Avez-vous vu l’épaisseur des journaux durant ce mois d’août (pour ceux qui ont continué d’en acheter) ? La maigreur des journaux télévisés ? La pauvreté des informations délivrées ? L’insipidité des sujets traités ? Le triomphe des anecdotes incongrues ?

Vous me direz, c’est comme ça chaque année à la période des vacances. C’est normal. Les journalistes eux-mêmes ont bien le droit de se reposer. Les rédactions sont vides et les permanences sont tenues par des stagiaires tétanisés à l’idée d’avoir à faire face à un événement exceptionnel (que ce serait-il passé si le 11 septembre était arrivé un 11 août ?). Et de toute manière, les gens achètent encore moins de journaux durant cette coupure estivale (juste de quoi allumer le barbecue) et ne regardent plus la télé.

Le malheur ne prend pas de vacances

Est-ce vraiment aussi normal que ça paraît ? A y regarder de plus près que valent ces arguments pour justifier de cette raréfaction de l’information ? Le monde s’arrête-t-il de tourner durant notre été septentrional qui, dans l’hémisphère sud, n’est pas une période de cessation d’activité ? Et même dans notre hémisphère ne se passe-t-il plus rien du 15 juillet au 15 août ? Plus de morts, plus de guerres, plus d’affrontements politiques, plus de réchauffement climatique (c’est vrai que l’été n’a pas été caniculaire), plus de découvertes, de rachats d’entreprise, de montée ou de descente boursière, d’OPA en tout genre, en un mot plus de ces événements qui sont le petit lait de la presse quotidienne ?

Bien entendu, il y aurait autant de quoi remplir les colonnes des quotidiens et les trente minutes du 20 heures, un 27 juillet qu’un 15 octobre. La haine, le malheur et les catastrophes ne prennent jamais de vacances.

Décideurs mutiques et presse sans voix

L’absence d’information, durant cette période, révèle tout autre chose. D’abord, elle semble répondre à une règle journalistique bien connue, celle du mort/kilomètre qui veut que les événements perdent de leur importance au fur et à mesure qu’ils s’éloignent géographiquement (et temporellement, d’ailleurs) de nous. Un mort au coin de la rue voisine est réputé concerner plus le lecteur ou l’auditeur que 7 000 morts au Pakistan. Donc, puisque notre hexagone est livré à la léthargie des plages, et que le reste du monde est bien loin, il n’y a rien à dire ou à écrire. Mais, en réalité, se passe-t-il réellement moins de choses que d’habitude en France au cours de ce mois et demi de supposé farniente ? Que nenni, bien sûr ! Même à l’ombre des parasols nous continuons à vivre et à mourir, à nous aimer et à nous déchirer, à nous secourir et à nous escroquer. Et les trains, surchargés, arrivent plutôt moins à l’heure…

Un seul élément diffère du reste de l’année : l’absence partielle des responsables politiques et des « décideurs », la mise en sourdine de leurs interventions quotidiennes. Ils ne parlent presque plus, la presse est quasi muette. Cela montre combien ce qu’on appelle l’information est soumis aux manifestations du pouvoir et se met au service de la communication des puissants. Certes cette information peut-être critique, distanciée, rebelle à l’égard des messages officiels, elle n’en est pas moins conditionnée par eux. Sans eux, elle n’existe pas.

Que les journalistes n’aient pas l’initiative de l’information n’est pas un problème, au contraire. Leur métier n’est pas de la créer, mais de la relayer. Le problème est qu’ils relayent toujours le même type d’information, venant des mêmes sources.

Toujours plus de la même chose

La pénurie journalistique estivale fait apparaître en plein soleil une des raisons de notre désaffection pour la presse : nous sommes lassés d’entendre toujours les mêmes répétant toujours la même chose, même pour faire semblant de la contester.

J’écoutais tout à l’heure, (en déjeunant) une juriste sur France Culture (ce n’était pas au cours d’une émission d’info) parler de la question de la déchéance de nationalité. Quelle différence avec ce qu’on entend ou lit par ailleurs sur le sujet. Sans polémique, sans idéologie, tout devenait clair (en résumé, juridiquement, la déchéance de nationalité telle qu’elle est présentée aujourd’hui, n’a aucun sens, est inapplicable, n’aurait aucun intérêt, car elle ne pourrait tout au plus concerner qu’une ou deux personnes par an et est totalement contre-productive en matière d’insertion).

Rodomontades de boutefeux

Mais, évidemment, si on dégonfle la baudruche de ce genre d’effet d’annonce politique aussi rapidement et efficacement, avec quoi allons nourrir nos « molochs informationnels ». Il vaut mieux entretenir les feux de la discorde et maintenir en suspens les déchus potentiels au-dessus de la gueule du monstre.
Pourtant, je peux vous raconter, moi, dès à présent, en quelques lignes, comment va se dérouler cette affaire de déchéance (qui montre surtout celle de nos politiques). Une loi de plus va être votée, dont le contenu sera bien en deçà des rodomontades du ministre Boutefeux. Elle sera retoquée par le Conseil constitutionnel, reviendra au Parlement encore plus vidée de sa substance et ne sera jamais appliquée jusqu’à ce qu’un nouveau fait divers « relance le débat » et qu’on en appelle à une nouvelle loi. Est-ce bien la peine d’en dire plus ?

La viduité aoûtienne m’inspirait encore une réflexion sur la déchéance du statut de l’information. Mais, moi aussi, je vous ai assez importuné pour aujourd’hui (si vous avez eu la patience de me lire). J’y reviendrai peut-être dans une prochaine chronique.

NB : Place Publique n’échappe pas à la règle de la vacuité estivale, puisque nous avons publié un numéro juillet-août. Nous n’avons pour seule excuse que le fait que nous alimentons bénévolement ce site d’information dont nous avons le manque d’humilité de penser qu’il relaye une information ouverte.

 Lire la chronique précédente : Le droit et la morale

Au sujet de Bruno Tilliette

Bruno Tilliette est journaliste indépendant, ancien rédacteur en chef des revues Autrement, Management et conjoncture sociale et Dirigeant. Il tient une chronique régulière sur place-publique.fr depuis plusieurs années. Il est également auteur ou coauteur d’une dizaine d’ouvrages portant sur la communication et le management en entreprise, l’éducation et la formation ainsi que sur l’évolution de la société française.

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Le Magazine, Médias et démocratie

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