Grèce – La belle longévité des lieux libertaires
Annette Preyer
La belle longévité des lieux libertaires
Le mouvement libertaire est-il plus présent en Grèce qu’en France ? Je l’ignore. Mais il occupe des lieux symboliques et a tissé des liens avec les réseaux citoyens comme Koino ou avec l’usine occupée Vio.Me.
Parmi ces lieux symboliques le jardin de Sxoleio 12 très central à Thessalonique est commode pour tout événement militant.
Ecole 12 est un hôtel particulier construit en 1897 pour l’épouse d’un riche négociant turc. En 1912 (première guerre balkanique contre l’Empire ottoman), il passe à l’État qui le cède à l’Église. Qui le loue à l’éducation nationale pour l’école primaire n°12 de Thessalonique.
Jusqu’en 2004, quand l’Eglise prétexte des problèmes statiques pour sortir l’école et pouvoir augmenter le loyer. Le bâtiment reste vide pendant six ans … jusqu’à ce qu’il soit occupé le 5 juin 2010 par un groupe de jeunes libertaires. Leur slogan :
Pour la connaissance de la liberté et la liberté de la connaissance.
C’est Christos qui me l’explique. Christos qui ne donnera pas son nom de famille, squat oblige. Il a 58 ans, une barbe poivre et sel et un corps qui déborde de partout. Les jeunes qui arrivent l’embrassent comme du bon pain.
Sxoleio12 est un lieu ouvert à tous. Au cours de l’année scolaire 2014-2015, on pouvait y apprendre le français, l’italien, le japonais ou le suédois, s’initier au swing, salsa ou tango, pratiquer la boxe et le karaté. « Tout cela gratuitement ? Et qui sont les profs ? » Christos, calme et ferme, me reprend : « Dans ce lieu on ne parle pas de gratuité ni de bénévolat. Vous avez des droits, vous devez vous battre et travailler pour ces droits. On ne veut pas non plus de relation prof-élève. L’apprentissage est collectif et les profs s’appellent coordinateurs. » Qui veut rendre, donne de son temps. Vu de ma fenêtre, il serait bon de former des équipes d’entretien du bâtiment dont l’ancienne splendeur ne s’entrevoit plus guère.
Konstantina, jolie jeune femme gracieuse, vient s’installer sur la terrasse avec Christos. Prof d’anglais sans emploi stable elle donne des cours particuliers. A Sxoleio12, elle a enseigné l’anglais. « Ici, on me soumet spontanément des essais à corriger alors que j’ai du mal à motiver mes étudiants payant pour des devoirs personnels ! » Konstantina fait partie des 40 à 50 personnes qui gèrent le lieu. Parmi eux, dix dont Christos sont là depuis 2010. Les décisions ne sont pas prises à la majorité. La démocratie directe veut qu’on discute jusqu’à ce que tous soient d’accord. Le programme de l’année est établi fin septembre selon les disponibilité et envies des uns et des autres.
Une personne a le mot de passe pour le site web et l’email. Pour la page facebook, ils sont quatre ou cinq. Les personnes qui tiennent l’épicerie, cuisinent les deux plats du jour et contribuent à la brasserie artisanale sont rémunérés : 50 euros tous les quinze jours si tout va bien. « Mais surtout pas de spécialisation. Chacun s’efforce d’apprendre tout », intervient Christos. Néanmoins, depuis le début de l’aventure, la cuisine semble bien être son royaume.
vers le site sxoleio12
Micropolis, immeuble à l’angle des rues Vassilis Irakliou et El Venizlou : un autre lieu libertaire
D’emblée il y a une différence flagrante avec Sxoleio12 : ici tout est propre et rangé. Certes, le mobilier est de récupération et le carrelage au sol a des trous, mais une impression d’ordre s’en dégage.
Comme Sxoleio12, Micropolis se veut un espace social de liberté. Vassilis (pas de nom de famille ici non plus) qui ce samedi matin tient l’épicerie au premier étage m’explique l’historique : Le mouvement libertaire local est né du « contre-sommet » anti-mondialisation qui s’est opposé au Conseil européen, réuni les 19 et 20 juin 2003 à Thessalonique, où le projet de constitution européenne (refusée par les électeurs français en 2005) a été adopté. Le mouvement a créé Micropolis en 2009, pour donner un centre à la protestation massive après la mort d’un jeune manifestant à Athènes en décembre 2008.
Troisième étape importante : en 2012, avec l’approfondissement de la crise, certains souhaitent avoir un impact plus fort dans la vie quotidienne que ne le permettent les seules actions politiques et culturelles. Le débat fut intense, difficile, conflictuel. Ne s’agissait-il pas de lever le tabou de l’argent ? Une minorité quitte alors Micropolis.
Aujourd’hui le centre a donc l’épicerie, un restaurant, un bar, une librairie et un copie-shop. Qui vient faire ses courses ici ? Une jeune femme orfèvre, robe à pois, chapeau de paille avec son bébé ; un couple, la cinquantaine, sans signes particuliers ; un homme d’une quarantaine d’années, tout de noir vêtu, qui a l’air de connaître l’endroit comme sa poche et se sert lui-même ; un jeune couple d’enseignants. Ils viennent pour les prix, parce qu’ils font confiance à la qualité des produits, par solidarité, parce qu’ils habitent à côté. Presque une clientèle ordinaire !
Vers la page Facebook de Micropolis
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