« L’amour de l’autre est le ressort de la médiation » : entretien avec Thierry Dudreuilh
Président pendant deux ans du Centre de médiation et de formation à la médiation (CMFM) – il a démissionné de ses fonctions en mars 2004 -, Thierry Dudreuilh est un adepte de la médiation depuis une dizaine d’années. Après une longue et brillante carrière en entreprise, cet ancien consultant se lance aujourd’hui dans la création d’un cabinet de conseil et de formation dans ce domaine. Entretien avec un convaincu…
Place Publique : Quelles sont les activités du Centre de Formation et de Formation à la Médiation (CMFM) ?
Thierry Dudreuilh : Le CMFM est une association créée en 1987 par des chercheurs ayant mené les premières expériences de médiations pénales au début des années 80. L’objectif à l’époque était de réfléchir au sort des victimes dans le cadre de procédures judiciaires.
Aujourd’hui, l’association, qui n’intervient que sur Paris, compte 7 salariés et une soixantaine de bénévoles dont 25 sont très actifs. Leur rôle principal est d’assurer, à la demande, des missions de médiations, au Palais de justice de Paris et au sein des trois Maisons de justice et de droit de la capitale. Sur le plan des formations, en revanche, leurs missions peuvent rayonner sur toute l’Europe.
P.P. : Comment définiriez-vous la médiation ?
T.D. : Tout d’abord, si une médiation peut se dérouler dans des cadres fort différents (une entreprise, une cour d’école, entre deux peuples en guerre, etc.), l’approche propre à la médiation, elle, ne change pas. Dans le cadre d’une tension entre des personnes, d’un conflit latent ou larvé, il s’agit pour les médiateurs d’effectuer un travail d’accompagnement et de facilitation qui se centre sur les personnes et non pas sur le problème à résoudre.
Dans le cas d’une tension, on parle de médiation relationnelle ; on s’attache à faire un travail préventif et éducatif. Lorsque le conflit est avéré, nous accompagnons la restauration du lien entre les personnes et la sortie du conflit sans pour autant se focaliser sur ce point. Des médiants peuvent refuser d’en sortir, mais les points de vue auront été exprimés et la volonté de destruction anéantie. En tout cas, c’est comme ça que je conçois la médiation. Aux Etats-Unis, par exemple, la médiation se focalise davantage sur le problème à résoudre ; ça correspond à leur culture où l’intérêt commun prime sur l’individu.
P.P. : Quel est le rôle du médiateur ?
T.D. : Son rôle consiste à instaurer un climat, soit mettre en place une écoute empathique – comprendre le problème de l’autre sans pour autant prendre son fardeau sur ses épaules -, accepter de façon inconditionnelle la réalité de l’autre – faire confiance dans la capacité de tout individu à faire face -, et faire preuve de congruence c’est-à-dire d’authenticité.
En résumé, un médiateur doit d’abord accueillir les émotions de chacune des parties puis clarifier, reformuler, faire le point sur les faits évoqués par celles-ci. A noter qu’une médiation doit s’effectuer avec 2 ou 3 médiateurs, et plutôt 3 que 2 pour ne pas recréer un binôme.
P.P. : Tout le monde peut-il devenir médiateur ?
T.D. : Oui, à condition d’être formé. Les formations menées par le CMFM s’étalent sur deux jours. Elles comportent notamment des mises en situation, à partir de cas réels, permettant aux participants d’expérimenter la place de médiant. Nous travaillons beaucoup sur les émotions. Et pour cause : l’amour de l’autre est le ressort de la médiation.
P.P. : Pouvez-vous expliquer précisément ce qu’est la médiation pénale ?
T.D. : Dans le cas d’agressions mettant en cause deux personnes qui se connaissent ou sont amenées à se revoir (voisins, famille, etc.), le procureur invite systématiquement la personne qui porte plainte à rencontrer son agresseur. Celle-ci peut, par la suite, retirer sa plainte, la maintenir ou la suspendre : un engagement courant sur un temps défini est alors passé entre les parties, mais pendant ce laps de temps, la partie civile peut à tout moment réactiver sa plainte.
