Harmoniser le droit d’auteur en Europe.
L’eurodéputée Julia Reda a présenté le 20 janvier 2015, devant la Commission des affaires juridiques le rapport portant sur l’harmonisation du droit d’auteur. dans lequel elle pose les bases d’une vision moderne des usages. Le Parlement européen n’a plus qu’à se pencher sur les différents points présentés. Un projet globalement très équilibré, qui n’appelle pas à une révolution, simplement à quelques modifications, certainement devenues essentielles aujourd’hui.
Que le Parlement ait confié à une représentante du Parti Pirate, la confection de ce rapport, restera un sujet de scepticisme pour certains. Cependant, la lecture de ses conclusions devrait balayer les doutes sur les intentions de l’eurodéputée. En une quarantaine de points, Julia Reda démontre que son parti politique n’a pas pour vocation de détruire ni le copyright ni le droit d’auteur. En revanche, et le discours est pourtant clair depuis de longues années, il invite à prendre en considération les nouveaux usages, autant que les besoins et attentes du public contemporain.
À vrai dire, non seulement le rapport est mesuré, mais surtout, il fait preuve de bon sens. Le projet est de parvenir à mettre en œuvre la directive 2001/29/CE sur l’harmonisation du droit d’auteur, à travers certains aspects, ainsi que des droits voisins dans la société de l’information. « Bien que la directive ait été faite en vue d’adapter le droit d’auteur et les droits voisins […] en réalité, elle bloque les échanges de savoirs et culturels transfrontaliers », note-t-elle.
On peut y accéder à cette adresse, et voici une liste des éléments qui seraient les plus notables d’entre les propositions formulées.
Contre le copyfraud, pour l’ouverture du domaine public
Elle reconnaît en effet la nécessité « pour les auteurs et les artistes de disposer d’une protection juridique pour leur travail créatif et artistique » de même que le rôle des producteurs et éditeurs « à mettre ces œuvres sur le marché », avec une rémunération « appropriée pour toutes les catégories de titulaires de droits ». Mais certaines des propositions risquent d’embarrasser des organismes publics, comme la BnF.
En effet, dans sa pratique de numérisation, la Bibliothèque nationale de France se rend coupable de Copyfraud, en imposant des droits d’auteurs sur des œuvres relevant du domaine public. Le rapport insiste sur ce point, en invitant à permettre l’utilisation et la réutilisation « sans barrières techniques ni contractuelles ». De quoi mettre en berne le commerce de BnF Partenariats, la société commerciale de la BnF. La Commission est également invitée à « reconnaître la liberté des ayants droit à renoncer volontairement à leurs droits, et consacrer leurs œuvres dans le domaine public ».
De même, les photos ou vidéos réalisées dans les lieux publics seraient autorisés.
Sur l’harmonisation de la durée de protection du droit d’auteur, elle souhaite que l’on ne dépasse plus les normes fixées dans la Convention de Berne. Ainsi, ce serait limiter à 50 ans après la mort de l’auteur, l’entrée dans le domaine public des œuvres, contre 70 ans actuellement en vigueur dans le droit européen.
Interopérabilité et prêt de livres numériques en bibliothèque
Elle évoque aussi la neutralité technologique et la compatibilité, souhaite favoriser le data mining et le text mining (des analyses automatisées de données), « à condition que l’autorisation de lire l’œuvre ait été acquise ». Des exceptions pour la recherche et l’éducation interviennent, mais plus uniquement pour les établissements d’enseignement. Et pour aller plus loin, elle « demande l’adoption d’une exception obligatoire permettant aux bibliothèques de prêter des livres au public, dans des formats numériques, quel que soit leur lieu d’accès ».
Dans l’environnement numérique, les bibliothèques et les autres institutions culturelles « ont de plus en plus de mal à remplir leur mission d’éducation auprès du public et de préservation des œuvres ». À ce titre, la directive InfoSco « s’est avérée insuffisante », pour autoriser le prêt de livres numériques, un acte qui « a des effets positifs sur les ventes, car elle contribue à une culture de la lecture ». Les établissements devraient être autorisés à acheter des titres, individuellement, et les mettre en prêt.
Adobe, et ses fameux DRM sont également en ligne de mire : les mesures techniques de protection devraient fournir un code source, pour garantir une interopérabilité totale. Et tout particulièrement dans les cas où le contournement de MTP est autorisé. Et fait particulièrement important actuellement, l’exception accordée aux caricatures, parodies et pastiches, s’appliquerait, peu importe la finalité visée par la création.
Globalement, l’eurodéputée demande à ce que le système de droit d’auteur soit commun, pour protéger les droits fondamentaux, et simplifie la création de services internet innovants. Pour ce faire, il faudra en passer par une meilleure position des auteurs et artistes, dans leurs négociations avec les détenteurs de droits et autres intermédiaires.
Un rapport mesuré, qui fait écho à l’époque et ses usages
Dans le cadre de ce travail, particulièrement surveillé, l’eurodéputée assure avoir reçu 86 demandes de la part de lobbyistes, et assure qu’elle a tout fait pour accorder le maximum d’attention à chacun. Les ayants droit ont obtenu 30,8 % de son temps, et les utilisateurs 25 %, soit autant que les autorités. Les fournisseurs de services, 9,6 % et les auteurs 7,7 %. C’était pourtant cette partie qui avait formulé le moins de demandes d’entretiens.
Le planing, suite à cette présentation va entraîner l’apparition d’amendements qui seront débattus les 23 et 24 février, et la Commmission se prononcera le 16 avril. Le vote final devrait intervenir le 20 mai, estime Julia Reda.
Les réactions en France n’ont pas été très nombreuses, probablement le temps nécessaire pour les différents acteurs de digérer le contenu du rapport – qui ne donne pas le sentiment, une fois encore, de briser des tabous. « Il est temps de prendre la mesure de la révolution des usages impulsée par le numérique et d’adapter le droit d’auteur en conséquence. Les propositions du rapport Reda peuvent avoir un impact positif sur la création elle-même, mais aussi sur la recherche, l’enseignement et l’accès à la culture. Elles doivent en ce sens être soutenues comme la première étape d’une réforme positive du droit d’auteur européen ! » assure cependant Lionel Maurel, membre du Conseil d’Orientation stratégique de la Quadrature du Net.