Déchéance de la nationalité pour les binationaux nés en France… un mauvais projet.
L’exécutif prévoit de lancer, début février, une procédure de révision constitutionnelle. Celle-ci portera essentiellement sur deux sujets, l’état d’urgence et la déchéance de la nationalité, auxquels est venue s’ajouter très récemment la réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature.
Un premier constat s’impose : c’est qu’il y a manifestement mieux à faire en matière de révision constitutionnelle que de s’appesantir sur des mesures pour la plupart purement symboliques. Pensons en particulier aux institutions politiques, de moins en moins adaptées aux défis actuels. En matière de qualité démocratique, d’autres voies étaient possibles que la décision unilatérale et précipitée du Président de la République, trois jours après les attentats du 13 novembre, sans laisser aucune place au débat public et à la délibération.
Que penser du fond ? Dans l’état actuel du projet, il est difficile de porter un jugement sur le volet « état d’urgence ». Il convient toutefois de rester très vigilant sur ce sujet qui peut très facilement, surtout s’il est gravé dans le marbre de la Constitution, dériver vers une réduction inacceptable des libertés publiques.
En revanche, le collectif Pacte civique, après consultation de son équipe nationale, pense qu’il faut s’opposer franchement au projet de déchéance de la nationalité pour les binationaux nés en France, tel qu’il est envisagé pour le moment.
De quoi s’agit-il ? D’une question juridiquement fort complexe :
Actuellement, celle ou celui qui a acquis la nationalité française par déclaration ou naturalisation (qui l’a donc demandée) peut être déchu(e) de cette nationalité, dans certains cas d’atteinte à la sûreté de l’Etat ou de crimes particulièrement graves. Cette disposition ne manque pas d’une certaine logique : celui qui demande la nationalité passe un contrat avec la nation française ; s’il rompt ce contrat, l’Etat peut lui retirer ce qu’il lui avait accordé.
Le projet actuel consiste à étendre cette disposition aux binationaux nés en France, qui ont donc acquis la nationalité française de manière automatique, et de l’inscrire dans la Constitution, ce qui rendra très difficile tout retour en arrière. La déchéance prévue ne pourra intervenir que postérieurement à une condamnation définitive, soit après expiration de toutes les voies de recours, c’est-à-dire au bout d’une dizaine d’années. Le coupable déchu pourra évidemment être expulsé vers son autre nation de référence, qui devra gérer son cas, ou qui refusera de le gérer…
Les sondages indiquent qu’une majorité de Français sont favorables à ce projet. A-t-il été expliqué dans toute sa complexité, avec toutes ses implications ? Cette faveur populaire ne justifie pas de se boucher les yeux devant les aspects plus que contestables du dispositif envisagé :
Son efficacité en matière de lutte contre le terrorisme sera, de toute évidence, à peu près nulle. Il ne vaut donc que par son contenu symbolique, et celui-ci risque de plus diviser les Français que de les unir ;
Au niveau des relations internationales, on ne peut que s’étonner de la désinvolture d’une nation qui cherche à « se débarrasser » de ses plus dangereux terroristes en les renvoyant vers une autre nation. Criminel ou pas, on n’est pas Français en CDD ; il s’agit de la définition même de la nationalité : un Français reste lié, pour toujours et quoiqu’il arrive, à la France, comme un enfant à ses parents ;
Surtout, en tant que militants du Pacte civique, nous devons dénoncer la rupture de fraternité introduite par ce projet, à rebours d’une valeur fondatrice de notre République. Ce projet crée deux catégories de Français en fonction de leur origine, en contradiction avec le droit du sol qui fait partie des fondements de notre République.
Nous approuvons largement l’argumentation développée à ce sujet dans le texte de la pétition « Déchéance de nationalité : ne pas franchir la ligne rouge » lancée par change.org. Nous appelons donc les adhérents et sympathisants du Pacte civique à s’opposer par les moyens qu’ils jugeront les plus appropriés au projet de déchéance de la nationalité, en particulier en signant cette pétition.