qui promettent le meilleur des mondes, un technomonde qui permet aux aveugles de recouvrer la vue, aux sourds d’entendre, aux paraplégiques de marcher, une humanité augmentée de nano, de bio et de robots dont le projet est l’amélioration mentale et physique des individus. Bref un monde où l’on pourra vivre très vieux.
Molière et le transhumanisme. Il faut oser. Ca passe ou ça casse. Mais Bauer et Adrien connaissent leur affaire. Le malade e-maginaire, sec et grimaçant, que les deux auteurs inventent et font circuler dans un décor immaculé, passe. Il passe même très bien. Et l’on rit. Argan revu et transposé est un hypocondriaque hygiéniste et crédule, rongé de peur à l’idée de la maladie et de la mort, possédé par l’espoir de l’immortalité. Les auteurs dosent avec intelligence la trivialité des propos et la profondeur philosophique du problème qui est posé. Dans la première scène, on est tout de suite dans le bain. Tout est aseptisé selon le grand principe domotique. Sauf que les tuyaux sont bouchés.
Formidablement bien joué par Patrick Paroux, le personnage d’Argan peine à maîtriser les technologies susceptibles de lui apporter la jouvence éternelle. Et ça le rend fou. À chaque heure du jour, arrimé à l’écran de son lap top, il dévore les informations futuristes qui s’amoncellent sur la toile. Sa femme est une transexuelle vénale et botoxée, tirée à quatre épingle, des talons jusqu’aux pommettes. La fille, un rien déjantée, est folle d’un vieux rocker pornographe, abjecte comme il faut. Le frère d’Argan, nourri à l’homéopathie, est gris et angoissé. Les deux Diafoirus sont des financiers comme on en voit à la télé. Reste le jeune amoureux transi, Antoine, tout feu tout flamme, le seul humain en somme qui brusquement réintroduit la danse de la vie.
Tout cela donne une sorte de conte moral et satyrique très entraînant avec des personnages ridicules à souhait et parfois un tantinet tragique. Les répliques sont drôles, la farce est féroce. C’est efficace et cocasse. On passe un bon moment.