Place aux jeunes !
Il ne fait pas bon avoir 20 ans dans la France des années 2010. Le monde qui vient creusera-t-il encore davantage le fossé entre les générations ? Telle est la question posée dans le cadre d’un débat à Science Po, entre Louis Chauvel et Jean-Pierre Le Goff*.
Qu’un ministre, Marc-Philippe Daubresse, soit Ministre de la jeunesse et des solidarités, en charge aussi de la lutte contre la pauvreté, en dit long sur la condition humaine des nouvelles générations. C’est clair : avoir 20 ans dans la France des années 2010 n’est pas une sinécure. Cela fait trente-cinq ans que la France connaît le chômage de masse et un régime de croissance molle. Plusieurs générations ont eu le temps d’en éprouver les conséquences économiques et sociales et de les redouter. Conséquences ; une société qui vieillit et ne transmet pas le pouvoir .
Les jeunes de plus en plus pauvres
Le contexte : Les situations de pauvreté et de mal-logement affectent particulièrement les 20-30 ans… Alors que les générations du baby-boom, qui ont grandi à l’abri des Trente Glorieuses, sont accusées d’avoir confisqué la plupart des positions de pouvoir, endetté la collectivité et consommé au mépris de l’environnement, les générations nées à partir des années 1980 semblent destinées à porter tout le poids de leurs retraites, de la dette publique et de la conversion écologique. « En 1970, la thématique centrale était la pauvreté des vieux. Aujourd’hui, c’est la pauvreté des jeunes » souligne le sociologue et professeur à Science-Po, Louis Chauvel (photo ci-contre ) à l’occasion d’un colloque qui s’est tenu, le 22 juin 2010, à l’Ecole des Sciences Politiques.
C’est naturellement dans les pays où le chômage est le plus virulent que la situation des jeunes est la plus préoccupante. La France fait partie de ceux-là. A l’heure où seule la rigueur et la réduction des dépenses publiques, tiennent lieu de politique, aucun message d’avenir n’est donné à cette génération précaire qu’on s‘accorde à dire « sacrifiée » sur l’autel de la crise. Rien à l’horizon qui ne témoigne d’un signe de relance. Rien qui ne lui donne le sentiment réconfortant de la durée, du durable, de l’horizon. Le thème de la retraite a remplacé celui de l’emploi. Travail, éducation et recherche semblent avoir disparu de l’agenda.
« La prospective n’est plus en phase avec l’évolution de la société » a commenté Nathalie Kosciusko-Morizet, Secrétaire d’Etat chargée de la Prospective et du Développement de l’économie, en introduction à ce débat. En période de crise l’horizon n’est pas lointain, mais dans la transformation en cours. Aussi faut-il ne pas négliger le court terme ».
Au moment où l’opinion se cristallise sur le débat concernant notre système de retraites, la question des jeunes et de la solidité des liens entre générations paraît tout à fait structurante. Comme l’a rappelé la ministre, « le vieillissement de la population donne en effet aux plus âgés un poids démographique inédit. La démographie fragilise le lien intergénérationnel ». Et la nature de ce lien est de plus compliquée.
Quatre générations cohabitent : les plus âgés (plus fragiles et demandeurs de soins), les papy boomers (50-60 ans) post 68, la génération au travail (30-50 ans) et les jeunes. La question se pose désormais : les classes d’âge sont-elles en train de remplacer les classes sociales ? Une chose est sûre : à classe égal, à âge égal, à diplôme égal, tout le monde n’est pas égal. C’est selon le milieu d’où l’on est issu.
« Si la société dans laquelle nous vivons rate la socialisation des jeunes dans le monde du travail, alors c’est toute la société qui va en subir les conséquences dans un avenir proche » soutient Louis Chauvel, en s’appuyant sur la méthode de l’analyse générationnelle, qui analyse la nature de la solidarité entre les générations.
