La présidence espagnole de l’Union Européenne a organisé, le 2 juin, à Sarajevo, une réunion internationale. Objectif: dresser le bilan des relations de l’UE avec les Balkans, dix ans après le sommet de Zagreb consacré aux relations entre l’Europe et les Balkans.
Des indices encore fragiles.
Depuis quelques semaines on perçoit, au sein de l’Exécutif serbe, des signes qui pourraient annoncer un début de déverrouillage des positions de Belgrade .
Au cours de la dernière session du Conseil de Sécurité (11 mai ) consacrée à la mission des Nations Unies au Kosovo (MINUK), Vuk Jéremic, le très actif ministre des affaires étrangères de la Serbie, exposa une nouvelle fois la position de son pays : l’indépendance du Kosovo est contraire au droit international et à la Résolution 1244, elle ne sera jamais reconnue par Belgrade; après l’avis de la Cour de justice internationale, des négociations devront fixer le statut de la province et régler ses relations avec le reste de la Serbie. En attendant l’autorité légale sur place appartient au seul représentant du secrétaire général, Lamberto Zannier, le chef de la MINUK.
Le porte-parole de Prishtina, le ministre, Skander Hyseni, a soutenu une position diamétralement opposée. La souveraineté du Kosovo est irréversible. Les négociations espérées porteront sur l’ensemble des relations entre deux pays indépendants. Toutefois, les échanges furent courtois et exempts de polémique. Chacun des deux orateurs a souligné la volonté de son pays de négocier. À la différence des sessions précédentes, l’accent n’a pas été mis sur les préalables.
En déclarant que la question d’une éventuelle adhésion à l’OTAN n’était pas à l’ordre du jour mais « qu’elle devait être abordée avec calme » le ministre de la défense, Sutanovac, n’a suscité que des protestations modérées dans la classe politique et l’opinion publique. Le plus critique fut l’ambassadeur de Russie, qui a accepté l’adhésion à l’UE mais a écarté une participation à l’OTAN. Bien que la Serbie, se soit proclamée « Etat neutre » , elle s’est associée, en décembre 2006, au Programme du Partenariat pour la Paix de l’OTAN (PfP). Elle participe à quatre opérations de paix internationales(1). Fin juin, la Serbie ouvrira une Mission auprès du quartier général de l’OTAN à Bruxelles.
Des efforts visibles
Des efforts ont aussi été faits par Belgrade pour améliorer les relations avec ses voisins immédiats. La Commission technique croato-serbe sur les frontières a repris ses travaux après sept ans d’inactivité. Le 15 mai, le premier ministre serbe, Mirko Cvetkovic, s’est rendu à Zagreb et proposé un retrait des plaintes réciproques pour génocide devant la Cour de justice internationale. Le président bosnien, Haris Silajdzic, a été invité à se rendre à Belgrade. Ce qui serait une première. Il ne le fera que s’il est autorisé à visiter une personnalité bosniaque emprisonnée en Serbie. Ces derniers contacts entrepris sans consultations préalables ont surpris et mécontenté les responsables de la Republica Srpska (RS), l’entité serbe en Bosnie. Boris Tadic, le président de la République de Serbie, s’est rendu à Banja Luka, la capitale de la RS, et a expliqué que la priorité des priorités était l’intégration européenne en rappelant que la Bosnie-Herzégovine devait conserver son unité. Les relations avec la Republica Srpska semblent moins confiantes.
L’initiative de la présidence espagnole.
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Dans ce contexte particulier, la présidence espagnole de l’UE organise à Sarajevo une rencontre internationale pour dresser le bilan des relations de l’UE avec les Balkans. Il y a dix ans, au sommet de Zagreb, pour la première fois furent abordés publiquement les rapports entre l’Europe et les Balkans. Il avait été convenu que l’avenir des pays balkaniques était en Europe.
Dès l’annonce de l’initiative de Madrid, Belgrade posa comme condition à sa participation à la rencontre que le Kosovo y figurât comme « région sous protectorat de l’ONU » et non comme Etat souverain. Après de longues tractations, où s’impliquèrent l’Espagne, l’Italie, la Commission, des Etats membres et même les Etats-Unis, on convint que la rencontre ne serait pas un Sommet mais une Réunion dite « de Gymnich », c’est à dire au niveau des ministres des affaires étrangères présentés sous leur nom personnel, sans emblèmes nationaux et sans ordre du jour négocié à l’avance. La présidence serait assurée par Miguel Angel Moratinos et Mme Ashton, responsable des activités extérieures de L’UE, accompagnée du Commissaire à l’intégration, Stefan Fule.
