SCIENCE : La biologie synthétique, entre promesses et dérives
Sup’biotech a organisé le 23 novembre une deuxième Conférence sur les « Promesses et dérives de la biologie synthétique » à laquelle assistait tous ses étudiants. Quinze d’entre ont participé au concours IGEM* du MIT (Massachussets Institute of Technology) à Boston en 2009 avec un projet de double vectorisation pour vaincre le cancer.
« La biologie synthétique va prendre les méthodes de l’ingénierie pour assembler selon le cycle conception, construction, implémentation, validation. Et d’échec en échecs améliorer les processus » initie Jean-Loup Faulon, directeur de l’Institut de Biologie synthétique et systémique (IBSS) d’Evry, le seul organisme spécifique, situé au génopole d’Evry, lancé au début de l’année 2010.
En guise d’exemple, le chercheur revient sur la prouesse de Craig Venter, biologiste américain qui s’est illustré dans la course au génome humain, en mai dernier : « il a enlevé les gènes de virulence d’une bactérie micoplasma mycoïdes et a introduit des filigranes, des séquences non fonctionnelles (des noms d’auteurs ou des phrases), a codé ça avec de l’ADN puis a découpé ce génome en fragments de petite taille. La phase de reconstruction correspond à la synthèse chimique de ces fragments in vitro et à leur assemblage en plusieurs étapes, puis, il a transplanté ce gène dans une cellule vidée de son génome. Il est capable de cultiver des microplasmas mycoïdes. C’est le laboratoire version 1.0 de la démarche reproductible! » s’exclame-t-il.
Bioénergies
Synthetic Genomics, la société de Craig Venter, vient de signer un contrat de 300 millions de dollars avec Exxon Mobil (sur un budget global de 600 millions de dollars pour dix ans) pour développer des biofuels à partir de modifications génétiques dans des microalgues. Les intérêts en jeux sont considérables et aux Etats-Unis, le Département de l’énergie a financé 5 centres de recherche dont celui de l’université de Berkeley, à hauteur de 125 millions de dollars. En Europe, le projet européen Biologie Synthétique est doté de 4 millions d’euros. L’Institut de Biologie Synthétique et Systémique participe à trois ou quatre programmes européens.
Dans le domaine des bioénergies, on peut envisager de déconstruire le gène de la lignocellulose et de reconstruire des gènes de synthèse pour produire des biodiesel, une voie que l’Institut explore aussi. « Mais son objectif principal est la production de thérapeutiques pour contrôler un espace donné. Nous développons, par exemple, des antibitiques. directement dans les bactéries infectieuses, et dans un temps donné, avec un switch on /off. Nous avons monté un partenariat avec des PME situées pour la plupart autour du Génopole d’Evry : Amabiotics, pour les châssis biologiques, Imagène pour le répertoire de biobriques, Isthmus pour la validation et la gestion »indique Jean-Loup Faulon.
«En 2000, Dupont de Nemours a réussi à modifier une bactérie E.coli pour lui faire produire un composé polyester pour fibre textile, le 1-3 propanédiol, à partir de maïs; en 2004, ce groupe américain a construit une usine dans le Tennesse » déclare Marc Delcourt, le PDG et cofondateur de Global Bioenergies, qui considère que cet événement marque le passage de la biologie moléculaire à la biologie de synthèse et le démarrage de la chimie verte(1). « En 2008, la révolution est en marche, il y a des centaines de programmes de recherche portés par des industriels pour remplacer les butanediol, les acides succiniques etc…. Global Bioenergies a réussi à reproduire de l’isobutène par une voie gazeuse en développant des voies métaboliques qui n’existent pas. Une approche propre (car elle élimine les toxiques) et qui devrait être validée par la construction d’un fermenteur industriel produisant des milliers de litres d’isobutène à partir de 150 000 tonnes de blé et de maïs pour produire des biocarburants » annonce-t-il.
Les biologistes de demain seront des informaticiens
« Penser en ingénieur permet de découvrir des aperçus dans le biotope resté inexpliqués devant des générations d’étudiants (telle la fonction du 3ème gène ( Lact A) du lactose ). Les organismes vivants ont des propriétés qui ne sont pas encore comprises » souligne le Pr Antoine Danchin, spécialisé dans la génétique microbienne et fondateur d’Amabiotics, une société de rémédiation métabolique qui travaille sur le vieillissement des cellules. Dans le cadre des recherches actuelles sur la construction d’un ordinateur biologique dont le génome serait le code et la cellule, l’ordinateur (ou le châssis), il insiste sur la distinction entre le programme qui se réplique (il fait une copie identique) et la cellule qui se reproduit (elle fait une copie semblable). Une chose est sûre, les biologistes de demain seront des informaticiens qui devront être capables d’abstraction.
