Se faire beau
Aimer, dormir, manger, habiter, circuler, penser… Chaque mois, Place-Publique vous donne rendez-vous avec une esquisse illustrée de votre vie quotidienne future. Extraits du livre « Vivre en 2028. Notre futur en 50 mots clés » (Avec l’aimable autorisation des Editions Lignes de Repères)
Demain, pour se faire beau, on fera peau neuve.
Le corps sera de plus en plus un terrain d’expérience et d’expression. De la même manière qu’on voit aujourd’hui circuler peu à peu des voitures hybrides, en 2024, on verra se promener des hommes et des femmes hybrides, de chair et de métal, avec une infinité de variétés de coloration de l’épiderme. Perles, billes et tiges d’acier inoxydables, plaques à vis, les bijoux sont maintenant sous la peau. Injection de silicone pour gonfler ses organes génitaux, implants en tissus osseux artificiels que l’on fixe sur l’os, ce qui se passe sous la peau nous réserve encore bien des surprises. Notre silhouette s’épaissit également.
Mais les kilos superflus pourront être plus facilement maîtrisés grâce au « miroir persuasif » numérique qui, tel un conseiller esthétique, peut diagnostiquer nos formes et nous renvoyer l’image de notre apparence à venir, en cas de tentations gourmandes.
Ce qui facilitera l’adoption d’un régime alimentaire. Sur la tête aussi, les choses s’arrangent. Sans doute n’y aura-t-il plus beaucoup de chauves chez les hommes dans la société des années 2020. Grâce au clonage capillaire ! De quoi réjouir les 15 millions de Français qui perdent leur cheveux et pour qui cette chute représente parfois un drame personnel. Il ne sera bientôt plus besoin de passer par les pilules Propecia ou le Minoxidil pour espérer… et être déçus.
Pour tous ces gens, Kevin McElween, de l’université de British Columbia pourrait faire figure de sauveur.
Il a prélevé des cellules souches puis les a multiplié pour produire des clones et réimplanter ces derniers. Des tests cliniques en phase 1, menés sur 7 volontaires, par la société Intercytex se sont révélés concluants pour 5 d’entre eux. Ces derniers ont vu croître le nombre de leurs cheveux. Si les recherches se confirment, cela permettrait aux 50% des hommes chauves après 50 ans dont 20% entre 20 et 30 ans ne plus s’angoisser. La calvitie deviendra alors une coquetterie.
Avec la banalisation de la chirurgie prothétique, l’homme devrait cesser de subir son évolution physique, il pourra la redéfinir. Les personnes à handicap, perçus socialement comme des personnes à qui il manque quelque chose, seront peut-être, avec le développement des prothèses, valorisés comme des « hybrides » et non plus des gens « réparés ». Pour le meilleur ou pour le pire, les implants sous-cutanés se généraliseront marquant un degré de plus dans la modification du narcissisme des personnes.
Cette tendance est déjà à l’œuvre dans certaines catégories de la population. « Il s’agit aussi, pour certains, d’avoir leur statut social inscrit dans la chair, explique Aurélien Guerard, psychologue. Les implants donnent à voir une autre manière de sculpter notre corps, de lui donner du relief, de le modeler comme bon nous semble, à l’image que nous souhaitons donner ».
En Hollande, des chirurgiens ont développé une technique de sculpture florale. Bernard Andrieu, philosophe, parle d’avènement d’un nouveau vécu corporel : « la très forte tendance à marquer sa peau par le piercing et le tatouage, à lui donner du relief par le body building, et les progrès énormes en matière d’implants se rejoignent dans l’idée d’un corps amplifié et communiquant ».
Comme on le devine, à travers ce tableau dérangeant du corps travaillé, si beaucoup d’évènements continuent de se produire sur la peau, beaucoup de nouveautés vont désormais se passer sous la peau. Jamais la peau n’avait été autant sollicité. Les années à venir devraient renforcer cette tendance. Se faire beau ne sera plus seulement une question d’apparence mais aussi une affaire de communication. Les scientifiques et ingénieurs parviennent aujourd’hui, grâce aux nanotubes à fabriquer des textures très fines, alliant solidité et souplesse et permettant de faire circuler de l’électricité et de l’information.
Ainsi deux chercheurs de l’université de Lincoln dans le Nebraska ont mis au point un film électroluminescent, fait à partir de nanoparticules d’or et de sulfure de cadmium, permettant de reproduire la sensation de toucher humain chez des androïdes.
Que la peau devienne un moyen de communication se vérifie avec l’arrivée des micropuces RFID (Radio Frequency Identification Technology). Dans l’immédiat, cela se traduit par une logique de surveillance avec le développement de la biométrie. Ces grains de riz bourrés d’informations qu’on peut glisser entre la peau et le muscle des membres agissent comme de véritables code-barres et permettent aussi l’identification et la localisation par satellite des individus ou de suivre en continue notre état de santé.
Pour Jean-Michel Truong, spécialiste en intelligence artificielle, cette exigence de traçabilité cachée sous la peau « correspond au besoin antique d’assurer l’intégrité des transactions génétiques et commerciales par l’identification rapide des géniteurs sains et des débiteurs fiables ou de leurs contraires, les individus à risques ». Ce besoin exacerbé par l’aspiration au zéro défaut et le risque de la mise à l’écart des êtres défectueux est dénoncé par ceux qui craignent que la technique instrumentalise l’homme.
Bernard Andrieu n’est pas de ceux-là. Il évoque les recherches menées sur des peaux artificielles et autres textures, pourvues de multiples capteurs, dont seront couverts les prothèses, donnant aux humains et aux robots la possibilité de bénéficier de larges surfaces sensibles.
D’ores et déjà, artistes ou adeptes du culte du muscle, prônent la transformation du corps grâce à l’utilisation de l’électronique, des nouveaux designs et des nouveaux matériaux.
Natasha Vita-More, une artiste body-builder, considère le corps comme un nouveau terrain d’expérimentation pour la mode : « J’aimerais renforcer la puissance de mes jambes pour marcher dans la montagne, posséder une voile épidermique protecteur qui me protégerait des dangers particuliers à cet environnement, pouvoir rafraîchir ma température interne et bénéficier d’une ouïe et d’une vision amplifiées, explique-t-elle dans un entretien à Spirale.org.
Stelarc, l’un des précurseurs du body art qui aime à suspendre sa peau par des crochets en inox au dessus du sol, utilise son corps bardé d’électrodes rattaché par une série de câbles à des machines pour faire des expériences avec les médias. Avec un troisième bras robotisé, il fait interagir ce bras avec le mouvement d’une de ses jambes et avec des informations venant d’Internet. Son projet virtuel, Primo Post Human, reflète une vision du corps redessiné, intégrant diverses technologies, plus performant, plus rapide.
– SOURCES :
- « Devenir hybride ». Bernard Andrieu Editions Dilecta. 2008
- « Demain ma peau ». in Cahiers de l’Observatoire Nivea n°3