La surpopulation carcérale, un mal endémique… et pas seulement français
Jean-Louis Lemarchand
Un taux d’occupation de 117 %, une inflation des incarcérations cette dernière décennie, une dégradation des conditions de vie des détenus : un rapport parlementaire brosse un tableau noir de la situation dans les établissements pénitentiaires français.
Des millions de téléspectateurs ont récemment découvert au « 20 h » des photos révélant l’insalubrité de certaines prisons, notamment aux Baumettes de Marseille. Ces images-choc prises par l’équipe du Contrôleur général des lieux de privation de liberté ont mis en lumière l’un des aspects les plus noirs d’un phénomène structurel affectant la France : la situation des établissements pénitentiaires tenant non seulement à un vieillissement des bâtiments mais plus encore à une surpopulation croissante avec un taux d’occupation dépassant les 117 %.
Un rapport d’information établi par la commission des lois de l’Assemblée Nationale et publié à la fin janvier permet de disposer de données chiffrées qui ne manquent pas d’alerter tous ceux qui sont attachés à la défense de la dignité de la personne humaine et à l’idée que la prison ne doit être que la privation de liberté et ouvrir la voie à une réinsertion sociale ultérieure.
Certes la France n’a pas le monopole de la surpopulation carcérale : le taux moyen d’occupation dépassant les 125 % en Belgique et atteignant même 145 % en Italie. Qu’importe. A la seule exception de la période 1996-2001, la France enregistre depuis 1975 une croissance continue de la population détenue. Sur les dix dernières années, 2002-2012, elle s’est accrue de 34 %, de 48 296 à 64787 quand la population française n’augmentait que de 7 % (de 61,1 à 65,4 millions).
Des juges plus sévères, des lois plus répressives
A quoi tient cette surpopulation carcérale ? Démentant l’accusation de « laxisme » portée par l’opinion conservatrice, les juges envoient plus de prévenus en prison qu’il y a un demi-siècle, si l’on en croit le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Si le recours à l’emprisonnement était similaire à celui de la fin des années 60, estime-t-il, il y aurait eu 47 000 personnes détenues au 1er juillet 2012 et non 67373. L’emprisonnement reste considéré comme un « mal nécessaire » et demeure la peine la plus prononcée (48,6 % des condamnations en 2010) bien loin devant les amendes (35,7 %) et les peines de substitution (10 %).
Mais comment s’explique cette propension à privilégier la peine de prison ? Les auteurs du rapport-quinze députés avec comme président Dominique Raimbourg, PS, Loire-Atlantique, avocat et vice-président Sébastien Huyghe, UMP, Nord, notaire- pointent plusieurs facteurs : la pression populaire et médiatique (le fait divers qui ouvre le JT de 20 h qui suscitait réaction du gouvernement et annonce immédiate de nouvelles dispositions réglementaires ou législatives), l’inclinaison des magistrats à la sévérité (une tendance culturelle accentuée, selon certains avocats, par la méconnaissance de la réalité carcérale chez de nombreux magistrats), une politique pénale répressive marquée depuis 2002 (des comportements comme le racolage passif, la mendicité agressive, la vente à la sauvette étant désormais considérés comme des délits, le durcissement de la répression de la récidive…) et la disparition des lois d’amnistie et des mesures de grâce collective.
Des conditions se dégradant pour les détenus et les personnels
Une telle situation de surpopulation carcérale conduit, nous l’avons vu, à une dégradation des conditions de détention qui se traduit par la promiscuité, l’insalubrité et la violence, cette dernière alimentée par « l’oisiveté » forcée des détenus. Le législateur retient le principe que chaque détenu est tenu d’exercer « au moins l’une des activités » proposées par le chef d’établissement mais en réalité, faute d’offres, 39 % seulement des détenus exercent une activité rémunérée, reconnaît l’administration pénitentiaire. Les autres dommages « collatéraux » de cette surpopulation carcérale ne sont pas moindres : impossibilité d’assurer l’encellulement individuel (article 37 de la loi pénitentiaire) ou la séparation entre prévenus et condamnés, de garantir le droit au maintien des liens familiaux (absence de parloirs ad hoc) ou l’accès à la santé (l’article 46 de la loi pénitentiaire prescrit l’octroi de soins « dans des conditions équivalentes à celles dont bénéficie l’ensemble de la population »). Les personnels pénitentiaires sont aussi victimes de cette situation, voyant leurs conditions de travail se dégrader au point que le taux de suicide y serait, selon la CGT pénitentiaire, supérieur d’environ 30 % à celui de la population dans son ensemble.
Quelles solutions apporter alors pour mettre fin à ce phénomène endémique de surpopulation carcérale ? La mission d’information émet pas moins de 76 propositions qui tiennent notamment à réduire le champ des infractions correctionnelles (ramener au rang de simple contravention des délits de comportements), supprimer le dispositif des peines « plancher », développer les peines alternatives, faire de l’emprisonnement le dernier recours en matière correctionnelle…
Plus de places de prisons ou moins de peines
Faut-il accroître le parc immobilier d’établissements pénitentiaires ? Compte tenu des propositions émises, la gauche estime globalement que les engagements pris conduiront à un parc de plus de 70.000 places en 2018 qui sera bien suffisant et approuve l’abandon par le gouvernement du programme décidé par l’ancienne majorité de créer 20.000 places supplémentaires. Argument évidemment réfuté par l’ex-majorité, le co-rapporteur, député UMP, jugeant que « la clé essentielle pour ne pas dire unique « du règlement de la question de la surpopulation carcérale résidant dans la construction de ces 20.000 places. Ainsi se trouve posée la question centrale du rôle de la prison dans la politique pénale.
Au-delà de ce débat de fond, qui devra bien être ouvert, restent les chiffres qui ne prêtent guère à l’optimisme. La France figure depuis de nombreuses années parmi les pays les plus pingres en termes de dépenses publiques en faveur de la justice. L’actuelle majorité souhaite inverser la tendance, elle qui a sauvé le Ministère de la Justice du régime général de rigueur budgétaire pour 2013, le budget progressant de 4,3 %. Engagement auquel riposte l’ex-majorité, Sébastien Huyghe pointant la chute des crédits affectés à l’administration pénitentiaire : – 38 % pour les autorisations de paiement et – 86 % pour les autorisations d’engagements d’investissements.
Rapport d’information de la Commission des Lois de l’Assemblée Nationale : Penser la peine autrement : propositions pour mettre fin à la surpopulation carcérale.
Janvier 2013. [www.assemblee-nationale.fr]