Seul le silence est grand ?
Le lecteur assidu de cette chronique mensuelle (il y en a peut-être !) aura sans doute remarqué qu’elle n’était pas parue au mois d’avril. Inquiet pour moi (on peut rêver), il se sera dit que j’étais peut-être en vacances, parti à la retraite, en grève, malade, victime d’une cassure des poignets ou d’une tourniole à l’index… Qu’il se rassure, rien de tout cela n’a retenu ma plume (ou mon clavier, plutôt). Mais peut-être quelque chose de plus grave que tout cela (quoique les vacances et la retraite, ce ne soit pas trop grave). J’ai été saisi, début avril, d’une immense lassitude journalistique, voire d’une quasi-déprime, devant l’inanité de la campagne pour l’élection présidentielle.
Je n’ai pas été le seul, bien sûr, puisque cette vacuité des débats électoraux a fait l’objet d’une multitude de commentaires de la part de mes confrères et des politologues de tous bords invités à leur table médiatique. C’est précisément cette logorrhée qui m’a cloué le bec. Car que dire de plus ? Qu’ajouter d’original à ce constat qu’une fois de plus les prétendants au trône étaient incapables de prendre un peu de hauteur et de débattre des vrais enjeux d’une société autant en mutation qu’en crise.
Diatribes
A l’heure où j’écris, entre les deux tours, ce n’est pas en train de s’arranger. Le sortant, prêt à tout pour rempiler, s’enfonce inexorablement dans la bassesse, les mensonges et les reniements pour faire la cour à la Marine nationale (je ne parle pas évidemment de notre force militaire navale pour laquelle j’ai le plus grand respect). Les journalistes font ce qu’ils peuvent pour essayer de rétablir des semblants de vérité. Mais que faire face à l’aplomb méprisant et sans vergogne d’un candidat aux abois dont les diatribes xénophobes n’ont plus rien à envier aux Le Pen, père et fille ? (Faut-il admirer le courage politique ou s’inquiéter de la lâcheté de nombreux responsables de l’UMP dont on est certain qu’ils ne peuvent partager cette idéologie écœurante, à commencer par le Premier ministre ou la propre porte-parole du président-candidat ?)
Le favori des sondages, de son côté, est quand même plus élégant. Mais son statut de favori, précisément, le pousse à en dire le moins possible sur le fond pour ne fâcher personne, ce qui ne rend pas non plus la tâche de l’intervieweur très facile.
Mutisme
Comment, dans ces conditions, exercer honorablement notre métier de journalistes ? Comment rester le plus objectif possible, ne pas céder aux provocations ? C’est aussi, je crois, ce qui m’a poussé, le mois dernier, au mutisme. Plutôt me taire que d’en rajouter aux écuries d’Augias. Je ne suis pas Hercule, capable de détourner des fleuves pour les nettoyer. J’ai conscience, en même temps que le silence est une facilité, une démission même. En refusant d’entrer dans l’arène de ces débats venimeux ou insipides, en refusant de jouer le jeu pour garder les idées propres, je fuis ma responsabilité. Mais, à l’inverse, personne ne sort indemne de la participation à ce cirque. S’y comporter en honnête homme, c’est être rapidement vaincu et ridiculisé. Vae victis ! Accepter les règles du jeu perverses de ces combats de gladiateurs, c’est risquer d’avoir du sang sur les mains, c’est se laisser entraîner sur de mauvaises pentes. (Avez-vous remarqué, au passage, que les questionnés se font de plus en plus questionneurs, dans un étrange renversement des rôles ?)
Impasse
Telle est aussi l’ambiguïté de notre public – lecteur, téléspectateurs, auditeurs. Il veut des jeux féroces pour son amusement et, se sentant soudain coupable de cette trouble jouissance, nous en veut de les organiser et d’y participer. Il veut des mensonges, pour rêver, et nous reproche de ne pas ramener nos interlocuteurs à la vérité, d’être de connivence avec les affabulateurs. Sous le joug de cette double contrainte, comment ne pas devenir fou ? J’admire ceux qui résistent et tentent, malgré tout, de bien faire leur métier. Personnellement, j’en suis à me dire « vivement la fin de cette séquence électorale » (les législatives du mois de juin nous réservent encore de durs moments de solitude), que l’on puisse sortir de l’impasse où nous enferment les politiques. Et parler d’autre chose. Des vrais problèmes. Ou simplement de la vraie vie.
Lire la chronique précédente
Bifteck saignant – mars 2012