Selon le COE, moins de 10% des emplois cumulent des vulnérabilités qui pourraient en menacer l’existence dans un contexte d’automatisation. La moitié des emplois existants pourrait voir son contenu notablement ou profondément transformé.
Alors que les révolutions technologiques successives se sont accompagnées jusqu’à présent d’un développement de l’emploi, l’automatisation et la numérisation, des technologies interdépendantes qui se déploient avec des effets démultiplicateurs au-delà de la stricte production de biens et services- – alimentent des peurs autour d’un « futur sans emploi ». Alors que les études existantes se focalisent uniquement sur les « destructions d’emplois », le Conseil a voulu approfondir l’analyse et embrasser l’ensemble des défis mais aussi des opportunités de la révolution technologique en cours. Marie-Claire Carrère-Gée, présidente du Conseil, observe ainsi que: « Les études prospectives ont jusqu’ici mis l’accent sur le risque de destruction d’emplois. Attention à ne pas avoir une vision trop simplificatrice.».
Dans ce premier tome du rapport du COE, le Conseil analyse les effets possibles du progrès technologique sur le volume de l’emploi (en termes de disparition mais aussi de créations), mais aussi les effets sur la structure de l’emploi (quels sont les métiers et les secteurs les plus concernés ? comment les métiers sont-ils appelés à évoluer ? quels types de compétences seront à l’avenir les plus recherchées ?) et sa localisation, à la fois à l’échelle nationale (quelles pourraient être les zones d’emploi les plus concernées ?) et internationale (les technologies pourraient-elles favoriser un mouvement de relocalisation des emplois en France ?).
Le Conseil publie également une liste de métiers qui, au vu de cette étude, apparaissent les plus vulnérables ainsi qu’une liste de métiers dont le contenu est susceptible d’être transformé. Selon Marie-Claire Carrère-Gée, « S’agissant de leurs conséquences sur l’emploi, les robots, l’intelligence artificielle ou l’impression 3D ne justifient, ni frayeur ni exaltation. Les transformations d’emplois existants, pour être probablement de très grande ampleur, pourront constituer autant d’opportunités et rendre bien des tâches moins pénibles et plus performantes. Les pertes d’emploi, peut-être significatives, pourront être compensées, et plus que, par des créations d’emploi en France. A nous– acteurs économiques, citoyens, pouvoirs publics- de nous en donner les moyens.»
Plusieurs conclusions sont apportées par le Rapport.
1. L’histoire économique montre qu’au cours des deux derniers siècles, l’emploi, s’il s’est beaucoup transformé, a continué à augmenter au fil des révolutions technologiques. Le lien plutôt favorable entre l’emploi et les nouvelles technologies a également été confirmé au cours des trois dernières décennies.
2. La nature et l’ampleur inédite des progrès liés au numérique et à l’automatisation ainsi que le ralentissement récent de la productivité, remettent aujourd’hui la question de l’évolution de l’emploi au cœur du débat public. Dans un contexte marqué par de grandes incertitudes sur les avancées technologiques à venir et leur rythme de diffusion dans l’économie, le Conseil a souhaité, pour éclairer le débat public et l’élaboration des politiques publiques, aborder la question dans sa globalité. Trop souvent en effet, les analyses sont partielles, ce qui peut fausser les conclusions. Tantôt elles s’intéressent aux seules destructions d’emploi quand il faudrait aussi prendre en considération les créations d’emploi, plus difficiles bien sûr à concevoir et à chiffrer. Tantôt elles considèrent la question d’un point de vue purement quantitatif en omettant la dimension qualitative : la transformation du contenu des emplois et du travail.
3. Les leçons de l’analyse économique récente invitent à considérer, au-delà de la vitesse de déplacement de la frontière technologique, les enjeux de temporalité. En effet, l’introduction de nouvelles technologies ne se traduit pas seulement par la substitution de l’homme par la machine, par le fait de produire plus avec moins, avec à la clé des destructions d’emploi. Les gains de productivité associés à des « innovations de procédé » qui permettent de produire avec des effectifs réduits, sont également susceptibles de favoriser des gains de parts de marché, notamment à l’exportation. A côté ou à la suite de ces « innovations de procédé », des « innovations de produit » peuvent apparaître, avec des effets positifs sur l’emploi – à condition bien sûr que les nouveaux produits ne se substituent pas aux anciens. Par ailleurs, à plus ou moins brève échéance, des mécanismes de compensation – ou effets de bouclage macroéconomique – contribuent à l’augmentation de l’emploi, directement – via l’emploi nécessaire à la mise en œuvre des nouvelles technologies – ou indirectement – via notamment l’augmentation de la demande. Deux questions sont dès lors cruciales : faire en sorte que ces mécanismes de compensation puissent intervenir dans les meilleures conditions et les plus brefs délais et bien gérer la période de transition.
