Retour sur la crise. Le passage de l’économie matérielle à l’immatériel change peut être la face du monde mais pas les appétits des traders. Croire que la leçon de la crise actuelle va décourager la manipulation spéculative serait faire preuve d’une naïveté coupable.
Beaucoup de gestionnaires de portefeuilles restent désireux d’attirer des clients toujours avides de performances exceptionnelles pour qui une croissance moyenne n’a pas d’intérêt. La financiarisation du capital immatériel de sociétés cotées et disposant de brevets intéressants ouvre un terrain de chasse qu’ils n’ignorent plus.
On ne prête pas suffisamment d’attention au fait que 75% à 90% de la capitalisation boursière des entreprises cotées est constituée par des actifs immatériels tels que brevets, marques et savoir-faire. Désormais, ce sont des spéculations sur la valeur de ces brevets, sur les résultats de batailles juridiques en cours, qui deviennent les nouveaux terrains de chasse des immenses possibilités financières inutilisées dans le monde.
La spéculation bat son plein sur les actifs adossés à des valeurs susceptibles de s’apprécier selon que la notoriété de l’innovation sera plus ou moins grande. Ce qui en augmente la valeur de reprise… souvent avant même sa mise sur le marché. Lorsque Iliad, deuxième fournisseur d’accès haut débit avec Free en France, a annoncé le lancement de son nouveau modem « triple play » (internet, TV, téléphonie par Wifi) baptisé « Freebox HD », la valeur du titre a gagné 15,7%, soit un gain de 452 millions d’euros en une demi-journée. Les bourses internationales réorientent leurs capacités financières pour se concentrer sur les activités de R&D et d’innovations capables de faire flamber la Bourse. Le déficit des fonds d’Etat et d’investisseurs nationaux ne permet pas de contrecarrer la dangerosité de ces mouvements spéculatifs lorsque des entreprises à forte intensité de savoir seront susceptibles de tomber dans l’escarcelle de financiers étrangers.
Dans le meilleur des cas, ces apporteurs de fonds vont remédier au sous-investissement des Etats en matière de R&D. La recherche mobilise désormais de plus en plus de capitaux. En 20 ans, le coût de développement d’un médicament a plus que doublé, celui d’un nouveau composant micro-électronique a été multiplié par dix. Aussi la matière grise fait l’objet de stratégies financières spéculatives de plus en plus agressives. Il suffit de voir la variation des cours des actions des entreprises au gré des annonces de découvertes plus ou moins réelles pour en avoir une idée. La compétitivité entre entreprises et nations ne joue plus seulement sur la productivité du capital (des actifs tangibles) mais sur la plus ou moins forte rentabilité du capital immatériel (les actifs intangibles). Mais cette rentabilité est-elle réelle ?
Plus une entreprise détient de brevets, plus elle laisse l’illusion d’un important patrimoine immatériel. Cela n’implique pas forcément que ces brevets aient une grande valeur dans la mesure où ils ne font pas l’objet d’une exploitation sérieuse. Une enquête du BTG International, un fonds d’investissement en technologies et sciences de la vie, montre que 67% des compagnies américaines possèdent des actifs technologiques qu’elles n’exploitent pas. Présent dans près de 160 pays avec plus de 300 marques, Procter & Gamble bénéficie d’une capacité d’étude et de recherche employant 7 500 scientifiques répartis sur 20 centres à travers le monde. Cette organisation permet à P&G de détenir plus de 30 000 brevets. Le nouveau directeur de la recherche a néanmoins constaté qu’une majeure partie de ces brevets était insuffisamment exploitée.
Les gestionnaires de portefeuilles spéculent sur des valorisations parfois irréalistes d’entreprises détentrices d’un important volant de brevets. Problème, une grande majorité procure encore un retour sur investissement de leur R&D bien loin des évaluations boursières. En 1980, trois chercheurs, décidés à mettre au point des répliques de protéines naturelles que les procédés chimiques et d’extraction connus n’arrivent pas à produire, créent la société Amgen. En 1983, lors de son introduction en bourse, nos trois chercheurs lèvent 40 millions de dollars au Nasdaq. Ce jour-là les actions sont cédées au prix unitaire de 18 dollars. En 2003, après que l’équipe a mis au point plusieurs procédés innovants et brevetés, la valeur d’Amgen est montée à 73 milliards de dollars avec une progression de 14 850% sur le cours initial. Une super-formance du titre dûe à la spéculation. La progression réelle (retour selon dividendes réinvestis) était de 1 000%, ce qui n’est pas rien, mais bien loin de justifier la valeur de l’action.
Cette course folle peut jouer négativement sur la R&D si elle devient trop dépendante des investissements spéculatifs. C’est la raison pour laquelle il faut d’une part, que les Etats continuent à soutenir une R&D importante moins soumise à ces spéculations et que, d’autre part, ces mêmes Etats encouragent les mécanismes et les solutions qui favorisent la commercialisation – et donc la transparence des valorisations – des licences et, sur ce point, il y a du travail .
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