François Mitterrand aurait dit « Un professionnel de la politique, même médiocre, l’emportera toujours sur un amateur, même talentueux ». Il avait absolument raison, et pendant ces trente dernières années, des professionnels de la politique, parfois médiocres, ont gagné élection après élection, ont fait carrière, et ont monopolisé le débat républicain.

Au cours de cette période les Français ont tout connu : les détournements de fonds, le trucage de marchés publics, les écoutes téléphoniques et les faux bulletins de santé du Président de la République, les combines de la ville de Paris et de ses HLM, les nominations de copinage, les dénonciations de copinage (Clearstream), les financements occultes des partis politiques par le biais de dizaines d’emplois fictifs ou de fausses factures.

Le discrédit des hommes politiques, un des facteurs principaux de la crise actuelle, est bien illustré par les résultats du sondage CSA – Le Parisien d’octobre 2005. Cette enquête nous dit que 70% des gens interrogés ne font pas confiance aux hommes politiques, qui navigueraient entre incompétence, hypocrisie et cynisme. Ce même sondage montre aussi que 85% des Français pensent que « les hommes politiques sont surtout préoccupés par leur carrière ».

Pourtant, avons-nous vraiment le droit d’en vouloir à toute la classe politique ? Ces hommes et ces femmes, qui travaillent dans l’espace public, pour le bien de leurs communautés, 70 heures par semaines, n’ont-ils pas le droit à plus de reconnaissance de la part de leurs administrés ? Ne sont-ils pas eux aussi les victimes d’un système politico-médiatique qui transforme chaque élection en une version sobre du « Survivant de Koh Lanta » avec un zeste de « l’île de la tentation » ? Le système a transformé l’homme politique en marchandise et l’électeur en consommateur.

Nous vivons aujourd’hui dans une société où les identités sociales se réduisent de plus en plus à des parcours ou à des situations individuelles. Les responsables politiques ne trouvent plus les mots pour parler du collectif et les catégories du collectif intéressent de moins en moins les citoyens. Ces derniers les ignorent pour leur substituer les préoccupations du moment. La meilleure illustration de ce phénomène, c’est l’échec de Jacques Chirac dans son face à face avec les jeunes sur le plateau de TF1 le 14 avril 2005. Cet échec repose sur une difficulté démocratique majeure, la difficulté pour ne pas dire l’impossibilité de tenir un discours politique face à des attentes individuelles. Jacques Chirac a basé son discours sur les valeurs de l’Europe. Un discours de cette nature est complètement inaudible face à des jeunes exposant leurs situations individuelles.

La société a changé, certes, mais les politiciens doivent aussi accepter leur part de responsabilité dans cette crise. Ils multiplient les discours haut en couleurs mais faible en substance, plein de slogans commerciaux, pondus par des sociétés de pub. Un « bon politicien » sait que pour être élu, il doit devenir maître dans l’art de la langue de bois, et toujours attribuer la faute à ses prédécesseurs ou à l’Europe. Les Français veulent un retour de l’homme politique au sens noble du terme, mais aujourd’hui, ils n’ont que des politiciens professionnels pour les représenter. Les meilleurs d’entre eux, loin d’être des victimes de la sur-médiatisation, utilisent le système à leur avantage, et font de la politique d’annonce ou de la politique spectacle chez Drucker, Fogiel ou Ardisson.

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Il faut sonner l’alarme car notre démocratie est sur le point de se noyer dans un océan de dérision et de ressentiment envers nos politiques. Il faut sonner l’alarme car la crise politique devient petit à petit quelque chose de plus grave ; elle devient une crise de l’engagement public. Face à cette mode du rejet de tout ce qui est politique par les citoyens, qui, d’autre part, doivent faire face au stress du monde du travail, l’engagement politique devient de plus en plus difficile à justifier.
Nous devons agir pour combattre ce sentiment de dépossession démocratique qu’ont la plupart des électeurs, et pour combler le fossé qui sépare les Français de leurs représentants.

La réhabilitation du peuple en politique passe par trois conditions préalables :

 La première responsabilité revient à l’Etat qui doit absolument mettre en application une loi plus stricte sur le non-cumul des mandats, successifs et simultanés. Les politiciens ne reconnaissent jamais à quel point ils sont « usés » ; il faut absolument légiférer sur cet aspect de la vie politique pour que les générations politiques puissent se renouveler.

 La seconde responsabilité revient aux élus locaux qui doivent adhérer à la stratégie de débat et de complète transparence dans la phase de prise de décision. Ce sera difficile car c’est souvent « contre nature » pour les hommes et les femmes qui exercent le pouvoir depuis longtemps. Ils savent que le débat est généralement contre-productif dans le court terme. Pourtant il s’agit, à mon avis, d’un passage obligé pour redonner confiance dans le système et recréer la démocratie de proximité.

 La troisième responsabilité, et sûrement la plus importante, est celle des citoyens eux-mêmes. Chacun d’entre nous se doit en effet de reconnaître l’importance et l’aspect courageux de la démarche de tous ceux et toutes celles qui choisissent l’engagement politique. Il faut faire abstraction de l’environnement affairiste dans lequel baignent les politiques pour montrer de l’indulgence, et même du respect envers ces hommes et ces femmes qui ont le courage de s’exposer pour travailler sans relâche pour leurs communautés. Même si leur discours est parfois distant et maladroit, nous ne pouvons que respecter et admirer leur engagement et surtout leurs efforts.

Je vais finir par un petit clin d’œil historique, un peu d’autodérision pour contredire la thèse d’une crise de notre société moderne. Revenons à l’antiquité et à ce qui se disait sur les hommes politiques. Il y a plus de deux mille ans, Platon écrivait déjà : « Ceux qui sont trop intelligents pour faire de la politique sont punis en étant gouvernés par ceux qui sont plus sots qu’eux ».

A cette époque, on se moquait déjà des représentants du peuple, mais quand le système démocratique grec et Le Sénat romain ont cessé de fonctionner, l’humanité a connu 17 siècles d’empires, de monarchies et autres dictatures avant de redonner la parole au peuple. Quels que soient les défauts de notre système politique aujourd’hui, il faut absolument le faire vivre.

Illustration : Noée

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