Nous sommes en phase avec le séquençage.
«Comme les programmeurs, les biologistes devront aligner des lignes de codes d’enzymes puis assembler des bandes ADN et enfin réaliser un « executable » » confirme André Choulika, fondateur de Cellectis.» Dans le design biologique, il faut re-séquencer pour vérifier que le système est viable », prévient-il. « L’ingénierie du génome est une première étape. Et même si l’on réussit à synthétiser un génome d’ici 2050, il n’est pas sûr qu’on le comprendra pour autant. Le cycle essais-erreurs est très lourd à cause de la complexité et, de ce point de vue la non publication des erreurs est un problème à cause du temps perdu(2)».
Depuis le séquençage du génome humain en 2003, le séquençage de l’ADN explose et son coût a baissé ( il sera de 1000 euros en 2012 et de 400 euros d’ici 2015), ce qui donne une source d’informations considérable d’autant que le coût de la synthèse de nucléotides diminue aussi. « Nous sommes en mesure de corriger directement une paire de bases dans la cellule sans avoir à tout resynthétiser.
Nous fabriquons des systèmes d’enzymes (outils de programmation) qui sont des sortes de petits scalpels capables de couper dans un gène pour faire de l’accordage de génomes, des remodifications de séquences. Nous travaillons notamment sur les diatomées, des algues photosynthétiques à longues chaînes carbonées. Nous y insérons, grâce aux méganucléases, de nouvelles voies métaboliques pour introduire des acides gras qui se transforment en kérosènes». Les algues excrètent du kérosène! Les biocarburants de synthèse sont une des voies de la biologie de synthèse. D’autres applications verront le jour dans le domaine de la thérapeutique et du diagnostic mais aussi dans le domaine environnemental de la dépollution. Ou des ordinateurs biologiques.
Thérèse Bouveret
(1)Un tournant comparable au passage en 1850, grâce à la découverte d’une liaison carbone, de la chimie analytique à la chimie de synthèse qui a connu son apogée avec l’avènement du plastique en 1950.
(2) the trail falure selon Luis Serrano qui dirigne le CRG (Centre pour la Régulation Génomique) de Barcelone
*(International Genetically Engineered Machine)
Entre sécurité et sûreté
François Képès, le fondateur et directeur du programme d’épigénomique (Génopole), cite trois grands types de risques : la bioterreur par contamination (biosafety) , la bioterreur issue d’une conduite intentionnelle (biosecurity) et enfin la biologie de garage où des erreurs peuvent se produire par inadvertance. Les Etats et Industriels sont très vigilants sur la question du bioterrorisme et des biohackers. La biologie de synthèse oblige à une extrême rationalité pour atteindre à la domestication des micro-organismes et à la maîtrise sur le biotope. Les chercheurs ont utilisent différentes procédures de confinement des organismes modifiés soit physiques ( javel ou autoclave en laboratoire), soit sémantiques (impossibilité d’hybridation) soit métaboliques.
Antoine Danchin, pour sa part, s’inquiète davantage des dangers d’organismes invasifs naturels dont les propriétés d’émergence et de propagation sont redoutables (SRAS, sida ou choléra) et dont on ne s’occupe plus assez. D’autant que les virus de maladies éradiquées tel que celui de la variole dont le génome a été séquencé ( de même que ceux de la grippe espagnole ou de la polio qui ont pu être recomposés en 2003 et 2005) pourraient être réintroduits.
« Peu consultée, peu concernée, la société civile perçoit la biologie synthétique comme un risque » met en garde le Pr Bernadette Bensaude-Vincent, présidente de l’association Vivagora. La philosophe informe que « le projet du clonage humain et du génome humain sont suivis par des éthiciens ( l’éthique étant une discipline normative et prescriptive) ». Elle participe au programme Healthy qui étudie les ajouts potentiels des technologies convergentes des biologies de synthèse (nano/bio/info/cogno) ». Selon elle, toutes les recherches devraient être orientées sur un mode consensuel vers l’épanouissement humain en référence au concept de« florishing existence » prôné par le généticien californien, Paul Robino.