Madame Satã, film franco-brésilien de Karim Aïnouz, actuellement en salles, évoque la résistance aux injustices sociales dans un pays traversé par de très grandes inégalités.

madamesata.jpg « Un mélange de Joséphine Baker, Jean Genet et Robin des bois « . C’est ainsi que Karim Aïnouz, réalisateur et scénariste, décrit la figure de João Francisco dos Santos, alias Madame Satã.

Ce personnage légendaire qui a vécu au Brésil entre 1970 et 1976, il lui a consacré son premier long-métrage. Voyou, star de cabaret, roi de la capoeira (1), père de sept enfants adoptifs, Madame Satã et son destin hors du commun a fasciné Karim Aïnouz.

Car Joao Francisco dos Santos, fils d’anciens esclaves noirs, homosexuel, pauvre et illettré, a refusé sa vie durant de se laisser stigmatiser. À l’image de Jean Genet, ses uniques armes furent son art et le crime. Le réalisateur, né dans le Nordeste du Brésil, fils d’une mère brésilienne et d’un père kabyle, revendique sa formation politique marxiste et rappelle la dimension forcément politique d’un travail cinématographique dans un pays comme le Brésil.

Pourtant, il abandonne vite l’idée de réaliser un documentaire pour faire un portrait intimiste et puissant du personnage, sans jamais le glorifier. Madame Satã est montrée avec ses contradictions, vivant en compagnie de deux prostitués, un homme et une femme, qu’il  » protège « , et qui sont à la fois ses amis et sa famille.

La joie et la douleur d’être hors la loi

Le film ne donne à voir qu’une tranche de l’existence de João Francisco dos Santos. Soit son parcours d’artiste travesti, dans les années 1930, qui, malgré ce que l’on pourrait croire, ne le sort pas du monde de la rue et de la marge.

Durant cette période, Madame Satã commence à chanter et à se produire sur scène, à acquérir une reconnaissance du public, à réaliser son rêve, et, malgré cela, ne réussit pas à se domestiquer.

Il restera toujours à la fois « une madame » et une sorte de Raging bull. Incarnant ainsi « la joie et la douleur » d’être hors la loi, et révélant le caractère subversif de la culture afro-brésilienne, qui a connu sa période la plus riche durant les années 30.

Cette culture, résolument urbaine, très cosmopolite, est, après l’abolition de l’esclavage au Brésil en 1888, le mode d’expression des petites gens de Rio.
Or, « la culture brésilienne populaire, surtout la samba et la capoeira, sera ensuite peu à peu récupérée et phagocytée par le pouvoir en place », analyse Karim Aïnouz.

La période de liberté culturelle que le pays a connue durant ces « années folles » prendra fin avec la dictature de Getulio Vargas en 1937. La répression d’Etat que l’on voit s’exercer sur Madame Satã, s’en prend, par les termes même de l’accusation, à l’ensemble du personnage et à son mode de vie.

Incarnée avec un charisme et une énergie hors du commun par l’acteur Lazaro Ramos dans son premier rôle, Madame Satã est certes un voyou et un criminel, mais c’est aussi un résistant à l’exclusion sociale, culturelle, raciale, qui, rappelle le réalisateur, « est une norme et une constante au Brésil ».

Et « même si l’arrivée de Lula (2) au pouvoir est un extraordinaire changement », dit-il, le pays reste encore traversé par de très grandes inégalités, « presque une forme d’apartheid ».

Après avoir passé sept ans sur ce projet, qui a finalement abouti grâce à des financements à la fois français et brésiliens, Karim Aïnouz va consacrer son prochain long-métrage aux « années Lula », et à l’espoir qu’elles véhiculent, à travers la figure d’une jeune femme issue du Nordeste du Brésil.

(1) Danse brésilienne acrobatique s’inspirant d’anciennes luttes africaines

(2) Luiz Inácio da Silva dit Lula, candidat du Parti des Travailleurs, a été élu à la présidence du Brésil au début de l’année 2003.

Au sujet de Naïri Nahapetian

Naïri Nahapétian est née à Téhéran de parents arméniens. Elle a quitté l'Iran à l'âge de 9 ans, après la Révolution islamique. Elle vit à Paris. Journaliste free-lance durant plusieurs années, elle travaille actuellement pour le mensuel Alternatives économiques. Elle est l'auteure de l'essai L'Usine à vingt ans paru dans la collection « Bruits » (Les petits matins/Arte éditions, 2006) et publie régulièrement des nouvelles, notamment dans les revues Rue Saint Ambroise

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