Autres temps, autres mœurs
Les constats effectués par le sociologue ne sont pas rassurants. Les inégalités de revenu et de statut dans l’emploi se sont plutôt creusées ces dernières décennies au détriment des jeunes générations. Les enfants sont de moins en moins assurés d’atteindre une position sociale équivalente ou supérieure à celle de leurs parents. Les titres scolaires, chèrement acquis, ne sont plus toujours synonymes d’insertion rapide sur le marché du travail. Le diplôme a perdu de sa valeur.
Ainsi, en 1970, le Baccalauréat avait une valeur pour 60% des cadres. A partir de 80, ils ne sont que 28% à lui reconnaître une valeur. Certaines générations paient un plus lourd tribut que d’autres: les jeunes qui se présentent aujourd’hui sur le marché du travail risquent de porter longtemps les séquelles d’un début de carrière par temps de crise. On risque dans quelques années de leur préférer des jeunes plus fraîchement émoulus de l’enseignement.
Les jeunes sexagénaires (post –soixante huitards) – la génération au pouvoir – sont des gens qui ont connu une vie d’adultes radicalement différente de celle que l’on connaît aujourd’hui . Les jeunes seniors n’ont en effet jamais connu de revenus aussi élevés. Quand ils étaient jeunes, la question du chômage ne se posait pratiquement pas. Si l’on compare les chiffres du chômage, on constate que douze mois après la sortie de l’enseignement, on trouvait en 1970, 6% de jeunes au chômage puis à partir des années 80, 32% de chômeurs. Les jeunes ont ainsi accepté des salaires nettement plus faibles. Les seniors (jeunes retraités) ont augmenté leur pouvoir d’achat de 30% en 25 ans..
Autre signe des temps : le logement. Les prix ont doublé depuis 1996. « Nous vivons dans le pays développé où le personnel politiques est le plus âgé du monde. Ainsi en 2007 sur dix députés, pour un député de moins de 40 ans, on trouve dix députés de plus de 60 ans », note Louis Chauvel. Le thème du départ des jeunes à l’étranger est un thème de plus en plus récurrent. Seule consolation, la solidarité familiale joue son rôle.
Compte tenu des ces données, faut-il s’attendre à des conflits de générations comparables à ceux qui marquèrent la décennie 1960? Probablement pas, pense le chercheur. La jeunesse d’alors était à la fois démographiquement plus nombreuse, économiquement moins éprouvée et culturellement plus mobilisée. Celle d’aujourd’hui ne cherche pas à s’émanciper de hiérarchies familiales largement effacées. Cette génération est relativement décomplexée. Elle discute d’égal à égal sans tenir de l’âge de l’interlocuteur ou de son niveau d’autorité. Pas de révolution donc, mais des tensions non négligeables !
Un prolongement indéfini de la jeunesse
C’est la première fois depuis la naissance du monde moderne, que l’on assiste à un prolongement indéfini de la jeunesse, assorti d’une dépendance familiale accrue. Et il est difficile d’évaluer la portée de ce phénomène en termes psychosociologiques. Une des conséquences observées par le sociologue est la baisse de la méritocratie. « On s’achemine vers une société de rentiers dans le cas des familles ou il y a un patrimoine. La valeur travail se trouve ainsi dévalorisée ». Un autre problème grandit : la dérive des classes moyennes. Quand aux classes populaires, elles connaissent une importante déchirure, du fait de la crise, de la combinaison du chômage de masse et de l’érosion familiale.
Le grand perdant dans tout cela, c’est le travail salarié. Louis Chauvel évoque également pêle mêle la remarginalisation des seniors, la fin attendue des seniors fortunés, une jeunesse moins malléable, un monde des cadres sous tension, l’arrivée de nouveaux jeunes immigrés. La question des jeunes restera au centre des préoccupations, notamment lorsque l’héritage aura été grignoté.
Afin d’entrevoir un horizon plus clair, il faudrait, dit le sociologue, remettre la famille à sa place, ne plus s’en remettre à la fausse solidarité générationnelle et cesser de regarder le passé. Chacun doit songer à se fabriquer lui-même son propre héritage. Les générations qui auront beaucoup cotisé pour recevoir pas grand-chose risquent de ne pas accepter facilement le sacrifice qu’on leur impose.. L’année 2020 devrait fixer les choses sur le caractère vertigineux des problèmes qui restent à surmonter.