La Serbie a dû revenir sur ses exigences et car elle se heurte à des réalités qui sont têtues.
La crise mondiale, financière et économique, accaparent les capitales occidentales. Ces dernières ne mettent pas les affaires balkaniques au premier plan, révisent à la baisse leurs dépenses intérieures et extérieures et font la chasse à la corruption. Une absence de la Serbie à cause du Kosovo serait très mal perçue. Une attitude trop rigide la condamnerait à l’isolement. Or, le gouvernement serbe ne cesse de proclamer que l’UE est sa priorité. D’autre part, l’économie serbe ne peut se redresser et se moderniser – le Dinar baisse par rapport à l’Euro – qu’avec des aides extérieures (Fonds de pré adhésion la Commission , prêts du FMI , participations des Banques spécialisées, etc…). L’aide financière russe ne suffira pas .
L’intense campagne diplomatique lancée par Vuk Jérémic pour empêcher la reconnaissance du Kosovo, n’a pas donné tous les résultats escomptés. 69 pays ont reconnu la souveraineté du Kosovo. Il est illusoire de faire revenir les « grands pays » sur leur décision même si la Cour de justice internationale donnait raison à Belgrade . Il n’est nullement acquis que le Conseil de Sécurité puisse ouvrir de nouvelles négociations sur le statut du Kosovo. Dernière preuve du demi échec de ce forcing diplomatique; à l’unanimité, l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI) vient d’adresser un message d’encouragement aux responsables kosovars (20 mai ).
Certains amis de Belgrade paraissent moins sûrs. La Grèce de Papandréou pourrait reconnaître le Kosovo. Elle ne peut demeurer inflexible à la fois sur la question kosovare et sur celle du nom de la Macédoine. Dans toutes les réunions internationales, Moscou est toujours le plus ferme défenseur de la Serbie. Toutefois, le ministre des affaires étrangères, Sergei Lavrov, appartient à ce groupe de personnalités influentes qui sont convaincues que la Russie ne se modernisera que si elle se tourne résolument vers l’Occident et recourt à sa technologie. Ce groupe fait circuler une boutade : « Nous n’obtiendrons pas d’investissements de la Corée du Nord ni de l’innovation technologique du Vénézuela ». Belgrade pourrait, à la longue, faire les frais de cette recherche de détente et d’innovation.
La Chine est loin. Elle ne veut pas que l’Europe se mêle de ses affaires intérieures et, pour cette raison, elle ne souhaite pas s’impliquer à fond dans un problème européen majeur. Le Mouvement des Non Alignés n’a pas de réalité politique. Il n’est qu’une évocation nostalgique d’un passé révolu .
Retour de la partition.
Le discours officiel de Belgrade sur le Kosovo est toujours le même, mais il masque une recherche de solution. D’une façon encore très officieuse, des conseillers du président et des leaders de la majorité étudient et testent une partition du Kosovo. Ses modalités et son étendue seraient déterminées par des négociations directes ou sous contrôle de l’ONU, entre Belgrade et Prishtina après l’Avis de la Cour de justice internationale (courant juillet). Ces négociations porteraient aussi sur l’ensemble de la coopération administrative et technique ( douanes, électricité, justice, etc…) entre la Serbie et le reste du Kosovo. La question de la reconnaissance du Kosovo serait, pour un temps, mise de côté. La stratégie diplomatique de la Serbie étant de gagner du temps .
Cette idée d’une partition se heurte déjà à un refus catégorique de plusieurs capitales occidentales qui craignent un effet domino en Macédoine, en Bosnie-Herzégovine, ainsi que dans le sud de la Serbie. Les réactions de Paris, Bonn et Londres sont sans appel: pas d’entrée de la Serbie sans une coopération concrète et apaisée avec un Kosovo dans ses frontières actuelles. Les 27 ne font pas de la reconnaissance du Kosovo une condition de l’accès de la Serbie à l’UE mais demandent qu’elle pratique une vraie coopération avec Prishtina. Les Etats-Unis sont sur la même longueur d’onde : pas de partition, pas de négociations sur le statut, seulement la recherche de solutions pratiques aux problèmes de tous les jours (électricité , téléphone , douanes , justice… ).
