On espère que l’année 2016 sera politiquement et humainement moins glauque que celle qui s’en va. Mais ça commence mal puisqu’elle s’ouvre sur cette affaire de déchéance de nationalité. Je n’ai même pas envie d’en faire le procès tant cette mesure est imbécile et inefficace. Qu’on m’explique : il s’agira de retirer leur nationalité à titre posthume à des gens qui n’en avaient rien à faire, qui se seront fait sauter au milieu de la foule et dont on a déjà du mal à enterrer les restes ? Je vois d’ici la cérémonie officielle de destitution ! Et cela va concerner combien de personnes par an (puisque les terroristes seulement français n’y ont pas droit) ? On s’apprête donc à voter une loi constitutionnelle qui ne concernera que deux ou trois individus chaque année et même moins, on le souhaite, et que cette menace ne fera que conforter dans la détestation de notre pays.

Rodomontades

La seule portée de cette mesure est de nature symbolique. Elle vise à faire croire au peuple qu’on le protège et à renforcer un nationalisme d’un autre âge aux relents émétiques. Une partie le croit, d’ailleurs, mais elle se situe plutôt du côté de l’extrême droite. Que ce soit un gouvernement prétendument socialiste qui s’empare de cette requête du Front national et s’en fasse le porte-drapeau en dit long sur la lepénisation des esprits. C’est peut-être ce qui me chagrine le plus dans cette manipulation politicienne minable qui, de surcroît, jette l’opprobre sur tous les binationaux d’où qu’ils viennent. Cette ouverture à l’autre qui a fait la gloire – et la prospérité – de la France est aujourd’hui sacrifiée sur l’autel piteusement électoraliste d’une classe politique en déroute qui s’essouffle derrière les provocations et les rodomontades d’une famille bretonne dont les Bretons – honneur leur soit rendu – sont les seuls à se détourner franchement.

J’ai honte. Et je crains le pire. A force de suivre le Front national à la trace, de ne se situer que par rapport à lui, d’en appeler à un « front républicain » de circonstance qui ne propose rien d’autre que de s’y opposer au nom de « valeurs » qu’il commence à partager avec lui, les Français vont finir par estimer qu’il vaut mieux tester l’original que la pâle copie.

Faute d’élections, cette année 2016, devrait au moins nous soulager de ces tactiques de maraudeurs à petite cervelle et nous permettre de prendre un peu de distance. Mais évidemment, il n’en sera rien, car tous les prétendants au trône présidentiel de 2017 vont s’entre-déchirer dans des primaires où ressurgiront les réflexes démagogiques les plus primitifs et où la plupart des candidats joueront à plus-à-droite-que-moi-tu-meurs, dans une surenchère de propositions liberticides.

Piège

Il est de bon ton de dire que le Front national pose de bonnes questions et y apporte de mauvaises réponses. Je crois, moi, qu’il apporte de bonnes réponses à ses très mauvaises questions. C’est le piège dans lequel tombent les oligophrènes qui prétendent nous gouverner. Si l’on pense, en effet, avec Marinella et Marionnette Pen Pen dibidu (gob gobida bidu comme dit la chanson enfantine, « vint à passer un troupeau d’oies »), que l’immigration est la mère de tous nos problèmes sociaux ou l’Euro, le père de toutes nos misères économiques, alors il faut boucler nos frontières, ériger des murailles de protection titanesques et quitter l’impérialisme bruxellois et sa monnaie unique pour nous constituer en village gaulois autarcique et irréductible. Il ne nous restera plus qu’à picoler de la potion magique en attendant la mort.
Il faut dire haut et clair que le terrain sur lequel nous attirent irrésistiblement Marie et Marinette est un terrain dangereux et s’en détourner radicalement, parler d’autre chose. Il faut répéter sans relâche que le pseudo programme du Front national est non seulement rétrograde et dévastateur, inapplicable, mais qu’il est tout simplement con. Il repose sur une seule idée qui est que tout est de la faute des autres et que nous, vaillant peuple français, nous irions beaucoup mieux si nous étions seuls au monde, à l’abri de toutes ces hordes d’allogènes qui déferlent sur nos terres pour manger notre pain et nous voler notre travail et de ces puissances étrangères qui ne songent qu’à nous réduire à merci. L’isolement radical et définitif, l’enfermement sur notre passé, voilà le seul salut.

Oui, décidément, cette vision du monde, si on peut appeler ainsi cette lamentable loucherie, est désespérément conne, je n’ai pas d’autres mots. Elle ne correspond à aucune réalité, oublie ce qu’a toujours été notre pays, prospère sur une méconnaissance totale de notre commune humanité, nie les véritables problèmes économiques et écologiques qui se posent à nous et nous conduit à un déclin bien plus grave que celui contre lequel elle prétend lutter. C’est une ratiocination de vieillard rancunier et provocateur que ses blondes descendantes, inspirées par un farfadet opportuniste, veulent transformer en discours de séduction. Car tout cela n’est qu’une affaire de famille qui veut faire main basse sur nos esprits et sur le pays.

Fraternité

Si nous ne voulons pas que notre avenir soit irrémédiablement bouché par un horizon bleu marine, tournons notre regard ailleurs, à l’opposé, là où la fraternité fait sens, ne nous laissons plus envahir par des discours qui suintent le ressentiment, par des idées rances qui nous empêche de construire le monde qui vient.
Le seul moyen de combattre le Front national, c’est de le laisser s’embourber dans son marais et d’utiliser notre front républicain, s’il nous reste derrière lui un peu d’intelligence, à repenser les défis qui se posent à nous sous un jour nouveau.

Au sujet de Bruno Tilliette

Bruno Tilliette est journaliste indépendant, ancien rédacteur en chef des revues Autrement, Management et conjoncture sociale et Dirigeant. Il tient une chronique régulière sur place-publique.fr depuis plusieurs années. Il est également auteur ou coauteur d’une dizaine d’ouvrages portant sur la communication et le management en entreprise, l’éducation et la formation ainsi que sur l’évolution de la société française.

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