Jean Pierre Le Goff, également invité à débattre de ce problème à Science-Po, se veut moins inquiet. « Il faut relativiser les moyennes, car si le pouvoir d’achat des plus âges excède celui des actifs ce n’est pas vrai dans l’absolu », explique le directeur de recherche CNRS/Laboratoire Georges Friedman. On trouve des jeunes couples sans enfants bien mieux pourvus que des gens âgés de plus de 65 ans. « Comparer un baby boomer travaillant dans l’enseignement et une femme ouvrière du même âge n’a pas de pertinence » .
l y a, selon lui, une grande dispersion des situations. S’il est vrai, reconnait-il qu’il y a une panne de l’ascenseur social, ce n’est pas forcément un effet d’injustice générationnel mais un effet de structure. Par exemple, le nombre d’enfants de cadres est plus important que dans les années 60. Pour lui, « ceux qui ont un diplôme finissent par s’en sortir. Le défi est la question du travail des non-diplômés. Ils auront à faire face au problème difficile de la précarité et du logement ».
De plus, la situation des seniors n’est pas aussi avantageuse que le suggèrent les adversaires du « grey power »: Pour certains d’entre eux, les fins de carrière sont difficiles. Le niveau des retraites, sous l’effet des réformes successives de leur système de financement a baissé , et le spectre de la « misère des vieux », revient hanter les catégories les plus fragiles.
Passer à l’âge adulte : l’emploi
Pour Jean-Pierre Le Goff, « nous sommes à la croisée des chemins. Le passage à l’âge adulte se fait mal. Les repères sont brouillés et la sortie de l’adolescence est impactée par ces difficultés ». Mais « le fait qu’on ne sache plus très bien dire où finit la jeunesse et où commence la vieillesse témoigne aussi d’une incertitude croissante sur les conditions d’accès ou de maintien de l’autonomie tout au long de la vie, témoigne Thierry Pech dans un récent numéro de Alternatives Economiques Hors-série n° 085 – avril 2010 Le problème particulier que rencontre la société française vient de son incapacité à réinventer des solidarités ajustées à ces transformations ».
Pour ce dernier, la France entretient un Etat-providence essentiellement fondé sur le salariat, ayant vocation à distribuer des revenus de remplacement à ceux qui ne peuvent plus travailler pour cause de vieillesse, de maladie ou de chômage. La fragilisation des statuts d’emploi, la persistance du chômage de masse et l’émergence de risques nouveaux comme le risque de dépendance mettent ce dispositif à rude épreuve. Elles imposent de repenser le système pour offrir aux personnes les conditions d’une autonomie qui soit associée à des parcours moins linéaires. Que ces parcours soient subis (du fait d’une mondialisation qui exige toujours plus de flexibilité) ou choisis (du fait d’une liberté acquise et revendiquée par les individus).
Sans travail, il est difficile de sortir de la famille et de se faire son propre capital social de connaissances de gens nouveaux. Le retard d’entrée dans la vie active provoque du ressentiment. Les repères symboliques tombent. C’est donc bien le travail et l’emploi qui sont au cœur des solutions à trouver.
L’enjeu est aussi éducatif. Grâce à l’éducation, on est plus armé pour affronter le monde. La nécessité de la transmission est centrale pour que le jeune trace lui-même son propre avenir. Or cette question est prise à la légère. La question des stages, dénoncée par l’association « Génération précaire » montre bien, à quel point en donnant de la besogne « sale » sans legs formatif, les seniors font défaut à leurs devoirs. Rien d’étonnant à ce que sur le plan institutionnel, nous vivions alors, en France, dans un pays où une seule génération est représentée. Il n’en va pas de même dans les pays nordiques où toutes les classes d’âge sont présentes dans les assemblées des représentants.
Cycle « ce monde qui vient ». Débat organisé le mardi 22 juin 2010, par le Ministère de la Prospective et du Développement de l’économie numérique avec la collaboration du Centre d’Analyse Stratégique.