Parfois des rencontres inattendues vous lancent dans des abimes de réflexion. C’était le cas, ces jours-ci, avec la sortie du numéro spécial de Sciences & Vie. Lecteur de S&V depuis presque soixante ans, je me suis jeté sur le numéro avec gourmandise.

Ce numéro très réussi s’attaque à une synthèse de cent ans de progrès techniques et sociaux entre 1913 et 2013 : « Un siècle où tout a changé ». Pourquoi me suis-je gâché le plaisir en constatant l’absence d’une rubrique sur les énergies ? Bien sûr, le numéro aborde le nucléaire mais pas de rubrique sur le développement des différentes formes d’énergies utilisées ou utilisables. On restera sur ce secret de fabrication.

Et puis, voici ce numéro de Courrier International qui traduit un texte de Hal Hodson du New Scientist. Ce dernier nous raconte le projet d’un chercheur américain pour utiliser l’énergie d’un courant d’air artificiel dans une sorte d’immense tube de venturi qui ferait tourner une turbine (voir la vidéo). Tous les lecteurs ayant eu l’occasion de circuler dans des tours très hautes n’ont pas manqué d’être surpris par la puissance des vents circulants dans les cages d’ascenseurs des gratte-ciels. C’est cet effet venturi que les chercheurs veulent exploiter, d’où la multiplication des expériences dans différents coins du globe.

Les essais du Solar Vortex, de Mark Simpson et Ari Glezer du Georgia Institut of Technologie à Atlanta, reposent sur le principe de la création de micros tornades. Un vent artificiel est créé par la différence de température entre l’air chaud au sol et l’air frais en altitude. Ce courant d’air est auto alimenté et fait tourner des pales de turbines au cours de la journée. Des tests réalisés sur un modèle réduit par l’équipe des chercheurs laisseraient à penser que le montant des investissements et de l’entretien seraient bien inférieurs aux éoliennes traditionnelles pour une production plus régulière. L’équipe – qui reste discrète sur l’impact sur l’environnement – avance l’idée selon laquelle son système serait 20% moins cher que l’énergie éolienne et 65% de moins que l’énergie solaire (1). Dans la tradition américaine l’article se termine en signalant que non seulement l’ancien secrétaire américain à l’énergie, Steven Chu, est intéressé, mais aussi le département de la R&D sur les projets énergies nouvelles de la prestigieuse DARPA. De son coté, la Commission Européenne, un temps intéressée par cette recherche, n’a pas donné suite, on se demande bien pourquoi !?

Pour moi, et je ne suis sans doute pas le seul, cette information est à la fois source d’amertume et de colère. Les français, en la personne de l’ingénieur français Edgard Nazare (1914-1998), mais aussi du canadien Louis Michaud, ont été depuis les années 50 des pionniers largement en pointe dans ce domaine. Nazare qui connaissait son sujet sur le bout du doigt n’aurait pas parié sur la réussite du projet américain. Voici ce qu’il disait de cette approche « S’il est effectivement possible de générer artificiellement un mini cyclone et de le maîtriser, la cheminée solaire n’exploite que l’effet de d l’ascendance verticale de l’air chaud… alors que la tour à vortex bénéficie de deux apports supplémentaires d’énergie: les forces de Coriolis qui entretiennent la rotation de l’air et une hauteur de la cheminée virtuelle (un tourbillon atmosphérique pouvant atteindre plusieurs milliers de mètres), Et de souligner « Plus la hauteur de la « cheminée » est élevée (comprendre la tour), plus le « tirage » (donc le rendement) est important. »

Les applications du principe de venturi pour créer et alimenter des vortex artificiels restent rares et peu connues. Pourtant elles sont une solution rêvée pour des installations dans des contrées chaudes et peu urbanisées. Pour ma part, j’imaginais que les tours de Nazare pouvaient potentiellement créer des climats artificiels notamment en récupérant la nuit des rosées issues des condensations entre les parties chaudes et froides des tours. Aujourd’hui, dans le monde, il se développe un ensemble d’expériences sur l’exploitation des vortex. Les rares initiatives françaises sont méconnues et mal soutenues. On peut souhaiter que les progrès techniques et les expériences se multiplient dans le monde y compris sur le climat.

Le lecteur intéressé trouvera sur la Toile de nombreuses références à ces travaux audacieux sur les vortex énergétiques en matière de R&D. Selon mes informations, Louis Michaud, au Canada, poursuit des expériences sur les vortex. En France, faute de soutien, d’esprit de conquête et de vision, nous avons perdu l’occasion de devenir leader dans un système à la pointe de la R&D en matière d’énergies nouvelles. Espérons qu’un responsable français un peu audacieux creusera la question et lancera un projet pour la France. On peut rêver, non ?

Pour en savoir plus.

NOTE
(1) Selon des études du The Shit Project, le KWh solaire coûterait de 10 à 30 fois plus en investissement que le KWh nucléaire. La solution préconisée consiste à investir massivement sur les économies d’énergies.