Autre déception pour Belgrade. Bien que divisés sur la question de la souveraineté du Kosovo ( refusée par l’Espagne, la Roumanie, Chypre, la Slovaquie et la Grèce ), l’ensemble des membres de l’UE soutiennent et financent les missions d’EULEX: établissement d’un état de droit, lutte contre la corruption et le crime organisé, protection du patrimoine culturel et recherche des personnes disparues. Ce sont des photos aériennes d’EULEX qui ont conduit Belgrade à reconnaître qu’il y avait bien une fosse commune importante sur la frontière avec le Kosovo, à Rudnica (mai 2010).
Il n’est pas certain non plus que l’ensemble de la population serbe suive Belgrade dans sa défense inflexible de la province du sud.
Quinze ans après la paix en Bosnie-Herzégovine et onze ans après la fin des hostilités au Kosovo, les Serbes sont préoccupés, avant tout, par la situation économique, la réduction des dépenses publiques, les fermetures d’usines, la réduction du nombre des fonctionnaires (demandée par le FMI ), la diminution des investissements étrangers et des transferts de la diaspora. Ils sont également préoccupés par une corruption généralisée et un avenir incertain. Plus de 60% d’entre eux acceptent l’Europe.
La question du Kosovo est maintenue comme une plaie ouverte et un problème politique crucial par un groupe de nationalistes amers, de militaires humiliés au cours des quatre guerres, d’intellectuels nostalgiques de la Grande Serbie, d’historiens passéistes. Les citoyens ordinaires ne connaissent que l’Histoire officielle. Quant aux membres de la classe politique, la quasi totalité d’entre eux – et même ceux qui sont conscients de la vanité et du coût de la rétention du Kosovo – ne veulent, en aucun cas, passer à l’Histoire comme ceux qui auraient lâcher le Kosovo. Aucun homme publique ne veut être comparé au traître Vuk Brankovic qui, selon les récits légendaires, aurait contribué à la défaite de Kosovo Polje ( 28 juin 1389 )
Sarajevo: une photo
A la réunion internationale de Sarajevo, la délégation serbe, qui n’a encore rien laissé filtré des hypothèses à l’étude, martèlera sa position officielle. Son intérêt est de ne rien faire pour ébranler sa position de force. Le 30 mai, à son initiative, des élections municipales se dérouleront dans le nord du Kosovo ( Zvechan, Zubin Potok, Mitrovica-Nord, etc.. ) là où les structures parallèles sont denses. Les électeurs locaux, déçus par la diminution des aides et la baisse des traitements, ne doivent pas douter du soutien de Belgrade. De plus , une forte participation donnerait des arguments à ceux qui plaident en faveur d’une partition compacte.
D’ailleurs, le grand nombre de participants – 47 invités dont les pays de l’ex-Yougoslavie et de la région, les 27, les Etats-Unis, la Russie et la Turquie et des Institutions internationales – le caractère quasi informel de la réunion et sa courte durée, ne favoriseront pas les échanges discrets et approfondis. Le 2 juin, des engagements seront solennellement réaffirmés; celui pris par les 27 d’accueillir les pays des Balkans occidentaux et celui des pays candidats de réaliser les réformes requises.
Des voix s’élèveront pour demander un allègement de la conditionalité et un abrégement des délais, qui ne seront pas prises en considération par l’ensemble des 27. La Bosnie-Herzégovine et le Kosovo mettront sur la table la question des voyages de leurs citoyens. La Russie ne manquera pas de critiquer la manière dont l’Union européenne, la KAFOR , EULEX et même la MINUK gèrent le Kosovo. Cela devrait être la seule voix vraiment discordante.
L’unique résultat dont pourra se prévaloir la présidence espagnole sera d’avoir réussi à rassembler, dans un lieu symbolique, tous les acteurs en charge de l’avenir du sous- continent balkanique. Cet exploit médiatique et photogénique ne devrait pas avoir, dans l’immédiat, de conséquence directe, concrète et positive.
Pour que les choses bougent, il faut que Belgrade cesse de soutenir Milorad Dodic, le leader de la Republica srpska, que Prishtina redresse sa gestion, que la CJI rende son avis et que l’Europe ait, enfin, une vision d’avenir sur les Balkans occidentaux. En attendant, l’espace balkanique sera dominé par l’incertitude et les spéculations.
*ancien ambassadeur de France en Croatie. Cet article a été rédigé avant la réunion de Sarajevo, le 27 mai 2010