4. Une économie ne peut s’abstraire ni même se tenir provisoirement à l’écart des progrès technologiques au risque d’un décrochage : le progrès technologique n’est pas une option et la rapidité d’adaptation est aussi un critère de succès dans un contexte de mondialisation accrue.
5. La diffusion des nouvelles technologies et par conséquent leur impact sur l’emploi et l’emploi national en particulier n’est pas pour autant une route toute tracée : à frontière technologique donnée, les scénarios peuvent être très différents selon les choix opérés par les acteurs économiques –les créateurs d’entreprises et des investisseurs –, et les conditions résultant de leur environnement. Ainsi, les normes éthiques et sociales, ainsi que les choix de politiques publiques sont-ils déterminants. Et ce qu’il s’agisse par exemple de soutien à l’innovation et à la R & D publique et privée, d’édiction de normes techniques, d’application du droit de la concurrence (oligopoles), d’éducation, de formation et d’emploi. Tous concernent le pacte social et le soutien à l’offre et à la demande globale. L’ampleur et le caractère crucial des choix à opérer exigent un diagnostic le plus étoffé possible et de bien apprécier toutes les éventualités, pour se mettre en état de mieux décider en contexte d’incertitude.
6. Pour établir ce diagnostic prospectif, il faut retenir le bon cadre d’analyse. Les études empiriques analysées par le Conseil mettent clairement en évidence que, lorsqu’une machine se substitue à une activité humaine, elle se substitue à une ou plusieurs « tâches » – c’est-à-dire la manière d’effectuer une activité de travail en mobilisant certaines compétences, non à des « métiers ». D’une part, tous les individus accomplissant le même « métier » n’accomplissent pas les mêmes tâches, d’autre part le contenu en tâches d’un même métier peut évoluer avec, notamment, le progrès technologique.
7. Dès lors, mieux vaut donc se baser sur des données individuelles, décrivant la réalité des emplois en France, en prenant en compte la complexité de leur contenu. L’étude réalisée au sein du Secrétariat général du Conseil sur le champ de l’emploi salarié en France à partir des données issues de l’enquête Conditions de travail montre que :
– moins de 10 % des emplois existants présentent un cumul de vulnérabilités susceptibles de menacer leur existence dans un contexte d’automatisation et de numérisation ;
– mais la moitié des emplois existants est susceptible d’évoluer, dans leur contenu, de façon significative à très importante ;
– le progrès technologique continuerait à favoriser plutôt l’emploi qualifié et très qualifié : parmi les emplois susceptibles d’être vulnérables, les métiers surreprésentés, en volume ou au regard de leur part dans l’emploi total, sont souvent des métiers pas ou peu qualifiés.
8. La perspective d’une disparition massive des emplois existants, que laissent entendre certaines études soulignant que près de 50 % des emplois seraient exposés à un risque élevé d’automatisation, n’est donc pas la plus probable. En revanche, il est clair que les évolutions en cours vont être à l’origine d’une profonde transformation des emplois existants, y compris dans des secteurs et métiers qui ne semblaient pas jusqu’à présent les plus directement concernés.
9. Les nouvelles technologies du numérique ont dans un premier temps facilité la délocalisation de cer- taines fonctions de l’entreprise et de tout ou partie des emplois correspondants. Le mouvement d’automatisation et de numérisation pourrait à terme contribuer à favoriser des relocalisations d’activité, avec des retombées potentielles positives sur l’emploi, même si à ce stade les exemples sont encore modestes.
10. L’importance d’un diagnostic prenant en compte une part d’incertitude sur les effets des nouvelles technologies de la numérisation et de l’automatisation est cruciale : c’est sur cette base que doivent s’appuyer les évolutions des politiques publiques et des régulations à mettre en œuvre. Elles ne sont ni de la même ampleur, ni de la même nature selon que les transformations sont lentes ou brutales, mineures ou massives, et concentrées ou non sur certaines compétences, certaines zones géographiques, certaines catégories d’emploi. Dans un second tome du présent rapport, le COE va s’attacher à étudier, sur la base de ces différents scénarios, les enjeux précis en termes d’évolution des compétences, de mobilités professionnelles, d’organisation et temps de travail et de modes de management, de conditions de travail ou encore de soutien à l’innovation. Il y formulera également des préconisations de politiques publiques sur l’ensemble des champs de l’emploi et du travail.