Florence Durand-Tornare : « Les murs de l’Assemblée nationale sont devenus perméables aux idées de la rue »
Florence Durand-Tornare, fondatrice et déléguée de l’association Villes-Internet dont l’objet est de favoriser l’appropriation du Net par les citoyens a suivi de près les 6 mois de débats autour de la loi sur les Droits d’auteur et droits voisins dans la société de l’information (DADVSI), finalement votée le 30 juin dernier (voir encadré). Elle revient sur le déroulement de ces débats, un événement qu’elle juge majeur pour la démocratie.
Place Publique : « Des débats sur Internet ont récemment contribué à l’élaboration d’une loi. Les choses ne se passent pas ainsi habituellement… ? »
Florence Durand-Tornare : La façon dont se sont déroulés les débats constitue en effet un enjeu majeur pour notre société car cela vient interroger les modalités d’élaboration de la loi. La loi est à l’initiative du gouvernement ou des parlementaires. La plupart du temps, elle répond à des problématiques réelles, vécues sur le « terrain » par la société civile. Les lobbys, groupement de citoyens, d’entreprises (groupements non officiels en France comme ils peuvent l’être dans les pays anglo-saxons) font pression pour faire passer un texte ou faire évoluer une loi servant leurs intérêts.
Cela concerne des sujets aussi divers que la santé, la consommation, la justice, l’environnement…
Pour appuyer leurs revendications, des dossiers sont élaborés par les experts, souvent commandés et financés par les groupes financiers concernés. Ces dossiers sont ensuite étudiés par les cabinets des ministres ou des députés pour établir la nécessité d’une loi ou son évolution, et élaborer des projets et des propositions. Cela dure généralement plusieurs années et tout se fait dans une opacité quasi totale via des commissions parlementaires, qui utilisent rarement leur droit de consultation du public.
P.P. : La DADVSI marque donc un changement complet dans la préparation de la loi ?
F.D-T. : La DADVSI, adaptation d’une directive européenne, touche à des sujets très techniques – impliquant donc des spécialistes – mais elle a des incidences sociales fortes : sur le fond, il s’agit de l’organisation de la distribution et de la reproduction des produits intellectuels sous forme numérique et notamment sur le net.
Grâce ou à cause d’Internet, tous les acteurs et la population dans son ensemble ont eu quasi immédiatement connaissance du projet de loi. Des brouillons de texte ont circulé en ligne. Les spécialistes du sujet sont évidemment des internautes confirmés. Ils ont créé volontairement ou non un véritable maëlstrom d’informations contradictoires qui ont très vite provoqué des hésitations, souvent fondées, au cœur même des cabinets concernés.
Des lobbys puissants, souvent internationaux, que sont l’industrie du disque, les distributeurs de cinéma, les fabricants de matériel informatique, etc, et d’autres comme la SACEM, les défenseurs du logiciel libre, les bibliothécaires, se sont eux aussi emparés du débat en entraînant nombre d’internautes directement ou indirectement concernés par le sujet…
Résultat : commentaires, points de vue, arguments divers ont circulé en nombre sur la toile, chacun défendant ses intérêts. Pour les uns, il fallait garder la main mise sur la rétribution des auteurs ; pour les autres, il fallait défendre le logiciel libre (la loi contenant des éléments considérés comme préjudiciables pour le logiciel libre), ou encore se positionner en défenseur des auteurs et de la diversité culturelle…
La différence avec les débats parlementaires classiques qui passent par des discussions autour d’amendements, avec une intervention très lente et finalement connue des lobbys, c’est que cette expression d’avis et d’intérêts divergents est devenue visible en ligne par toute la population, y compris par les députés, interpellés directement par mail. Durant les débats, ces derniers se sont continuellement référé à ce qui se disait sur la toile, plaidant leur cause en s’appuyant sur l’expertise des internautes et sur leurs témoignages…
La rapidité avec laquelle l’information circule a encore accéléré le processus : avant même d’être proposé un amendement pouvait être mis en ligne déclenchant l’envoi en masse de mails aux députés, mails décortiquant et critiquant le dit amendement… Bref, pour la première fois, l’Hémicycle a débattu en faisant directement référence à ce qui se disait en ligne.
DADVSI : Projet de loi voté Le Parlement a adopté définitivement le 30 juin le très controversé projet de loi sur le droit d’auteur et les droits voisins (DADVSI), qui vise notamment à empêcher tout téléchargement illégal ou copie illicite sur Internet. Seule l’UMP a voté pour, même si quelques-uns de ses membres ont voté contre. L’UDF a voté contre, tout comme l’opposition de gauche PS, PCF et Verts. Le projet de loi DADVSI transpose en droit français la directive européenne du 22 mai 2001 en l’élargissant à l’ensemble des droits d’auteur dans le numérique. Il institue des sanctions graduées allant d’une simple amende de 38 euros pour l’internaute téléchargeant illégalement, à une peine de trois ans de prison et 300.000 euros d’amende pour celui qui commercialise un logiciel destiné au piratage. |
P.P. : Est-ce, selon vous, une évolution positive ?
F.D-T. : Oui et non. Non car les députés manquent cruellement de culture Internet et dans un cas comme celui-là, ils sont incapables de valider leurs sources d’informations. Comment jugent-ils de leur pertinence ? Comment identifient-ils les manœuvres manipulatoires maîtrisées par les spécialistes du « buzz marketing » (technique de marketing viral qui repose principalement sur le phénomène de bouche à oreille). Le risque, c’est donc de véhiculer de fausses informations mais aussi de paralyser les débats, trop d’informations tuant l’information…
Mais, il y a aussi un aspect très positif, c’est la participation démocratique. Le « terrain » est venu jusqu’aux députés, le peuple à l’Assemblée ! Mais pour que celui-ci soit entendu dans de bonnes conditions, il faudrait organiser cette parole et imaginer des processus assurant le respect des règles républicaines fondamentales d’égalité d’expression et de transparence.
P.P. : Concrètement, comment cela pourrait-il s’organiser ?
F.D-T. : Tout d’abord, il est urgent de former les élus, leurs cabinets… afin de leur permettre d’organiser la consultation publique et de faire émerger l’opinion de la société civile d’une façon audible, stable, équitable et transparente.
Un exemple : le site Internet de l’Assemblée nationale est un site d’informations fort bien fait mais ses informations viennent exclusivement « d’en haut ». Pourquoi ne pas ajouter des espaces dédiés au débat, qui seraient animés, par exemple, par des équipes de journalistes chargés de décrypter les informations, de les sourcer, de les organiser d’une façon objective et de les mettre à disposition des députés comme des éléments du débat. Quand les mentalités auront évolué, il faudra oser modifier les règles fondamentales de l’élaboration de la loi pour déterminer l’intérêt général au travers des intérêts particuliers.
Tout cela m’amène à penser qu’il est urgent d’ouvrir un débat sur le mode d’élaboration de la loi en posant la question : quand et comment laisser pénétrer la parole citoyenne au sein des chambres où siègent nos représentants élus ? En tout cas, les murs des hémicycles sont devenus perméables aux idées de la rue !
Propos recueillis par Anne Dhoquois
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