La médiation pénale peut aussi recouvrir un intérêt dans le cas de violences sexuelles et physiques commises par une personne connaissant la victime. Dans de nombreux cas, la personne agressée ne veut pas porter plainte mais juste faire une main courante. Cette dernière a souvent peur que la plainte entache la relation ou que les enfants en pâtissent. La médiation permet alors non pas de rechercher la sanction ou le retour à l’ordre mais de restaurer le lien.
P.P. : Médiation et travail psychologique : est-ce une approche similaire ?
T.D. : Non, car le médiateur ne va pas chercher dans le passé des personnes en présence pour régler le problème. Il va simplement accueillir les personnes là où elles en sont et tenter de faire miroir sur leurs émotions. Il accompagne leur expression permettant ainsi de faire apparaître les besoins et les valeurs de chacun mais aussi ce qui a été touché à l’occasion du conflit.
Toute cette complexité va peu à peu s’exposer par petites touches sans pour autant que le médiateur cherche à guider les débats ; chacun va alors devenir visible pour l’autre. Ce qui se cache derrière le malaise va ainsi être exprimé. La personne va se sentir reconnue dans ce qu’elle vit intimement sans être jugée ni critiquée dans ses réactions. C’est toute une éducation : nous devons apprendre à gérer nos instincts. Dans d’autres cas, je pense à une médiation effectuée entre Serbes et Albanais du Kosovo, il s’agissait pour certains d’entre eux qui avaient perdu des proches lors de la guerre de commencer un travail de deuil.
P.P. : Dans le cas du foulard, vous préconisez la médiation plutôt que l’application d’une loi ?
T.D. : Ce qui est important dans le cas d’un conflit portant sur le port d’un foulard par une jeune-fille dans un établissement scolaire, c’est que chaque partie comprenne la logique de l’autre. Et dans ce domaine, la médiation est bien plus efficace que la loi car elle permet de mettre en place une approche pédagogique et personnalisée. Il y avait, par ailleurs, un corpus de textes qui permettait d’éviter de légiférer.
Le problème du conflit, c’est l’escalade. Or, quand je suis contraint, je réagis de façon agressive et je deviens dogmatique. A chaque fois que je suis intervenu sur la question du foulard dans un établissement, le problème a été résolu, chaque partie ayant fait un pas vers l’autre : soit la jeune-fille acceptait de troquer son foulard contre un bandana soit le chef d’établissement autorisait le port du foulard car il était touché par la manière dont la jeune-fille exprimait sa foi.
P.P. : Vous avez fait une longue carrière au sein de différentes sociétés, que pensez-vous que la médiation puisse apporter au monde de l’entreprise ?
T.D. : J’ai été nommé Directeur général d’une PME à 25 ans alors que je voulais en partir et l’avais exprimé. J’ai donc pensé que l’on pouvait tout gagner par les crises et les ruptures. Si j’avais connu la médiation à ce moment là, ça se serait mieux passé et j’aurai fait moins de dégâts. J’aurai par exemple mis en place une démarche d’accompagnement pour les personnes victimes de décisions drastiques.
L’entreprise française ne prend pas en compte les personnes pour des raisons économiques ; ce faisant, elle creuse sa tombe. Bien des années plus tard, et après différentes expériences à des fonctions à haute responsabilité – j’ai notamment été le conseiller de dirigeants de grandes entreprises -, j’ai fini par quitter l’entreprise de dégoût. Je suis entrée dans le conseil puis, il y a deux ans, je suis devenu président du CMFM. J’ai vécu sur mes deniers. Désormais, je travaille à la création de deux structures qui seront spécialisées dans la médiation et la formation à la médiation.
P.P. : Pouvez-vous nous en dire davantage ?
T.D. : Je suis sur le point de créer une association qui travaillera dans le domaine du social, proposant des actions de médiation dans les quartiers, les écoles, les familles, et un cabinet de conseil et de formation pour développer des formations à la médiation au sein des institutions, des administrations et des entreprises.
Je souhaite par ailleurs poursuivre mes actions de médiation de façon bénévole dans les associations et continuer à soutenir l’Association Européenne des Jeunes Médiateurs (qui œuvre dans l’ex Yougoslavie) ainsi que réseau Mediations.Net qui regroupe des médiateurs et formateurs de 12 pays.
Propos recueillis par Anne Dhoquois
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