Le Grand emprunt : synthèse du Rapport Juppé – Rocard
Place Publique publie ici la synthèse de ce Rapport pour donner au citoyen les moyens de se faire son opinion.
Le Rapport Juppé-Rocard « Investir pour l’avenir » (Priorités stratégiques d’investissement
et emprunt national ) , plus connu sous l’appellation de « Grand Emprunt », a été remis au président de la République, le 19 novembre 2009. Il fait l’objet d’un débat public.
Les deux auteurs , chargés de définir les priorités stratégiques d’investissement pour la France, ont évalué les dépenses d’avenir à 35 milliards d’euros.
Cet effort d’investissement inédit met l’accent sur la transition d’une part vers la société de la connaissance, d’autre part vers l' »économie verte ».
La France est un grand pays d’industrie et de savoir.
Pour relever les défis de demain, elle doit investir. La crise nous a appauvris. Le
vieillissement va freiner la population active et la croissance. La compétition
internationale s’étend à de nouveaux domaines, comme l’enseignement supérieur
et la recherche.
Dans l’industrie, de nouveaux acteurs émergent, y compris
dans les secteurs où l’Europe détient des positions d’excellence, comme l’aéronautique.
Notre modèle de développement va buter sur les tensions d’approvisionnement
en ressources fossiles et est menacé par les conséquences du
changement climatique.
Nous pouvons, en Europe, construire un nouveau modèle de développement,
plus durable.
Il faut aujourd’hui engager la transition vers ce nouveau modèle moins dépendant
des énergies fossiles et davantage tourné vers la connaissance. Ce défi ne
saurait être relevé sans une intervention publique résolue.
L’État a une responsabilité directe en matière d’enseignement supérieur et de
recherche publique. Mais sa responsabilité va au-delà. En matière de recherche,
d’innovation, de développement de réseaux d’informations, d’efficience
énergétique, les investissements ne doivent pas être appréciés au seul regard
de leur retour financier direct pour l’investisseur privé.
Ces investissements
portent en eux des bénéfices pour le reste de la société. L’État doit donc renforcer
les incitations à les réaliser. Il peut se porter là où les défaillances de marché
sont avérées. Il peut faciliter par exemple le passage de la recherche à son
application industrielle, le stade de la démonstration technologique, quand
le risque industriel est trop grand, l’horizon du retour financier trop éloigné,
l’investissement trop lourd.
L’État en a-t-il les moyens ?
Dans un contexte de recherche d’économies face à la dégradation des finances
publiques, la part de l’investissement dans les dépenses publiques recule
depuis le début des années quatre-vingt-dix. Si l’on ne se résigne pas à ce recul
de l’investissement, si l’on croit au contraire qu’il faut investir pour l’avenir et
qu’il y a urgence à le faire, alors l’emprunt s’impose. Il permet d’investir en visant
un retour futur et il permet d’agir vite.
Mais la dette augmente. C’est un risque pour notre capacité à conduire une
politique budgétaire active. C’est un risque pour l’équité entre les générations.
C’est un risque pour notre crédit international. La Commission, au moment de
définir des priorités stratégiques d’investissement à financer par l’emprunt, ne
pouvait donc s’exonérer d’une réflexion sur la dette.La gravité de la situation des finances publiques justifie à nos yeux d’engager
un débat sur l’opportunité de règles contraignantes de réduction des déficits.
Dans le cadre des règles existantes, le Gouvernement pourrait en outre envisager
de réduire les dépenses courantes à hauteur de la charge d’intérêts supplémentaire
générée par l’emprunt national. Concernant ses propres travaux, la
Commission s’est appliqué la plus grande exigence de rigueur dans le choix de
dépenses qui soient effectivement des dépenses d’avenir, avec l’objectif d’un
retour sur investissement, financier ou socio-économique.
Engager la transition vers un modèle de développement plus durable
Il y a deux façons de mal préparer l’avenir : accumuler les dettes pour financer
les dépenses courantes ; mais aussi, et peut-être surtout, oublier d’investir dans
les domaines moteurs.
La Commission a dû rechercher un équilibre, toujours délicat, entre la définition
de priorités trop générales et le soutien à des projets trop précis. La Commission
s’est refusé à choisir tout projet individuel, préférant définir de grandes
priorités, en s’appuyant sur un ensemble de critères, et identifier les opérateurs
qui les mettront en oeuvre dans un cadre strict de gouvernance, à charge pour
eux d’arbitrer entre les différents projets présentés en constituant si nécessaire
des jurys de sélection.
En trois mois, la Commission et ses présidents ont auditionné plus de deux
cents acteurs et ont examiné plus de trois cents contributions écrites. À l’issue
de cette démarche, nous avons dégagé sept axes prioritaires d’investissements
d’avenir.
Les besoins identifiés au titre de ces priorités stratégiques correspondent
à un investissement de l’État de 35 Md€ tourné vers l’innovation. Près de
la moitié de cette somme recouvre explicitement une démarche transversale
d’investissement dans l’enseignement supérieur et la recherche. L’autre part de
ces investissements, ventilée selon une logique thématique, reflète elle-même
la priorité donnée à l’innovation et la transformation. Elle porte sur des secteurs
et technologies où la France détient des positions fortes et qui vont structurer
notre cadre de vie des vingt prochaines années. Par effet de levier vis-à-vis des financements privés, locaux et européens,
l’emprunt national devrait finalement correspondre à un investissement total
de plus de 60 Md€.
Les dépenses d’investissement retenues par la Commission donnent lieu à la
constitution d’actifs à hauteur de près de 60 %. Les autres dépenses sont accompagnées
d’une exigence de retour. Dans tous les cas, les dépenses choisies sont
porteuses d’une rentabilité directe (dividendes, royalties, intérêts…) ou indirecte
(recettes fiscales induites par une activité économique accrue) pour l’État
et de bénéfices socio-économiques pour la collectivité.
Mettre en place une gouvernance exemplaire
Si les modalités de levée de l’emprunt n’entraient pas dans le mandat de la
Commission, il lui est apparu indispensable de proposer la mise en place d’un
dispositif rigoureux de gouvernance.
Sur le plan financier, il est donc proposé que les fonds levés par l’emprunt national
soient affectés à des organismes gestionnaires et gérés de manière étanche
par rapport au reste du budget. Ils doivent apporter un effet additionnel par
rapport aux financements budgétaires habituels et non se substituer aux dotations
des organismes gestionnaires ou bénéficiaires des actions financées. Ils
ne peuvent servir au financement de salaires de fonctionnaires.
Sur le plan institutionnel, la Commission préconise la mise en place, auprès
du Premier ministre, d’un Comité de surveillance de l’emprunt national, composé
de parlementaires, de personnalités qualifiées et de représentants des
ministères concernés.
La mise en oeuvre du plan d’investissement doit faire l’objet d’une contractualisation
entre l’État et les organismes gestionnaires. Dans ce cadre contractuel,
le Comité de surveillance serait en charge de préciser leur mandat, de contrôler
la gestion des fonds et de piloter l’évaluation des actions financées. Il devrait
rendre compte périodiquement devant le Parlement de l’utilisation des fonds
et publier les résultats des évaluations. Nos concitoyens pourront ainsi s’assurer
que cet emprunt permet réellement de préparer l’avenir.