Nombreux sont les observateurs à juger que le débat science/société doit aujourd’hui mieux définir ses règles et créer les conditions d’un dialogue qui permette d’évoluer vers des consensus soutenables.
Personne ne peut contester que les avancées de la science ont contribué à rendre possible l’amélioration de notre société, de notre santé et de notre vie sur terre, quand bien même le développement de l’économie que ces progrès ont permis n’a pas fait disparaître la misère de bien des populations, ni empêché le gaspillage des ressources. Les dégâts provoqués sur l’environnement par les dérives industrielles qui l’ont accompagné provoquent inquiétudes et interrogations.
Force est de le constater : la notion même de progrès scientifique est aujourd’hui malmenée. Sans doute notre modèle de développement a-t-il aujourd’hui atteint un seuil qui impose un exercice plus vigilant de notre esprit critique et une plus grande proximité entre l’aventure de la science et celle de la démocratie. Car l’on sait que les découvertes et les innovations n’entraînent pas automatiquement le bien être de la société. Pourtant la science en est plus que jamais la condition nécessaire. Cette vigilance suppose que les chercheurs et les citoyens s’impliquent plus fortement dans les réflexions collectives et les actions à engager pour notre avenir. Cette vigilance suppose aussi de redéfinir de nouvelles médiations entre la société et la science.
Bâtir une science-médiation
Poser la question des relations entre science, société et médias, c’est s’interroger sur les rapports dynamiques entre plusieurs champs sociaux et sur la nature de la rivalité entre les différentes instances de pouvoirs mis en jeu. C’est aussi tenter de comprendre les modalités de fonctionnement des lieux de débat, et les changements que ces modalités provoquent sur les acteurs de ces mêmes débats. Le phénomène actuel de la démocratie participative connait aujourd’hui un relief particulier. Le travail de la Commission Nationale du Débat Public, les nouvelles lois en matière de consultation publique, la loi Barnier sur le principe de précaution, mais aussi l’influence exercée par de nombreux contrepouvoirs autour de la question écologique et altermondialiste ont amené une implication plus soutenue des citoyens dans les processus de dialogue sur les grandes orientations scientifiques.
Nombreux sont les observateurs à juger que le débat science/société doit aujourd’hui mieux définir ses règles et édifier de nouvelles bases. Les raisons à cela sont de divers ordres. Des considérations éthiques radicalement neuves, et d’une variété inédite, sont posées par les avancées mêmes de la science. La rapidité avec laquelle les découvertes et les innovations circulent impose de réactualiser les informations en permanence et d’inventer de nouvelles façons d’en débattre. La complexité des problèmes posés par les avancées de la science a tendance à confisquer le débat démocratique au profit des seuls experts. Les nouvelles peurs de la société résultant des recherches menées dans des domaines nouveaux sont amplifiées. A ces raisons s’ajoute la déconnexion du progrès scientifique avec les préoccupations sociales. Enfin, les publics les plus actifs qui s’emparent de ces questions sont parfois davantage animés par des préoccupations idéologiques que par le souci de connaissance. En outre, derrière la légitime présence de la participation citoyenne, se pose la question de la nature de l’information exposée et de « l’égalitarisme » des points de vue. Tous les avis ne se valent pas. Comme le démontrent les vives discussions relatives aux nanoparticules, à la fusion nucléaire (ITER), à la grippe aviaire, à la vache folle, aux hormones de croissance, aux cellules souches, aux OGM, ou encore à la surveillance numérique, les débats sur ces sujets, faute de clarté, souffrent de confusion et connaissent l’emballement.
Si les nombreuses discussions sur la question du risque et du principe de précaution ont eu le mérite d’ouvrir publiquement ces questions relatives au progrès de la connaissance, notamment sur les questions environnementales et sanitaires, elles n’ont pas été en mesure de les approfondir et de générer un savoir partagé. Submergés d’informations en tous sens, souvent non validées, nous sommes dans l’incapacité de tout comprendre, de tout vérifier de tout intégrer. Il devient difficile de se forger une opinion raisonnable. Difficulté renforcée par le fait que le discours dominant de l’innovation mélange des registres parfois contradictoires; l’intérêt industriel, l’exigence scientifique et la fascination pour la vitesse des technologies. Rien dans ces conditions qui ne puisse satisfaire un dialogue serein sur les menaces ou les espoirs suscités par tel ou tel enjeu, telle ou telle découverte.
On l’aura deviné, l’éducation est en première ligne pour fournir aux citoyens les éléments de base de la connaissance scientifique. L’école est au préalable de toute formation du jugement. Or, il faut bien l’admettre, les éducateurs n’ont pas vraiment les moyens de leur mission.
A l’évidence, le débat public, a besoin d’être revitalisé. Ces questions sociétales soulèvent nombre d’inquiétudes. Les mots « catastrophes, menaces, incertitudes, font désormais partie du vocabulaire courant de notre société quand elle décline le mot progrès. Et quand on parle d’avenir, les nuages sombres s’amoncellent : changement climatique, les pollutions de l’environnement, les épuisements de nos ressources, les atteintes portées à la biodiversité. Les progrès de la santé, du bien être, de l’éducation, semblent passer au second plan, quand ils ne sont pas soupçonnés d’effets pervers. Pourtant que de bienfaits la science a apporté.
