Le salarié est-il condamné ?
_ Pour Jacky Isabello et Thibault Lanxade, le salariat, considéré comme le pivot de toute une carrière, ne sera plus le seul centre de l’univers des travailleurs.
« En finir avec la dictature du salariat »*.
Le titre de l’ouvrage est insolent. A souhait. Le contenu l’est moins. Il se veut plus mesuré. « Le titre volontairement provocateur de notre ouvrage ne signifie pas que nous déroulons le tapis rouge aux théories néolibérales revendiquant plus de liberté pour les entrepreneurs et plus de précarité pour les collaborateurs ».
Pour Jacky Isabello et Thibault Lanxade, le salariat, considéré comme le pivot de toute une carrière, ne sera plus , en tous les cas, le seul centre de l’univers des travailleurs. Et de s’en référer à Karl Marx qui parlait de statut indigent, parfois sclérosant, souvent liberticide du salarié. Les auteurs se veulent optimistes et parlent de « nouveau contrat social ».
Tous deux entrepreneurs, les auteurs partent du constat que dans une société financiarisée et globalisée, « l’entreprise de Papa » n’est plus capable de tenir son contrat moral de promesse de progression de carrière et de sécurité de l’emploi en échange de la loyauté de son collaborateur. Plus même, c’est l’emploi tout court qui n’est plus garanti. Pour étayer leur thèse, ils rappellent que le travail fait encore référence à la notion de souffrance_
Les deux auteurs donnent l’exemple d’EADS où 4 salariés sur 5 ne se sentent pas impliqués. Avec le sentiment de perte d’appartenance au groupe et l’intensification du rythme de travail, les salariés se démobilisent . Stress, burn out, démotivation, pénibilité, … un nombre croissant d’employés sont affectés par des pathologies diverses et variées. La défiance entre managers et salariés devient courante.
Est-ce la fin du modèle de la grande entreprise ?
Selon Isabello et Lanxade, la réponse est oui. Le modèle de l’entreprise organisée en pyramide hiérarchique a vécu. Taylor enterré. Fini l’emploi à vie. Le statut de salarié perd peu à peu une partie de son monopole. Il ne sera à l’avenir qu’une des modalités parmi d’autres.
Les temps changent ! Les entreprises se disloquent. Les salariés perdent leurs repères. Se multiplient les contrats précaires, temporaires, et les missions ponctuelles. Des écarts se creusent entre les salariés « protégés » et les plus fragiles. S’ajoutent à cela la panne de l’ascenseur social et le risque de déclassement des diplômés qui frappent à la porte des entreprises. Dans le même temps, des nouvelles formes de travail apparaissent avec l’évolution rapide des outils technologiques comme internet : travail collaboratif ou en temps partagé, travail en réseau, partage des savoirs, télétravail.
Une 3ème voie?
Entre le tout salariat et le tout entrepreneuriat, il existe une 3ème voie, proposent les auteurs : « adosser notre modèle social fort à la française au désir d’entreprendre des Français. En commençant, entre autre, par réintégrer l’entrepreneur dans ce fameux modèle social et en lui donnant droit à l’assurance chômage.
D’après les auteurs, le besoin de sécurité et le besoin d’indépendance au travail ne sont pas antinomiques. Ils sont conciliables. Il s’agit de conforter le système sécurisant tout en libérant les entreprises des entraves encore trop nombreuses. « Il s’agit de rendre l’homme indépendant dans son travail et vis-à-vis d’une entreprise et non de le projeter dans une jungle dénuée de règles ». Maître mot de la démonstration : la liberté.
Isabello et Lanxade militent pour un travail qui se traduit par un besoin de sens et d’épanouissement dans ce qu’on fait. Ils en veulent pour preuve l’appétence des Français pour le statut de créateur d’entreprise à un moment de leur carrière. Mais également le succès du microcrédit auprès d’un nombre grandissant de citoyens du monde. « Lorsqu’on interroge les Français sur les motivations qui les conduiraient à devenir indépendant, à créer leur petite entreprise, ce n’est ni le pouvoir, ni l’argent ni même la stature du chef d’entreprise qui ressort, mais en premier lieu l’envie de faire les choses à leur manière ».
L’autoentrepreneur
Le modèle qu’ils ont en tête est celui de l’ « autoentrepreneur ».
L’autoentrepreneur est bicéphale car il est à la fois salarié et entrepreneur, libre et acteur de son devenir, propriétaire de sa puissance de travail. Ce nouveau statut mis au point par François Hurel existe depuis un peu plus d’un an. Grâce à ce statut qui facilite les démarches , 350 000 Français ont créé leur activité. N’importe qui peut,avec très peu de moyens, créer une entreprise. Le mode de calcul et de paiement des cotisations et contributions sociales et de l’impôt sur le revenu sont simplifiés. Et le régime fiscal avantageux. Gagner bien sa vie est une autre paire de manche. Les plus critiques de cette formule disent déjà qu’on est en train de remplacer des salariés par des entrepreneurs pauvres et précaires, à la merci des employeurs. Isabello et Lanxade sont confiants.
Bientôt, soutiennent-ils, « nous serons tous autonomes, tous entrepreneurs, tous salariés. Ce sera l’avènement de l’Homo independantus ». On peut douter d’une telle perspective. Mais certains y trouveront une alternative à la précarité, au chômage et y verront une possibilité de remise en confiance des « exclus de l’entreprise » (jeunes, seniors, chômeurs, non diplomés..). Les premiers résultats économiques concrets du statut d’autoentrepreneur nous diront si cette voie médiane entre liberté du travail et protection du travailleur a de l’avenir.
• Editions Editea. Février 2010
à lire aussi les articles publiés dans les magazines de Place-Publique
Auto-entrepreneur : un statut bâclé, ou provocateur ? mai 2010
L’autoentrepreneur, ça roule – décembre 2009:
Les Français et l’entreprise : rien ne va plus – novembre 2009
Les travailleurs pauvres s’installent dans le paysage social – novembre 2009