Eviter la dramatisation du débat scientifique ?
Comment faire en sorte que les passions, les peurs, se transforment en désirs de savoir ? Comment inciter ceux qui ne connaissent pas la science à vouloir la connaître ? Et comment inciter les moins intéressés d’entre nous à se tourner vers les chercheurs pour leur demander : « Que faites-vous au juste ? Que savez-vous exactement? En quoi ce que vous proposez est-il pertinent pour nous?» Réciproquement, comment obliger les experts à ne plus s’en tenir à leurs seules raisons et à écouter celles des autres ? Et quelles modalités de médiation inventer qui feraient de l’incertitude et des risques un enjeu partagé, et partagé équitablement ? En deux mots, comment faire reculer la méfiance et favoriser la confiance, afin que ces débats sur notre futur, se déroulent dans la construction d’un dialogue garantissant l’intelligence des points de vue ?
La vie est ainsi faite, d’évaluation permanente du danger et de la menace, mais aussi du bienfait social et de l’avancée. Il y a bien dans ce dialogue une dialectique à maîtriser. La question de la démocratie et de la responsabilité est au cœur de la méthode à trouver. Le philosophe Paul Ricoeur, aujourd’hui disparu, soutient qu’ « une démocratie n’est pas un régime politique sans conflit, mais un régime dans lequel les conflits sont ouverts et en outre négociables (…) Sous ce régime, le conflit n’est pas un accident ou un malheur, il est l’expression du caractère non décidable de façon scientifique ou dogmatique du bien public (…) La démocratie, c’est la délibération, la négociation, la discussion. Un régime politique qui ne nie pas les conflits. Mieux, qui accepte que ceux-ci soient interminablement relancés et toujours à nouveau négociés.» explique Paul Ricoeur dans un entretien (L’éthique, le politique, l’écologie . Propos recueillis par Edith et Jean Paul Deléage] ».Ecologie politique. Sciences, Culture, Société 1993, n°7, été.)
Le débat public : un processus continu
On saurait l’admettre : un débat n’est pas un moment isolé, c’est un processus évolutif qui s’inscrit dans le temps. Comme le relève une note de veille Centre d’analyse stratégique (n°71), un des principaux reproches faits aux débats publics est « l’absence de concertation avec les différents participants en amont du débat, ainsi que l’arrêt du dialogue à la clôture de la phase de débat ». Les auteurs de cette analyse suggèrent de mettre l’accent sur la continuité des débats mais, curieusement, sans mentionner les potentialités d’internet comme support de cette continuité. Curieux, en effet. Car même si la réunion physique des parties prenantes à un débat reste indispensable à certaines étapes du processus, les plates-formes internet d’information et de dialogue peuvent tout à fait assumer le rôle de suivi et d’ajustement tout au long du déroulement de ce processus.
Ces mêmes auteurs listant les conditions à respecter pour étendre le débat public à des “sujets techniques d’ampleur nationale” ou à des “réformes de société”, en appellent à une large information du public, en partenariat avec des médias nationaux. Mais ce faisant, ils négligent totalement la nécessité de permettre une participation de l’ensemble des citoyens. Cette participation manquante, Internet permet de l’assurer, grâce à l’universalité d’accès aux débats et le maintien d’un suivi.
Le rôle d’internet
Avec la maturation des usages et la professionnalisation des technologies, la toile est désormais un espace de référence majeure, pour le plus grand nombre. Une quinzaine d’années d’existence ont vu émerger des sites en ligne de qualité et des moyens d’échanges de plus en plus sophistiqués. De ce fait, le temps long, la durée, la réflexion, la concentration, ont pris position sur la toile, accompagné d’outils de partage et de système d’alertes facilitant l’organisation de conférences dans des délais rapides.
De plus, sur Internet, les médias d’idées avec des vrais dossiers, commencent à marquer leur territoire. De plus en plus régulièrement alimentés, ils deviennent des référents des accompagnateurs, offrant aux discussions, aux dialogues, les moyens de se maintenir en forme, sur la durée. Ils offrent aussi des labels de garantie, pâtinés par le temps et l’expérience. Ainsi, Internet n’est plus seulement le lieu du zapping, du temps rapide. Si ce travers existe encore chez de nombreux utilisateurs, ce n’est plus la règle générale. Les visiteurs sont de plus en plus amenés à s’arrêter sur tel ou tel site, soit parce qu’ils s’y abonnent, soit parce qu’ils y trouvent l’espace qui leur convient pour s’informer, réfléchir, partager, agir.
Comme le soulignent les responsables d’Hyperdébat, « Il ne faut pas attendre que la société soit mure. Il faut anticiper et dès maintenant expérimenter des outils et méthodes qui seront d’autant mieux acceptés que leur développement aura accompagné l’évolution sociétale. » Les habitudes de lecture naissantes des livres numériques devraient favoriser cette inclinaison à passer du temps sur des contenus réflexifs. Bientôt internet et concentration ne seront plus antinomiques. Le débat d’idées sur internet deviendra alors naturel.